Samedi 27 Avril 2024
PATRICE
Jeudi, 07 Mars 2024
stylo07pq1
 
Saleté d’écriture !!!
 
« Je n'ai jamais écrit, croyant le faire, je n'ai jamais aimé, croyant aimer, je n'ai jamais rien fait que d'attendre devant la porte fermée ».
 
L’amant (1984) -Marguerite Duras (1914/1996).
 
L’écriture est infectieuse, virale, parasite. Elle a une odeur de beau remugle, de manard qui creuse une tranchée, de prolétaire sur une chaine de montage, de forçat de Cayenne qui, les fers au pied, cassait les cailloux du bagne, de sidérurgiste devant la gueule ouverte d’un haut fourneau.
 
Elle dit l’haleine de Bukowski, la sueur forte des routes de Kerouac, des chemins kabyles de Mouloud Feraoun, des pistes de Nguyên Giáp et celle du banderillero à la grimace de peur en museau de lapin.
 
Noire comme le fond d’un gouffre c’est une hija de puta de luxe, une susceptible danseuse du cabaret des mots qui se veulent champagne, mais qui brûlent pour étancher et dessèchent pour désaltérer ; c’est un puits de pétrole visqueux qui s’enflamme en puant ; c’est une perpétuelle et somptueuse blessure ouverte à la gangrène.
 
L’étreindre est une besogne longue et pénible qui excave de la fosse les bizarres choses qui y sont enfouies, qui nourrit la corbeille à papier et se forge dans le dur, le saumâtre, l’inconfort, l’aigreur, les maux de tête et la fumée de cigarette.
 
En habit de feuille blanche, elle attend à la lumière jaune de la lampe de bureau ; seul, il se penche sur elle. Elle, fermée comme un maton de Clairvaux, lui, inquiet comme un taulard de Genet à sa première douche. Elle, comme une splendide hydre de Lerne avec autant de cornes que de têtes et lui comme un cateto de village en haillons de passes.
 
C’est un monstre tapi qui lorgne un bravache tremblant.
 
Envahissante, tentaculaire, elle lui vrille l’estomac, lui tord l’intestin, raccourcit ses journées et réveille ses nuits. Elle érode comme la pierre ponce et coupe comme le fil du rasoir dont elle marque la brûlure, ignore le confort du peignoir de bain, le moelleux des charentaises, le lisse de la crème apaisante, mais écorche comme un vestido en feuilles d’orties.
 
Immense dans son statisme, elle sort ses griffes, s’agrippe aux mots, refuse la phrase, se défend, gratte le piso du sens, souffle en cherchant les zapatillas du trouble.
 
Si au détour d’une phrase parfois elle sourit, c’est pour tout de suite après mieux accabler de son intransigeante exigence. Elle fouette comme un bain de glace, ramollit la chair comme la vapeur d’un hammam, irrite la peau comme le droguet de la camisole de force ; cruelle à en pleurer, ensorceleuse, elle s’offre lascive avant de se refuser, close comme l’hócico d’un toro qui se refuse à mourir, murée dans l’attente, verrouillée comme la salle de bain de Marylin.
 
Immense des horizons qu’elle ouvre, on raconte que des sirènes avares gardent ses secrets ; maléfique, on sait que des aventuriers s’y sont à jamais perdus ; terrible, on dit d’elle que, comme une muleta tachée de sang, le papier sur laquelle on essaye de la coucher pour la prendre brûle mal.
 
Que faire pour essayer de la soumettre ? Se croiser avec le lexique ? Citer le sens ? Tirer des phrases ? Mettre à mort la ritournelle ? Prudence, cuidado, car avec elle, on ne se méfie jamais suffisamment.
 
Retorse, elle attend la faille du pasito atrás ; rouée, elle sait la main qui tremble ; futée elle empoigne la béance du doute, dangereuse, elle blesse la certitude ; elle ne donne rien et exige tout. ; terrorisant ceux qui s’y frottent, elle attise la peur de la médiocrité et renvoie aux planches ceux qui lui manquent de respect.
 
Elle laisse croire qu’avec son artifice on peut se faire la belle du charnier du commun, être grand, notoire, devenir immortel de la Puerta del Príncipe de la NRF. En réalité, elle fait de celui qui s’y essaye un bonze nourri de l’aumône des grains de riz que lui consentent ceux qui le lisent, un maletilla condamné à la tapia des phrases et récidiviste à perpette des mots.
 
Immense dans sa pelea, insolente dans ses arrancadas, consciente de sa force brutale, elle n’a pas besoin de pièce d’identité, est arrogante, prétentieuse et n’aime que l’éclat du diamant.
 
Beaucoup l’exècrent, mais elle n’en a cure et fait sienne la voix de Caligula : « Oderint dum metuant », « Qu’ils me haïssent pourvu qu’ils me craignent ».
 
Comme le « Curro, je te hais ! » jeté dans le vide de sépulcre d’un après-midi d’avril et à l’image de ce râle gitan sculpté par le tabac, nauséeuse, fétide, monstrueuse, l’écriture est superbe.
 
Souvent je me maudis de tant l’aimer…
 
Patrice Quiot