Lundi 29 Avril 2024
PATRICE
Samedi, 03 Février 2024
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Toros versus douceur angevine... (1)
 
« Qu’Angers ait pu avoir des corridas paraît aujourd’hui surprenant. Et pourtant, elles ont constitué le clou des grandes fêtes de 1894 et 1898.
 
Les années 1880-1890 multiplient les fêtes pour animer les différents quartiers de la ville. Un comité se crée en 1884, avant l’officielle Société des fêtes, fondée en 1901. Après avoir régulièrement organisé des fêtes de charité, la Doutre, pour 1894, veut frapper un grand coup. Le docteur Bichon, président du comité d’organisation, conseiller municipal et conseiller général, président de la Fanfare d’Angers-Doutre, est soucieux d’attirer la prospérité sur le quartier. La grande Fête des Fleurs de 1894 doit être extraordinaire. Tous les plaisirs sont convoqués : Retraites aux flambeaux, fête foraine, festival des sociétés musicales, ballon captif, grandes courses vélocipédiques, fête de gymnastique, danse serpentine dans la cage aux lions… Le point d’orgue ? De grandes courses de taureaux !
 
L’impresario des courses, Campion, passe contrat avec un matador, non des moindres : le premier matador français, Félix Robert. 
 
Félix Robert arrive à Angers le 16 juin 1894, déjà auréolé de gloire. Sa photographie est exposée à la chemiserie Crémieux, place du Ralliement et il y a foule devant la vitrine pour contempler ce «beau garçon, bien campé» (Le Patriote de l’Ouest, 16 juin). Avec sa cuadrilla, il défile en tête du cortège de la retraite aux flambeaux ce soir-là, juste derrière la musique de 135e de ligne. Les Angevins sont déçus : Les toreros sont en costume de ville. De leur côté, les taureaux de Camargue ont débarqué la veille, dans une voiture de déménagement. Les arènes en bois – construction provisoire – ont été édifiées place La Rochefoucauld. Cinq spectacles s’y déroulent, les 17, 21, 24, 28 juin et 8 juillet. 3 200 spectateurs assistent aux premières courses, le dimanche 17 juin. De chaleureux applaudissements saluent les prodiges du matador français et de ses collègues. On admire les jeux tauromachiques landais les plus variés – notamment le saut sans perche et les pieds dans un béret, le triple saut d’ensemble – mais aussi les jeux espagnols. 
 
Aucune des cinq courses ne correspond cependant à la véritable corrida espagnole. La mise à mort est remplacée par un simulacre, conformément aux lois françaises. Félix Robert, retenu par d’autres engagements après le 24 juin, assure brillamment les trois premières. Il est remplacé par l’espagnol Angel Adrada pour les deux dernières. À la souplesse et à l’agilité de la cuadrilla française succèdent l’audace et le sang-froid des Espagnols. Tous soulèvent une avalanche d’applaudissements, de fleurs, d’éventails et d’oranges… La recette moyenne des trois premiers spectacles dépasse les 6 000 francs. Elle est plus faible pour les deux suivants, moins suivis.
 
En 1898, le Comité des fêtes parvient de nouveau à faire venir à Angers Félix Robert, alors au faîte de sa gloire. Les arènes provisoires en bois – de 8 000 places – sont encore édifiées place La Rochefoucauld. « Les nouvelles courses, offriront certainement un autre attrait que celles qui ont eu lieu [en 1894], soit dit sans les débiner, car celles-ci seront de véritables courses comme celles d’Espagne avec des taureaux que l’on ne traite pas en animaux domestiques auxquels on va ferrer la patte, les exercices terminés. Les taureaux qui paraîtront les 10, 14 et 17 juillet seront si fatigués, si fatigués de leurs exercices, la espada Félix Robert fera si bien le geste de les tuer qu’ils ne reparaîtront jamais dans une arène. […] Le personnel employé sera suffisant pour que tout le cérémonial décent en pareille occurrence soit mis en œuvre, la résistance des picadores sera assez grande, l’agilité des capeadores et des banderilleros, l’audace froide de la espada assez imposante pour que l’on hurle et trépigne, jette cigares et bonbons dans l’arène comme à Séville ou Grenade […]. Nous aurons l’occasion de revenir sur le sujet avant les courses, mais disons déjà que l’idée en a été saluée avec un véritable enthousiasme par la population angevine qui a trop de soleil dans ses vins de tapage pour n’être pas à un moment donné assez méridional pour se laisser emballer par la lutte de l’homme contre l’animal puissant et furieux. » écrit Le Patriote de l’Ouest du 4 juillet 1898.
 
L’enthousiasme dure peu. Pour la première fois, des critiques s’élèvent contre les corridas: 
 
« D’abord, les places sont chères : 10 francs pour la tribune d’honneur, 5 francs aux premières, 3 pour les secondes, 2 au promenoir. Songeons qu’un ouvrier de la manufacture d’allumettes de Trélazé gagne 6,60 francs par jour ; une ouvrière, 5,05 francs seulement. Mais pourtant, poursuit le journaliste, la belle comédie d’Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, a fait salle comble au théâtre municipal, le moindre fauteuil se vendant au poids de l’or ». 
 
Certes, la course landaise intéresse, en particulier le saut en longueur, « exécuté par-dessus les vaches au moment où elles baissent la tête pour donner leur coup de corne. Cette lutte de souplesse, d’adresse, entre ces Landais si lestes qu’ils semblent en caoutchouc et les génisses futées, rusées, hargneuses qui, cela se voit, éprouveraient une réelle joie à défoncer quelques côtes ou à empaler quelques-uns de ces messieurs […], c’est la première partie de la course, elle s’achève. Personne n’a sérieusement de mal et l’on est passé par de très poignantes émotions. Bravo ! Bravissimo. » 
 
A suivre…
 
Patrice Quiot