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Dimanche, 04 Février 2024
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Toros versus douceur angevine… (2)
 
« Mais les choses se gâtent après l’entracte : «La course espagnole commence. Le sang va couler. Le ciel vire à l’ardoise. L’ambiance n’y est pas. Et puis, cela manque de cris, on ne s’appelle pas, on ne s’interpelle pas. Les gens qui parlent n’ont pas cet accent redondant et sonore qui anime et qui étourdit. L’insoutenable arrive. Les chevaux ne sont que pauvres rossinantes efflanquées. Le taureau n’en fait qu’une bouchée. C’est dans l’assistance un frémissement d’horreur qui ne fait que s’accentuer lorsque les intestins du cheval blessé commencent à pendre sanguinolents hors de la plaie béante. […] Le public s’anime de dégoût. Le cheval qui a été frappé le premier, excité par la souffrance, essaie de trottiner autour de la piste, ses tripes ballottent, laissant tomber quelques gouttes de sang. C’est profondément écœurant. Des hommes pâlissent. Des dames quittent l’arène un moment, d’autres détournent la tête. »
 
 Conclusion ? Après la mise à mort du taureau, Félix Robert salue et reçoit des cigares qu’on lui lance, des demi-londrès. « En Espagne aussi, souligne le commentateur, on accable le matador de cigares, mais ce sont des puros, des havanes… Eh bien, dans cette différence de cigares est la différence qu’il y a entre les courses d’Espagne et celle d’Angers, la même qui existe entre un havane et un demi-londrès. Le demi-londrès est un bon cigare, loyal, honnête, mais ce n’est pas le puro parfumé et capiteux. ».
 
Le journaliste du Petit Courrier, Émile Marchand, est bien plus sévère :
 
 «À la fin du spectacle, M. Pitre, commissaire de police, a verbalisé pour la mise à mort des taureaux et celle des chevaux. Nous ne pouvons qu’approuver cette verbalisation, surtout en ce qui concerne les chevaux. Que les infortunés espagnols vantent tant qu’ils voudront leurs courses de taureaux. Dans leur pays, elles procurent peut-être des jouissances particulières. Pour nous, tout en laissant à chacun la liberté de prendre son plaisir où il le trouve, nous considérons comme ignoble la vue de ces chevaux, qui ne tiennent plus sur leurs pattes, et dont on fait labourer le ventre à coup de cornes. Cette exhibition de tripes à la mode d’Espagne est affreuse. Autres lieux, autres mœurs. » (Le Petit Courrier, 11 juillet)
 
Le conseiller municipal Tarlé, dans une lettre adressée au maire et à la presse, proteste contre ce « spectacle répugnant, triste parodie des corridas espagnoles »…
 
Le 30 juillet, M. de Tarlé provoque un petit débat au conseil municipal, en demandant l’interdiction de telles courses à l’avenir. Il revient à la charge le 23 novembre, mais le conseil n’est pas unanime. « Si vous êtes l’ennemi des courses de taureaux, réplique le docteur Bichon, tout le monde n’est pas de votre avis. Un tiers au moins des habitants de la Doutre a été très heureux de les avoir. Ces fêtes ont fait beaucoup de bien dans le quartier, parce qu’elles y ont apporté beaucoup d’argent. »
 
Finalement, le conseil est d’avis de n’autoriser ces courses que si les chevaux ne sont pas sacrifiés.
 
En 1950, les courses de taureaux projetées pour le 28 mai par l’Amicale des anciens prisonniers, déportés, internés politiques et résistants de la police de France et d’outre-mer, soulèvent cette fois une vague de réprobation jusqu’à Constantine…
 
Une lettre de demande d’autorisation est envoyée à la mairie le 16 mars. À la suite d’un entrefilet paru dans Le Courrier de l’Ouest du 20 avril, le premier président de la cour d’appel écrit au maire Victor Chatenay : « Les services de police (sic) organiseraient le dimanche de la Pentecôte une authentique corrida avec quatre mises à mort. Je vous serais personnellement obligé de bien vouloir me donner l’assurance qu’il s’agit là d’une annonce fantaisiste et que personne n’a envisagé sérieusement l’organisation en Anjou d’une corrida avec mises à mort. »
 
Réponse du maire : « Aucune autorisation n’a été demandée à la municipalité pour organiser une corrida, cette manifestation aura lieu, je le présume, dans une enceinte privée ». Les dirigeants du stade Bessonneau et du stade du Crédit de l’Ouest, pressentis pour l’accueillir, se récusent. L’organisateur se rabat sur le stade des Banchais. Les sociétés protectrices des animaux rappellent l’interdiction – faite par la loi du 2 juillet 1850, dite loi Grammont – des courses au nord d’une ligne Bordeaux-Briançon, précisant que la Cour de cassation et le Conseil d’État ont déclaré qu’il appartient aux préfets de prendre des arrêtés d’interdiction quand les maires ne le font pas. 
 
Finalement, devant l’ampleur des protestations, l’arrêté préfectoral du 17 mai interdit toute course de taureaux dans le département, avec ou sans mise à mort. 
 
Ainsi se termine l’épisode des corridas angevines. »
 
Sources : «Vivre à Angers» n°363, mai 2012.
 
Datos 
 
Douceur angevine : Expression souvent employée en Anjou, aujourd'hui encore ancrée dans la mémoire collective.
 
Au fil du temps, cette expression s'est inscrite dans l'identité culturelle angevine. Il semble que son origine remonte au XVIe siècle, sous la plume de Joachim Du Bellay : 
 
« Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme celui-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !
 
Quand reverrai-je, hélas ! de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est une province, et beaucoup davantage ?
 
Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,
Que des palais romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine,
 
Plus mon Loir gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la douceur angevine. »
 
Joachim Du Bellay (né vers 1522 à Liré en Anjou ; mort le 1ᵉʳ janvier 1560 à Paris)
 
Les Regrets (1558)
 
Patrice Quiot