Dimanche 28 Avril 2024
PATRICE
Vendredi, 02 Février 2024
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Iscariote Malagente… (3)
 
Bitchi était le sitio où devait se produire le torero.
 
Quand l’ange Gabriel «Fuerza de Dios», qui avait arrangé la colocación du «Galileo» l’en avait informé, il lui avait précisé que le pueblo francés était un spot « famoso por su agua mineral con gas de puta madre muuu recomendada po’ la ‘ente que tenía problemillas de riñones”.
 
Le “Galileo” se dit que le séjour à Bitchi serait une occasion de faire avancer le schmilblick de la Rédemption. En effet, il estimait qu’en toute logique vaccinale voir la souffrance en dose concentrée pourrait guérir Iscariote de son appétence adductive à celle-ci. Un peu comme si on demandait à un théâtreux de s’appuyer le festival d’Avignon en la rigolote compagnie de Madeleine Renaud et de Jean-Louis Barrault ou si on imposait à un aficionado la présence de Toñete dans tous les carteles de la Feria de Pentecôte. En outre, l’idée d’aller boire à la source de Célestins ne déplaisait pas au «Galileo» qui voyait dans cette symbolique une évocation de l’eau lustrale du baptême dont il était persuadé de faire partager les valeurs à son subordonné. 
 
Ainsi réconforté, Jesucristo enfila ses ailes et s’envola vers Bitchi où il avait décidé de séjourner un peu plus longtemps que ce que veut la norme torera afin d’enseigner à Iscariote les bonnes pratiques de l’humanité. 
 
Tous arrivèrent à Bitchi en plein milieu de la temporada 1942.
 
Ils furent un peu surpris de voir partout des drapeaux et des uniformes qu’ils ne connaissaient pas, d’entendre une autre langue que celle à laquelle ils s’attendaient et de voir à tous les coins de rue le portrait d’un vieillard en képi et moustache blanche.
 
Ayant émis l’hypothèse que c’était peut-être dû aux effets de l’eau, le «Nano» prit une autre branlée.
 
A la lecture de la PQR, le «Galileo» comprit assez vite qu’en ce qui concerne la culture, la liberté et la tolérance, il avait fait chouffa. Ce qui ne déplaisait pas vraiment à Iscariote Malagente qui avait pris ses habitudes au casino et dans les bordels qu’il fréquentait d’une façon assidue. Il rentrait empégué tous les soirs, s’était fait bon collègue avec ceux qui portaient le béret et arboraient la francisque et il dénonçait à tour de bras. Certains de ses biographes prétendent qu’il prenait plaisir à descendre dans les caves où étaient enfermés des maquisards. 
 
Enchainant échec thérapeutique sur fracaso social, le «Galileo» était à l’agonie.
 
«Eli, Eli, lema sabaqthani ?», «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?» l’entendait-on gémir dans son plumard.
 
Il dut certainement recevoir une réponse. Car dès le lendemain, il s’arrima comme un chien dans sa pelea contre l’immoralité qu’affichait Iscariote. Terrible colère, terrible rabia que celle de Jesucristo. Pas une colère humaine, mais l’indignation parfaite de ce qu’est capable de faire le Très Haut quand il se laisse aller. 
 
Une colère hugolienne.
 
Il se rendit au casino et mit en fuite ceux qu’il appelait los « Commercantes del Templo » ; il descendit dans les caves et libéra les maquisards ; il visita les boxons et avec son auréole, comme il l’aurait fait des mouches, il chassa les putes. Seul, le «Nano» put le retenir de faire chanter «Viva la quince brigada» au vieillard en képi et moustache blanche au motif que sa voix n’avait pas la même tessiture que celle de Manolo Caracol. 
 
Le dimanche de la course, Jesucristo était encore remonté comme un ressort ; aussi, lorsqu’il aperçut Iscariote Malagente en train de se soulager dans son esportón, il explosa :«Vete, chalao ! Vete puta !» hurla-t-il.
 
Iscariote ricanait. 
 
Alors Jesucristo proféra l’historique : «Vade retro Satanas». Le ruedo s’ouvrit en son milieu et y enfouit le banderillero avant de se refermer dans un grondement d’acier.
 
Le soir même Jesucristo quitta Bitchi et «El Galileo» fit sa despedida du toreo.
 
Aucune trace du «Galileo» dans le «Cossío», aucune dans «Mundotoro», aucune dans «L’Echo du Vidourle». Par contre, les historiens rapportent que Jesucristo devint très célèbre, que sa vie fit l’objet de milliers de livres et de dizaines de films et qu’aujourd’hui encore tout le monde connait son nom. 
 
 Le temps passa. 
 
Nous sommes à Pozoblanco, province de Cordoue, Espagne, latitude: 38°22′44″ Nord, longitude: 4°50′53″ Ouest. Nous sommes en 1984, le 26 du mois de septembre. Dans l’arène, Francisco Rivera Pérez «Paquirri», de Zahara de los Atunes,  et «Avispado», de Sayalero y Bandrés. «Paquirri» est tranquille, il est beau, il a trente -six ans, il est figura du toreo, il est milliardaire, il donne des passes de cape et regarde le public en souriant. 
 
Au dernier rang du tendido, rictus aux lèvres, sentant mauvais et se grattant les couilles, une longue barbe noire le fixe. Méchamment, malignement, haineusement.
  
On raconte qu'on l'aurait entendu murmurer : "Avispado, hermano, dale fuerte; dale como lo hizo Islero".
 
Patrice Quiot