Vendredi 03 Mai 2024
PATRICE
Lundi, 29 Janvier 2024
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Iscariote Malagente… (1)
 
Il s’appelait Iscariote Malagente.
 
Banderillero de son état, il œuvrait dans la cuadrilla de Jesucristo «El Galileo». Outre le fait d’être un très mauvais professionnel, Iscariote Malagente était terriblement méchant. Il s’habillait en jaune, posait sa montera sur le lit, caressait les chats noirs, faisait ses dévotions à un cercueil, soufflait les bougies de la capilla avant de quitter la chambre d’hôtel et s’appliquait à être particulièrement inefficace. Perfide, il ricanait en disant au «Galileo» que ses toros du sorteo étaient gros, vicieux et terriblement armés ; voleur, il s’arrangeait avec l’empresa pour escroquer son torero et ses compagnons de cuadrilla ; cruel, il mettait des roustes au «Nano», le valet d’épée illettré et bègue, le prenait en photo quand il se douchait et vendait les clichés à des gamines infirmes.
 
En outre, Iscariote Malagente portait une longue barbe noire, sentait mauvais et se grattait les couilles.
 
Exactement comme son papa qui, lorsqu’il rentrait ivre mort de son emploi de scarificateur de poulets et de lapins, le battait comme plâtre. Occasionnellement, le vieux s’occupait comme mozo de caballos lors de la fête patronale du pueblo et s’était fait une petite renommée dans l’art de relever les chevaux à coups de trique. La maman, quant à elle, pratiquait le métier d’avorteuse.
 
Jesucristo était le voisin d’Iscariote Malagente.
 
Le père de Jesucristo, Pepe, était le carpintero de la placita de toros du village où Jesucristo était venu au monde et sa mère, María, toujours vêtue de bleu, s’occupait de l’âne.
 
Ses biographes disent que Jesucristo était né pendant l’hiver et qu’un toro lui avait soufflé dessus pour le réchauffer. Les mêmes racontent que, guidés par un lucero, trois martiens montés sur des chameaux laineux lui avaient apporté comme cadeaux un capote, une muleta et une épée. Ils révèlent également qu’avec ses pauvres parents et le bourricot, la famille avait dû provisoirement quitter leur village afin d’échapper à la Guardia Civil qui, sur dénonciation du voisinage, la soupçonnait de pensées proches de celles de Santiago Carillo.
 
Jesucristo était excessivement gentil.
 
Déjà, tout petit, quand ses parents recevaient des collègues à la maison et que María avait oublié de prendre le pain, il en faisait apparaître. Plus tard, marchant sur l’eau il aidait les pèlerins du Rocío à traverser le rio Quema, faisait produire des fruits à un figuier stérile, prodiguait des soins à un aveugle ou à une femme hémorragique et lors de la fiestita donnée par les voisins pour célébrer la bar-mitsvah d’Iscariote et alors que le jaja vint à manquer, il changea l’eau minérale «Lanjarón» en Rioja «Marques de Murrieta - Castillo-Ygay Gran Reserva Especial ».
 
A l’école de tauromachie où il s’était inscrit, Jesucristo faisait poliment la leçon aux professeurs, traduisait pour eux le corpus taurin de «Zocato» en langue bantoue, les éclairait avec une infime délicatesse sur les reseñas de José Antonio del Moral et commentait avec une délicate bienveillance les faenas de Toñete.
 
Jesucristo grandit.
 
Il demeura tout aussi gentil et devint torero sous l’apodo de «El Galileo». Il s’habillait d’une toge blanche, portait les cheveux aux épaules et avait remplacé la montera par une auréole. Il demandait à ses picadores de piquer exclusivement al regatón, à ses banderilleros de mettre des bouchons aux rehilletes, ne connaissait pas les passes de châtiment et se refusait à tuer. Tous ses toros rentraient vivants au corrales et à ce titre, Jesucristo «El Galileo» occupait honorablement la cent vingt deuxième et dernière place de l’escalafón novilleril.
 
Pour résumer et faire simple: Iscariote Malagente était horriblement méchant et Jesucristo «El Galileo», torero por la gracia de Dios, terriblement gentil. Au vu de leurs différences comportementales, la logique eut voulu qu’Iscariote et Jesucristo s’ignorent.
 
Or, ce n’était pas le cas.
 
A suivre…
 
Patrice Quiot