Mercredi 17 Avril 2024
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Jeudi, 02 Mars 2023
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Jour 4 : tentadero chez Andoni Rekagori…
 
La "petite" entreprise d'Ana tournait comme une Patek Philippe. Le matin, les ouvriers du bâtiment croisaient les vrp, au rythme de la vapeur du percolateur et du tacatacatac de la machine à moudre le café. Elle avait fait des rénovations et avait installé toutes ses photos taurines encadrées, bien en évidence.
On ne pouvait pas les rater. C'était respectable car, même ici, les anti-taurins, quoique peu nombreux, commençaient à vouloir faire régner une dictature insupportable. D'ailleurs, au lieu de froisser la clientèle, cela lui en avait ramené, car, le Cruce, notre ancienne querencia, demeurait définitivement "cerrado". Du coup, on pouvait croiser de plus en plus de "taurins", qui se donnaient rendez-vous avant ou après les tientas.
 
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Mais, comme dans toute activité humaine, l'affluence se faisait par vagues, sûrement une lointaine mémoire de nos origines aquatiques ancestrales.  De temps en temps, Pedro, mon météorologue dominicain, profitait du creux de cette vague pour débarrasser le comptoir de la vaisselle que nous avions "accumoncelée" en matinée.  Car, nous faisions comme à la maison, nous occupant de faire le service, dès que nous le pouvions, il restait peu de temps avant que nous ne passions derrière le comptoir, pour nous faire couler un café solo.
 
Les élèves s'étaient résolus à une vraie séance de décrassage - enfin ! - sous la houlette de Simon. 1 degré. Dans le même temps, le Maestro Leal en avait profité pour aller préparer notre tienta du jour dans la ganadería de l'ami Rekagori. Il était comme ça Juan, il anticipait toujours ce qui pouvait l'être et surtout voulait éviter notre déconvenue de la veille. Je l’avais toujours connu comme ça, mais l’arrivée de son petit Juanito, voici 2 ans, lui avait encore plus développé cette compétence.
 
Pour l’entrainement sportif, ce matin, Simon, baptisé par le Maestro Le Sur « El hombre elegante » avait pris le leadership. Il était atypique le Simon, notre banquier-boxeur. Etant l’ainé du groupe, il s’était permis un petit speech sur la motivation. Ses compagnons l’avaient écouté avec beaucoup d’attention. Lui qui travaillait dans le domaine des risques dans la finance, avec les toros, il était servi ! Il faisait preuve de beaucoup de volonté et nous avait amusés, en début de semaine, car il avait cru rester sur place et quieto, mais ses jambes en avaient décidé autrement, dès que la vache chargeait vers sa muleta. Il jouait un peu le rôle d’un grand frère, même si ce terme a été galvaudé, je dirais plutôt un passeur de témoin.
 
Quant à Rafael, un de nos grands, il continuait à réviser ses cours, tôt le matin, dans la grande salle du bar, pour ne rien perdre de son enseignement de biologie, à l’université. Bravo.
 
Gérard, depuis le début de l’aventure, dès son entrée à La Rad, n'arrêtait pas de répéter : " Je me sens très bien dans cet hôtel, il y a de bonnes ondes ! ". Il avait bien raison, on s’y sentait très bien, dans cet endroit. On ne voulait plus en partir !
 
12h48 : 2 degrés. Au vu de notre expérience de la veille, nous partîmes (pas 500 !) pour une escapade au Decathlon local, pour s'acheter des moufles fourrées et des chaufferettes, ça pouvait servir.
 
À la TV, on parlait de politiciens corrompus dans un nouveau scandale - La routine en somme !
 
A notre retour, la conversation revint sur le thème de se surpasser et nous évoquions avec Clément, la novillada épique d'Alès, quand il dut tuer 6 novillos, après la blessure de Nino, son compagnon de cartel malchanceux.... On se surpasse du moment où, n'en pouvant plus, on continue malgré tout, en trouvant des ressources insoupçonnées.
 
14h27. Après un riz savoureux, Départ de la Rad.
 
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Arrivée à 15h, long chemin de terre, bordé de murs en pierres sèches. De tous les côtés, des toros, des chevaux ... Tout est calme, paisible. L'ambiance tranche avec les folies que je viens de lire sur les nouvelles du jour, que j'ai eu la faiblesse de consulter en venant.
 
Nous passons sur un petit ruisseau qui traverse le Campo. Ici, il a beaucoup plu voici peu. Le Maestro Leal nous dit que les ganaderos se plaignent d'un excès d'eau. « Mais, quand il n'y en a pas assez, ils se plaignent aussi, ce n'est jamais au bon moment que ça arrive. Comme tous les humains, on n'est jamais content de ce que l'on a, c'est du classique ! »
 
Puis, dans les derniers arpents, avant le portail d'entrée, il est pris d'une émotion en pensant que Manolete passait des mois ici et foulait ce même sol, pour aller tienter, après être allé se recueillir à la ermita de l’entrée. A l’époque, tout ce campo appartenait à la ganadería Atanasio Fernández, puis fut morcelé, vendu. Il ne reste plus, à quelques encablures, qu'un immense ensemble de maisons de type complexe hollywoodien occupé par les héritiers, qui ne veulent plus entendre parler de toros. Triste histoire.
 
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Dès notre arrivée, le ganadero Don Andoni Rekagori nous accueille. Tout sourire, il a son célèbre béret vissé sur la tête, ses cheveux rassemblés par une élastique pour former une sorte de coleta.
 
Juan retrouve son fidèle picador, le célèbre Tito Sandoval, lui aussi tout sourire.
 
Pas de nuages, pas de vent, ciel bleu, 6 degrés, les Tropiques en quelque sorte !
 
Don Andoni eut la bonne idée, lorsqu’il a installé son élevage, de positionner 4 containers, les uns sur les autres, ceux du dessus étant totalement vitré, ce qui lui permet d’avoir une vue à 360 degrés sur son campo et qui permet à tout visiteur d’apprécier ce qui se passe en piste, dans des conditions de luxe extrême, chauffé par le soleil. On en aurait presque trop chaud, mais je ne voudrais surtout pas tomber dans le piège du « trop/pas assez/ jamais content » dont parlait Juan !
 
Le ganadero s'assoit sur son banc d'écolier de l’autre côté du ruedo, pour prendre note.
 
Tout est calme, le cheval est en place, on va se régaler.
 
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1ère vache : 15h31 : noire haute, jolie.
 
Rafael : en grande forme depuis le début du stage.
 
La vache s'emploie au cheval, sort seule mais y retourne.
 
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Nino : la replace au centre, mais elle est très distraite. Se lance sans conviction.
 
Rafael : à droite, la vache ne lui laisse que peu de possibilités, à gauche, pas simple non plus.
 
Nino retente sa chance, mais cette vache se retourne très vite, cherche les chevilles, elle est paglop, paglop, paglop... 15h45, on arrête les frais. Portail, le Maestro Juan monte sur le mur, descend sur un autre mur, fait le tour pour ouvrir un autre portail et ressaute dans le ruedo, façon Spiderman. Quel phénomène ce Juan !
 
Dernière vérification de la bonne fermeture du portail avec un gros fil de fer, puis... tout le monde en place... tapados...
 
2ème vache : 15h49 : noire, même maille,
 
Manuel. 
Vache avec plus de caractère, reste dans le cheval.
Clément.
2eme rencontre concluante.
 
Muleta pour Manuel. La vache est très noble, un peu faible, il faut la toréer à sa hauteur.
Depuis le début du stage, Manuel avait du mal à trouver le sitio, pourtant il y travaillait.
Cette vache allait lui permettre de retrouver des sensations. Merci la vache !
 
Muleta pour Clément : depuis plusieurs mois, il avait l'air plus détendu, plus souriant, plus confiant, moins dans le "je me mets la pression tout seul et je me bloque...". De ce fait, tout devenait plus fluide.
 
Matthieu, qui n'avait pas fini l'entraînement physique ce matin, prend la muleta. Il effectue des passes très élégantes, sans bouger, presque avec facilité. Re-merci la vache !
 
Simon, de « l'agence tous risques », est aux manettes. Il suit tous les conseils et ça fonctionne très, très bien. Re-re-merci la vache !
 
16h09 : Gauthier à l'ouverture des portes, Spiderman, Gauthier à la fermeture des portes, débriefing au centre du ruedo.
 
Je suis obligée de sortir de mon caisson façon cuisson micro-ondes, car il y fait vraiment aussi chaud qu’il faisait froid hier ! D’ailleurs, tout au long de l’après-midi, je ferai des aller-retours, comme Jack, mon petit toutou, qui se couche alternativement sur le tapis puis le carrelage, à intervalles réguliers, pour maintenir une température idoine. Il est fortiche ce Jack !
 
3ème vache : 16h14, noire, jolie, à la fin du 1er tour, elle tape sur le peto. Ça promet.
 
Gauthier al capote.
Valentin en suivant.
 
Elle s'emploie.
 
Gauthier à la muleta. Toreo très suave, rond, fentes en redondos à la Ponce, à genoux... bien...
 
Baptiste, qui disait ce matin s'amuser plus cette année, car il avait arrêté de se mettre la pression tout seul. Ça fonctionne mieux.
 
Sacha : bachouchage puis série quieto, sérieux, avec changement de main, son préféré. On est bien loin du petit garçon de l'an dernier. Il a mûri.
 
Robin : très volontaire, il fait les choses du mieux possible. Il se fait bousculer mais y retourne. Il est tenace. On ne l'arrête plus.
 
16h33 : Clément à la porte, coup de blouson du Maestro Leal et fermeture, débriefing, re-Spiderman. Le Maestro Leal fait voir à chacun comment corriger son comportement. Il a l'œil sur tout « mon » Juan, c'est son métier. On voit aussi qu'il a un réel plaisir à transmettre. Il fait du sur mesure. Le luxe !
 
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Clovis montre à Robin, Nino à Manuel... c'est très confraternel.
 
4ème vache : 16h43, noire plus forte, violente.
 
Valentin, Nino.
 
La vache réagit bien au picador.
Valentin, à la muleta, se bat, la vache est violente. Il effectue plusieurs séries. Il prend sur lui, c'est méritoire.
 
Clovis a participé à une tienta ce matin chez Pedraza, invité par l'école de Salamanca et s'est fait remarquer. Il tente sa chance avec cette vache violente. Il faut lui voler les passes. Il perfectionne sa position du corps, il doit être sur-croisé face à l'animal, pas sur le quai de la gare. Peu à peu, il fait l'effort et ça paie et c'est beaucoup plus esthétique.
 
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17h09 portail... débriefing sur mesure.
 
5ème vache : 17h15, une petite rousse qui penche sa tête par la porte timidement, puis sort.
 
Elle veut en découdre avec le cheval.
 
Rafael, Clovis.
 
 La vache s'emploie au cheval, puis ce dernier sort, comme un prince de la petite arène.
Et à ce moment-là, je dois avouer mon étonnement et mon ignorance. Des amis landais de Don Andoni utilisent un terme jamais entendu auparavant : Picateur !!!  On en apprend tous les jours.
 
17h20. Rafael à la muleta.
La vache est faible sur ses pattes, mais prend les passes. Rafael torée bien, avec justesse et entrega : "Bien, bien... muy bien !"
 
Le Maestro Leal sort du burladero, muy atento, car Sacha va sortir.
 
Sacha : toujours très concentré, muletazos main droite, puis gros bachouchage sans conséquence, tout le monde accourt. Il s'y remet et c'est superbe. Main gauche, itou.
 
Baptiste : pour avoir des sensations, pour se croiser plus.
 
Clément et Manuel se partagent les dernières passes.
 
Simon pour raccompagner la vaquilla à la porte.
 
17h40 : fin de l'entraînement.
 
Nous partons sous la lumière superbe du soleil de chaque jour, le campo est magistral, les chênes paraissent sculptés par un artiste, les racines s’enfoncent dans une sorte de moquette parfaitement verte. Le bétail est là, heureux de vivre dans ces espaces immenses, juste limités par une ligne d’horizon lointaine. De la pure souffrance animale sous nos yeux en quelque sorte !
 
(Chanquete – Photos : Chanquete et Jean-Luc Jouet)