Lundi 29 Avril 2024
PATRICE
Vendredi, 05 Janvier 2024
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Pregunta sur l’écriture qui vaut pour le toreo…
« Qu’y a-t-il sur la page avant que je commence à écrire ? Il y a le monde infini, pardonnez-moi, le monde infini de la connerie. En quoi écrire est-il une épreuve ? C’est que vous n’écrivez pas avec rien dans la tête ; vous avez beaucoup de choses dans la tête. Mais, dans la tête, d’une certaine manière, tout se vaut, à savoir ce qu’il y a de bon dans une idée et ce qu’il y a de facile, de tout fait, c’est sur le même plan. C’est seulement quand vous passez à l’acte, par l’activité d’écrire, que se fait cette bizarre sélection où vous devenez acte. Je dirais la même chose pour parler. Avant que vous parliez, il y a plein de trucs. Vous avez beau mettre au point dans votre tête, il y a l’épreuve de passer à l’acte, soit en parlant, soit en écrivant, qui est une fantastique élimination, une fantastique épuration.
Sinon votre page est pleine d’idées toutes faites. Ça ne veut pas dire forcément des idées que les autres ont aussi. Vous pouvez très bien avoir des idées toutes faites à vous, rien qu’à vous, elles sont quand même toutes faites, des idées faciles comme on en a à dix-huit ans et dont on a honte quand on se réveille. Le monde des idées, encore une fois, n’a jamais été justifiable du vrai ou du faux. Il est justiciable de catégories beaucoup plus fines : l’important, l’essentiel et l’inessentiel, le remarquable et l’ordinaire, etc.… Tant que c’est dans votre tête, vous pouvez prendre des choses très ordinaires pour des choses remarquables. Or ce genre de confusion n’est pas innocent. Quand vous prenez quelque chose d’ordinaire pour du remarquable, ça affecte le contenu de l’idée, pas simplement des trucs formels. C’est pour ça que vous avez tout le temps des livres dont vous vous dites - je ne sais pas si vous faites l’expérience : ça ne va pas, c’est enfantin. On aurait de la peine à dire en quoi c’est faux. Non, ce n’est pas faux, c’est rien - alors que le type a l’air de trouver que ses idées sont formidables. Et là ce n’est pas le lieu d’une discussion. C’est pour ça que les discussions, c’est toujours de la merde, vous savez. Je ne peux pas dire à quelqu’un : voilà pourquoi ton idée n’est pas fameuse, c’est impossible à dire. Simplement, c’est ça qu’on a dans la tête, le monde des idées toutes faites, soit idées collectives, soit idées même personnelles. Il y a des idées toutes faites qui sont pourtant rien qu’à moi, qui sont faciles. A la rigueur, je peux les dire dans la conversation, mais si ça passe par l’épreuve écrite, je me dis mais enfin qu’est-ce que c’est que ça ? Qu’est-ce que je suis en train de dire ? Est-ce que ça vaut la peine de l’écrire ? Si on se demande beaucoup de ça, je ne dis pas qu’on réussit, on se trompe comme tout le monde, mais déjà moins souvent. Il faut avoir des questions d’urgence. »
Gilles Deleuze «Sur la peinture» (Cours Mars-Juin 1981).
Collection «Paradoxe»/Editions de Minuit/2023.
Datos  
Gilles Deleuze est un philosophe français né à Paris dans le 17e arrondissement le 18 janvier 1925 et mort par suicide dans cette même ville, dans le même arrondissement, le 4 novembre 1995.
Des années 1960 jusqu'à sa mort, Deleuze a écrit une œuvre philosophique influente et complexe, à propos de la philosophie elle-même, de la littérature, de la politique, de la psychanalyse, du cinéma et de la peinture. Jusqu'à sa retraite en 1988, il fut également un professeur de philosophie renommé.
En mai 1968, le mouvement de Mai, déclenché à Paris, provoque une importante réplique à Lyon : des étudiants se mettent en grève, bloquent les épreuves des concours, occupent les locaux jour et nuit. Gilles Deleuze soutient activement le mouvement, ce en quoi il se distingue de la plupart des autres professeurs. Quelques mois plus tard, il est invité par Michel Foucault à devenir maître de conférences à l'Université Paris-VIII fraîchement créée.
Au début de l'année 1969, il doit subir une thoracoplastie, qui le prive de l'usage d'un de ses poumons. Il va en convalescence dans le Limousin avec sa femme ; c'est là qu'il fait la connaissance de Félix Guattari. Sa rencontre avec celui-ci, entame une longue et fructueuse collaboration. Ils écrivent ensemble L'Anti-Œdipe (1972), Kafka. Pour une littérature mineure (1975) puis Mille-Plateaux (1980), trois ouvrages qui frappent par la nouveauté de leur style et de leur contenu. Ils s'attaquent conjointement à la psychanalyse et au capitalisme, et développent une métaphysique aussi bien qu'une théorie politique.
C'est durant cette décennie que Deleuze s'engage également aux côtés de Michel Foucault dans le Groupe d'information sur les prisons, groupe directement issu du courant maoïste et de la volonté de protection des militants de la Gauche prolétarienne. Il multiplie les prises de parole, sur l'affaire Klaus Croissant, le conflit israélo-palestinien, le système judiciaire européen, et soutient les militants d’extrême gauche comme Toni Negri et les Brigades Rouges. Il propose également de nouvelles formes d'organisation politique, synthétisées dans les concepts de réseau.
De 1970 à 1987, Gilles Deleuze a donné un cours hebdomadaire à l’université expérimentale de Vincennes, puis de Saint-Denis à partir de 1980. Les huit séances de 1981 retranscrites et annotées sont entièrement consacrées à la question de la peinture.
 
Cézanne, Van Gogh, Michel-Ange, Turner, Klee, Pollock, Mondrian, Bacon, Delacroix, Gauguin ou le Caravage sont pour Deleuze l’occasion de convoquer des concepts philosophiques importants : diagramme, code, digital et analogique, modulation. Avec ses étudiants, il renouvelle ces concepts qui bouleversent la compréhension de l’activité créatrice des peintres.
Deleuze a reçu en 1994 le grand prix de philosophie de l'Académie française pour l'ensemble de son œuvre.
Patrice Quiot