PATRICE
«… Alors je suis allé en Espagne pour voir les taureaux et essayer d’écrire sur eux ».
Au printemps 1923, Ernest Hemingway part pour l’Espagne avec l’idée de découvrir un pays.
Il y trouve une vocation : L’image d’Hemingway, amoureux de l’Espagne et de sa fête nationale, connait une épiphanie à l’été de cette année 1923, lorsqu’Ernest arrive à Pampelune et découvre les Sanfermines.
La réalité est qu’avant cette visite sans doute révélatrice, Hemingway avait déjà parcouru l’Espagne et assisté à des corridas.
L’auteur du « Vieil homme et la mer », alors journaliste aux aspirations littéraires, avait déjà goûté à l’Espagne à deux reprises avant 1923.
En 1919, après avoir servi en Italie, il avait fait escale à Algésiras, avant de rentrer aux États-Unis. Et en 1921, venant du Havre, son transatlantique avait fait escale à Vigo, une ville « qui ressemble à du carton et un environnement qui rappelle Terre-Neuve ». En Galice, Hemingway entrevoit sa future vocation espagnole : « Waouh, quel endroit ! Vigo, Espagne. C’est l’endroit où un mâle peut vivre », écrit-il à un ami.
Il ne lui fallut longtemps pour y revenir.
A Paris, où il vivait avec sa première femme, Hadley Richardson, il se lie d’amitié avec des artistes espagnols comme Picasso et surtout Luis Quintanilla. Cependant, c’est l’Américaine Gertrude Stein, la marraine de la « Lost Generation » que « le dio el último empujón. Poco se ha hablado de las dotes de prescriptora de Stein en este sentido : ella, viajera incansable, encaminó a Robert Graves a Mallorca, a Paul Bowles a Tánger y a Hemingway a España. »
En mai 1923, le jeune Ernest et son futur éditeur, Robert Mc Almon sont en Espagne. De Madrid, ils descendent vers le sud : Ronda, Málaga, Grenade et Séville. Dans la capitale, ils assistent à une corrida dans l’ancienne plaza de Aragón ; au cartel : Gitanillo de Ricla, Villalta et Chicuelo.
Ricardo Marín Ruiz, de l’Université de Castilla-La Mancha, précise que « l’intérêt pour la tauromachie lui a été inculqué par Gertrude Stein, qui avait été à Pampelune avec Alice Toklas, sa partenaire ». C’est ici, ajoute-t-il, en mai 1923, qu’Ernest « tombe amoureux de la tauromachie ».
On ne sait pas où et dans quelle mesure il est tombé amoureux des taureaux, mais il est certain qu’il les a rencontrés et les a appréciés avant de se rendre à San Fermín.
Edorta Jiménez dans « San Fermingway » signale : « Malgré ce que disent les fermingwayistas, cette même année 1923, Ernest Hemingway avait déjà vu des corridas à Madrid, Séville et Grenade. De plus, son amour pour la tauromachie lui est venu avant même qu’il ne les ait vues en direct. Dans la « Little Review » il avait décrit la scène d’un matador encorné par le taureau. Il avait donc une prédisposition pour le sujet, comme le montre aussi le fait qu’en France il avait été intéressé pour s’abonner à l’hebdomadaire « El Toril », édité à Toulouse ».
Pour José Luis Castillo-Puche c’est surtout à Pampelune où il assiste avec « une émotion brûlante au combat de l’homme avec le taureau, le sang et la mort foulant les talons des jeunes gens qui couraient devant les bêtes à cornes » que naît son aficion. Edward F. Stanton, quant à lui, réévalue le choc de son premier long séjour en Espagne au printemps 1923 : « Le choc qu’Hemingway connut en ce printemps espagnol de 1923 fut presque aussi violent que celui qu’il avait subi cinq ans plus tôt dans le nord de l’Italie. Un jour, le matin, il était à Paris avec son air civilisé, et le lendemain après-midi, il occupait une barrière dans les arènes de Madrid. C’était là devant leurs yeux, en plein soleil, un étrange rituel de vie et de mort, plus ancien que tout autre en Europe à l’exception peut-être de la liturgie catholique. »
L’Espagne s’était glissée dans ses tripes. Et cela ne ferait qu’empirer au point qu’il en vint à se considérer comme « un écrivain espagnol vivant en Amérique ».
En juillet 1923, il retourne en Espagne et se rend à Pampelune. L’engouement se consomme en été. Selon Ricardo Marín, « deux choses l’accrochent à l’Espagne : l’une, qu’il trouve dans la tauromachie un sujet aux nombreuses possibilités littéraires ; une autre, plus profonde et plus existentielle : Hemingway a été un écrivain obsédé par la mort toute sa vie et en Espagne il a découvert une vision de la mort qui n’avait rien à voir avec la culture anglo-saxonne. Là-bas, la mort était traitée comme un tabou, alors qu’en Espagne, elle est considérée comme une prolongation de la vie. Cette relation étroite entre la vie et la mort est ce qui l’attire vers la corrida, qui est une mise en scène de cette ligne fine, avec un public qui l’accepte tout naturellement. »
Le 23 octobre, après ses deux visites en Espagne, Hemingway écrit un reportage dans le « Toronto Star » dans lequel il affirme que la corrida de Madrid était la première qu’il avait vue, « mais pas la meilleure. Le meilleur était dans la petite ville de Pampelune, en hauteur dans les collines de Navarre, et qui avait eu lieu des semaines plus tard. »
Au total, en 1923, il aura vu 16 corridas.
Plus tard, il se souviendra : « Je pensais trouver un spectacle simple, barbare, cruel, qui ne me plairait pas ; mais j’espérais aussi y trouver une action déterminée, capable de me donner ce sentiment de vie et de mort que je recherchais avec tant d’ardeur ».
Sources : theobjective.com/culture
Patrice Quiot