PATRICE
« Quand Jupiter décida de prendre l’apparence d’un taureau bravo pour enlever Europe, ce rapt avait très peu à voir avec l’art. L’action était exceptionnelle sans doute, mais il y manquait la chorégraphie, le rythme, la liturgie et, surtout la volonté artistique. Car il ne s’agit pas seulement de faire preuve de hardiesse et de vaillance mais, avant tout, de produire de la beauté. […] L’immense majorité des animaux tuent et détruisent pour se nourrir, tuer est un moyen qui leur permet de subsister. Le taureau bravo charge, blesse et tue parce que c’est sa manière propre de vivre, la seule qu’il ait. […] L’art du toreo surgit quand l’homme qui va combattre, armé seulement d’un chiffon rouge, doit, s’il ne veut pas périr haché par les cornes, dominer la science du leurre, danser, bouger, esquiver la charge et, en même temps interpréter ce ballet de la survie, dessiner des figures, des images, qui obligent le taureau à danser lui aussi, pour répondre à ses postures et ses feintes, tandis qu’il attaque le torero et tente de le tuer. »
Mario Vargas Llosa, « Monologue du taureau »
« Ce courageux taureau réfléchissait à ce qu’il devait faire, la tête haute, comme s’il établissait son plan. On voyait que le taureau est la dernière catapulte et on avait peur en le voyant de dos avec cette impression d’impétuosité ramassée qu’il donnait […] Ce fut épouvantable, les chevaux saluaient en mourant et formaient une troupe effrayée et rendue emballée par la mort. Un nouveau groupe de chevaux squelettiques et comme sauvages, tous unis dans le vent par leurs crinières, apparut. Dans cette voragine, l’un deux parut monter sur le nuage de ses propres tripes et un autre était comme un cheval de Neptune qui nageait et se dressait dans les eaux de la mort. […] Les “capeadores” sautaient la barrière comme des grenouilles effrayées qui lorsqu’elles entendent un pas se jettent à l’eau. […] Sans recevoir un seul coup de pique et en un instant, “Gorondo” avait tué tous les chevaux. C’était la vengeance du taureau contre l’animal qui a fait un pacte avec l’homme. Haine ancienne. […] Il aimait briser la peau tendue de leur ventre et fouiner avec volupté dans cette chaude bedaine. […] Le public qui allait voir brûler des hérétiques et qui s’assemblait autour des exécutions, allait avec la même curiosité à la place des taureaux, échafaud caché du torero. »
Ramón Gómez de la Serna, »Le Torero Caracho »
« Le taureau
Il ne fait jamais nuit quand tu meurs,
Cerné de ténèbres qui crient,
Soleil aux deux pointes semblables.
Fauve d’amour, vérité dans l’épée,
Couple qui se poignarde unique parmi tous. »
René Char, « La parole en archipel »
« Montés exécuta trois ou quatre passes avec la muleta tenant son épée horizontale à la hauteur des yeux du monstre, qui tout à coup tomba comme foudroyé et expira après un bond convulsif. L’épée lui était entrée dans le front et avait piqué la cervelle, coup défendu par les lois de la tauromachie, le matador devant passer le bras entre les cornes de l’animal et lui donner l’estocade entre la nuque et les épaules, ce qui augmente le danger de l’homme et donne quelque chance à son bestial adversaire. Quand on eut compris le coup, car ceci s’était passé avec la rapidité de la pensée, un hourra d’indignation s’éleva des tendidos aux palcos ; un ouragan d’injures et de sifflets éclata avec un tumulte et un fracas inouï. “Boucher, assassin, brigand, voleur, galérien, bourreau !” étaient les termes les plus doux […], les vociférations ne suffirent plus ; on commença à jeter sur le pauvre diable des éventails, des chapeaux, des bâtons, des jarres pleines d’eau et des fragments de bancs arrachés. »
Théophile Gautier, « Voyage en Espagne »
« Les protecteurs d’animaux n’ont pas de lieu commun préféré à la détestation des corridas. Ces cogne-fêtu qui, avec une indifférence magnanime, supportent les horreurs de la chasse à courre, les combats de coqs ou de pinsons, qui trouvent bon de faire, pendant une heure, trotter sur leurs moignons sanglants des léporides imparfaitement canardés, éprouvent soudain une grande pitié à quatre pattes dès que les toros de muerte sont en jeu. Sans doute, leur faculté d’apitoiement se mesure à la grosseur de la victime. Or, il est incontestable que le volume d’un taureau de course l’emporte beaucoup sur celui d’une caille ou d’un lapin […] Armé pour le combat, agile et robuste, d’une force musculaire qui lui permet de tenir tête à l’éléphant, brave comme le Cid, ombrageux et féroce, le toro de muerte est sans contredit le fauve le plus dangereux, le plus combattif de l’Occident. »
Laurent Tailhade, « La Corne et l’Épée »
« Un des plus beaux, des plus curieux et des plus terribles spectacles que l’on puisse voir, c’est une course de taureaux. J’espère à mon retour mettre sur la toile l’aspect brillant, papillotant et en même temps dramatique de la corrida à laquelle j’ai assisté. »
Édouard Manet, « Lettre à Baudelaire. 14 septembre 1865 »
Patrice Quiot