Samedi 27 Avril 2024
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Dimanche, 18 Février 2024
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La corrida du premier mai…
 
« Il serait tout à fait ridicule de considérer l’Espagne comme un lieu poétique et pittoresque. Elle n’est ni l’une ni l’autre. Elle est davantage. Elle est un poète. Et citerai-je la phrase de Max Jacob qui n’est point simple boutade : “Le voyageur tomba mort, frappé par le pittoresque” ? Livrons les touristes aux coups du pittoresque et vénérons cette Espagne qui, de période en période, met le feu à ce qu’elle adore, ce Phénix qui se brûle lui-même pour vivre. »
 
(Jean Cocteau, introduction à La Corrida du premier mai).
 
 
Publié en 1957 chez Grasset, l’ouvrage dédié “à Luis Miguel Dominguín et à Luis Escobar pour qu’il le lui traduise” fut inspiré à Jean Cocteau par la découverte de l’Espagne où il se rendit pour la première fois au cours de l’été 1953 et où il devait revenir plusieurs fois jusqu’à sa mort, et particulièrement par un événement survenu le 1er mai 1954.
 
Assistant à une corrida à Séville, Dámaso Gómez (1/04/1930- 2/05/2020) lui brinda son toro. Dès ce moment, la montera du matador sur les genoux, le poète “devint le spectacle auquel il assistait” et l’émotion fut si violente que Cocteau se demanda si elle ne fut pas à l’origine du premier infarctus du myocarde dont il fut victime un mois plus tard.
 
Cocteau comprit alors le secret de ces noces entre la “Dame blanche” représentée par le toro, son “ambassadeur” et le torero. La corrida jusqu’alors extérieure s’incorpora à sa mythologie personnelle. Dès lors, Jean Cocteau comprit l’Espagne et l’aima avec respect, avec passion. 
 
 La « Corrida du premier mai » fut l’une des œuvres de Cocteau dont il eut le plus de difficulté à venir à bout. Né du choc éprouvé le 1er mai 1954, le livre se donne pour ambition de « fixer les modifications de la conscience obtenue chez un Français par cette drogue du peuple d’Espagne : la corrida ».
 
Cocteau prend aussitôt des notes relatives à l’art tauromachique, à l’âme du peuple espagnol, à Séville, refusant tout pittoresque facile ; il veut plonger au cœur de ce qu’est l’essence de la corrida, dont il souligne la dimension tragique et sexuelle.
 
Ce n’est que deux ans plus tard, au début d’octobre 1956, qu’il envoie ces pages accumulées à son jeune ami Jean-Marie Magnan (1929/2020), à charge pour lui de relier ces notes éparses et de « reconstituer la bête ».
 
Extraits :
 
“La haine est absente d'une corrida, n'y règnent que la peur et l'amour”
 
« J’en arrive à cette conclusion que la grandeur des arènes vient de ce que le dialogue final est entre l’homme et la mort, que le taureau n’est que délégué par elle et que c’est elle qui porte un masque noir et des cornes, que c’est entre son ambassadeur et le torero que se déroule le dernier acte du drame. » 
 
« Un examen de conscience honnête obligerait le spectateur de course à s’avouer qu’il n’irait pas aux arènes sans que le danger de mort y règne. »
 
« Dans la corrida, il n'y a ni lutte, ni duel entre l'homme et la bête, mais la formation d'un couple isolé…On remarquera en outre, avec quelle curieuse volupté le couple de la bête et l'homme s'enroule, se frôle et se caresse."
 
"C'est que le grand mystère de la Fiesta consiste justement en ce paradoxe d'adversaires qui tour à tour se féminisent et reprennent les prérogatives de la virilité. »
 
"Cérémonie qui cherche, soit par la corne, soit par l'estocade, à imiter cette pénétration par laquelle nos solitudes cherchent à s'illusionner et à obtenir, à l'aide d'un acte déviant de tout but procréateur, une sorte de triomphe fugace de victoire sur le chiffre deux, signe de mort."
 
“Le torero est un homme qui marche, à priori, vers le suicide.”
 
“Assise en train de nous attendre tous, immobile à faire peur, traine cet insecte androgyne aux ailes blanches : la mort.”
 
“La bête s'orne donc d'un bouquet de roses trémières et d'un manteau de sang, comme si elle affichait son orgueil au moment d'accepter la mort de la main d'un être si faible qu'elle le pourrait vaincre par une dernière petite charge.”
 
Datos 
 
La corrida du 1er mai : En 1954, Jean Cocteau séjourne à Séville. Lors d’une corrida, le torero Dámaso Gómez Díaz lui dédie son toro. Ce geste lui inspire l’essai tauromachique, La Corrida du 1er mai Le texte n’est pas seulement le récit d’un voyageur français en Espagne, c’est une foule de sentiments et de sensations d’un poète qui reçoit la montera d’un torero sur ses genoux. Cet objet est le symbole de toute une mythologie que Cocteau accepte en héritage. Tous les éléments de sa poétique se trouvent réunis dans « La corrida du 1er mai » : la poésie, le poète et son processus de création, les mythes, la figure de l’androgyne, la mort, la femme, le flamenco, le merveilleux, mais aussi les personnages espagnols qui l’ont tant marqué : Manolete, Lorca, Pastora Imperio, et surtout Picasso.
 
Jean Cocteau, né le 5 juillet 1889 à Maisons-Laffitte et mort le 11 octobre 1963 dans sa maison à Milly-la-Forêt, est un poète, peintre, dessinateur, dramaturge et cinéaste français.
 
Louis Aragon évoquait un « poète-orchestre ».
 
La réputation de Cocteau était scandaleuse, en partie parce qu'il vivait son homosexualité sans la cacher, sans non plus la revendiquer, selon les codes de l'époque. Son travail est émaillé de nombreuses critiques envers l'homophobie.
 
En 1937, Cocteau rencontre Jean Marais, au profil identique à celui d’Éphèbe, que Cocteau dessine sans cesse et qui dira à son sujet « Je ne l’ai pas connu, je l’ai reconnu ». Jean Cocteau joue un rôle ambigu durant la Seconde Guerre mondiale, les résistants l'accusent de collaboration avec les Allemands, une partie de son passé (1939-1944) reste mystérieuse.
 
En 1960, l'artiste tourne Le Testament d'Orphée avec le soutien financier de François Truffaut.
 
Parallèlement, il s'engage dans la défense du droit à l'objection de conscience, entre autres en parrainant le comité créé par Louis Lecoin, aux côtés d'André Breton, Albert Camus, Jean Giono et de l'abbé Pierre. Ce comité obtient un statut, restreint, en décembre 1963 pour les objecteurs.
 
Le 10 octobre 1963, apprenant la mort de son amie Édith Piaf, il est pris d'une crise d'étouffement et succombe quelques heures plus tard d’une crise cardiaque dans sa demeure de Milly-la-Forêt, le 11 octobre 1963. Il est enterré dans la chapelle Saint-Blaise-des-Simples à Milly-la-Forêt (Essonne).
 
Sur sa tombe, cette épitaphe : « Je reste avec vous. »
 
 
Patrice Quiot