Vendredi 29 Mars 2024
MORANTE

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Le sublime et Morante de la Puebla, par Julien Aubert...

 

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Morante de la Puebla, Jerez de la Frontera

Jerez de la Frontera – Arles – Zafra

Morante de la Puebla ouvre son capote comme le peintre ouvre ses tubes de peinture, sort ses pinceaux et presse chacun des tubes sur sa palette. La lumière que le soir naissant répand sur Jerez, sur Arles et sur Zafra donne aux couleurs des tonalités chaudes et vives. Sur la palette, les pinceaux dessinent des va-et-vient, ils mélangent les couleurs les unes aux autres, ils donnent mouvement à une matière flasque et malléable, endormie sur le bois. Lorsque Morante peint muleta ou capote en main, c’est tout son cœur et c’est tout son corps qui se pressent, qui s’étreignent, qui se révoltent contre le corps-artiste, contre le corps-matière. Il se froisse et sourit, il craque et chante une lente et profonde mélodie sur le sable obscurci par l’ombre du taureau.

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Luis Francisco Esplá décrit parfaitement le déchirement que ressent l’artiste au moment de la création : “Todo arte mata. El arte comienza a ser grande cuando el artista se mueve en los límites de la creación, y eso conlleva estar constantemente asomado al balcón del desgaste personal. Eso crea conciencia de lo finito, de tus incapacidades, y te va descarnando. A veces tengo la sensación de haber ido dejando jirones de mí por las plazas de toros.”

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Arles, taureau de Zalduendo

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Le déchirement, par la faille engendrée, laisse échapper le sublime, cet instant présent déjà passé, ce passé conjugué au présent. Par la faille, limite entre soi-même et l’infini, coupure et lien, surgit la lumière (ou clarté) dont parle José Bergamín dans sa Clarté de la tauromachie. Bien souvent, c’est parce que l’on ne sait décrire, c’est-à-dire saisir au creux du mot, au gré des mots, cet instant magique, cet instant sublime, que l’on perçoit la grandeur de la chose, la beauté de l’art, l’absence d’artifice.

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A Jerez de la Frontera, comme à Arles et à Zafra, Morante éclaire de son art et par son art cet antre obscur qu’est le monde moderne dans lequel nous vivons. Dans nos rétines, les couleurs et les lumières foisonnent, se mélangent et s’entrelacent à l’image d’un tableau d’un torero-peintre : Palomo Linares.

De l’exigence à l’attraction du sublime

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Œuvre de Palomo Linares

Créer, produire une œuvre, c’est avant tout s’exiger, en tant qu’artiste, d’atteindre le sublime. Non pas la beauté, mais le sublime. Et cela se traduit par une recherche esthétique et/ou éthique permettant de délivrer le sublime. Telle est la quête du torero, telle est la quête du peintre. Ce n’est pas en faisant appel au “beau” que l’on s’érige en tableau sous le regard du spectateur. Non. C’est lorsque l’on s’exige de faire advenir le sublime que l’on fige le regard du récepteur, qu’on l’impressionne, qu’on modifie sa perception et son langage, bref, que l’on établit une rupture. En effet, c’est cette rupture qui attise l’incompréhension, c’est cette rupture que crée la faille et c’est elle qui permet au récepteur de consommer et d’apprécier le sublime déjà surgi, le sublime qui a été et qui n’est plus.

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L’artiste est attiré par le sublime. Il est l’objectif qu’il tente d’atteindre. Il est aussi ce qui attire le public, ce qui réunit dans un lieu déterminé une multitude d’individualités. Le torero torée de salon tout au long de sa vie dans ce but là. Le public va aux arènes afin de consommer ce sublime unique et multiple, caractéristique à la scène tauromachique. D’une exigence personnelle à une attraction multiple, le sublime semble bien s’inscrire dans un mouvement, de corps et d’esprits, mouvement que la tauromachie matérialise. Les œuvres signées de la main et de la muleta de Morante de la Puebla tout au long de la temporada 2011 sont un exemple de cette matérialisation du mouvement de corps et d’esprit.

Julien Aubert - TOREART