Dimanche 19 Mai 2024
Regard Bruxellois
Jeudi, 03 Mai 2012

Intégralité d’un long courrier reçu de la part d’un aficionado de Bruxelles…

« Un regard depuis Bruxelles. Crise, récession… mais à quand la croissance ?

Les trois premières grandes Ferias de la saison 2012 sont mortes. Valence et Arles sont déjà loin, plus besoin de revenir dessus, mais Séville a tombé le rideau dimanche et l’heure est aux constatations, aux contestations. Ce constat est inquiétant, navrant, désolant… peu emballant. Les contestations et les interrogations sont nombreuses.

Nous savons tous que la crise frappe l’Espagne de plein fouet et les spectacles de masse ne sont pas épargnés par le manque de pouvoir d’achat de ses consommateurs. Même le célèbre Stade Santiago Bernabeu du Real Madrid ne fait pas le plein lors des matchs de la Liga, alors qu’ils seront sacrés la semaine prochaine « Campeones 2012 ».

La Maestranza n’a pas échappé au phénomène. De mémoire, je n’ai jamais vu autant de ciment lors de la première semaine de Feria. Même lors de la semaine des « Farolillos », la Maestranza ne s’est remplie qu’à deux occasions. Faute à la crise sans aucun doute, mais pas qu’à la crise, ne vous trompez pas.

Mais revenons au début de l’histoire. Lors de la présentation des cartels de la Feria 2012, cris et stupeurs furent au rendez-vous. Sevilla, qui est connue pour ses cartels rematés, nous servait une Feria bien pauvre avec deux réels cartels complets de figuras et un cartel pour aficionados, sur 16 après-midis de toros. Pas de Juli, ni de Perera, ni de Curro Díaz, des doublons sans consistance et même des triplés non justifiés. Entre la crise et le manque d’intérêt des cartels, la sentence ne s’est pas fait attendre. DIMINUTION DES ABONOS et cette image lamentable d’une Maestranza vide de plus de moitié la première semaine de Feria.
Mais comme la corrida est un art et non une science exacte, il nous restait l’espoir que des chiqueros sortiraient des toros braves et que face à eux, des toreros courageux ou artistes nous offriraient des après-midi mémorables.

Mais ce fut le mur des lamentations à Sevilla la plupart des après-midis, et ceux qui ne prirent pas leurs abonnements s’en allèrent sourire aux lèvres car ils ne s’étaient pas trompés, tandis que ceux qui avaient renouvelé leur abono jurèrent qu’on ne les reprendrait plus dans un tel traquenard.

Se sont sauvés du naufrage :

* Une corrida de toros de Victorino Martín tel qu’on l’entend avec des toros braves et d’autres plus compliqués, mais toujours des toros.
* Les estocades a recibir de Manzanares ainsi que le niveau excellent de sa cuadrilla.
* Le sens de la lidia de Javier Castaño.
* Un grand toro de Cuadri qui est malheureusement tombé dans les mains inexpertes d’Alberto Aguilar.
* Un très grand toro d’El Pilar dont a profité à moitié David Mora.
* Le courage de Rafaelillo. 
* Les naturelles de Talavante et cette grande estocade au ralenti.

Les « oui-mais » :

* Une belle corrida de Fuente Ymbro qui ne fut pas mise en valeur par les trois matadors. Mais on retiendra surtout de cette corrida qu’on ne vit pas la bravoure des toros étant donné que la corrida resta inédite à la cavalerie.
* Les faenas de Manzanares face aux Victoriano del Río. Manzanares, c’est l’élégance à l’état pur. Manzanares, c’est le fils adoptif de la Maestranza. Mais toréer, ce n’est pas faire le beau, toréer c’est se croiser, c’est mettre la jambe dans la trajectoire du toro, c’est templer la charge du toro jusqu’à la fin, enfin toréer ce n’est pas ce que fait le beau Manzanares. Le jour où Manzanares se croisera et mettra la jambe, je ferai Bruxelles-Sevilla ou Madrid ou Malaga à pieds, tant ce torero est élégant. Mais entre temps, je continuerai à râler sur ce public s’extasiant sur ces passes de mensonge du toreo.
* David Mora, Ivan Fandiño, López Simón et Nazaré, ces matadors qui coupèrent chacun une oreille méritée, mais qui furent pauvre par rapport à ce qu’offraient leurs opposants. A la décharge de López Simón, le toro de l’alternative pèse toujours plus et c’est avec plaisir qu’on le reverra.
 
Mais pour le reste, ce fut le naufrage. Des toreros insipides et sans idées ont foulé le sable de la Maestranza. Des toros sans caste, sans force et sans fond de bravoure ont mis à mal notre aficion. Un public trop généreux ou trop docile a fait de Sevilla une arène de plus et sans grand intérêt. Des corridas qui se sont converties en corridas sans picadors, tant les toros étaient faibles. Des matadors avec envie, mais sans toros … etc … etc… en espagnol, nous disons « aburrimiento total ».

Et Madrid débute la semaine prochaine avec le même scénario que Sevilla. Des cartels sans intérêt et la vente des abonos en chute libre.

Alors, Messieurs les empresarios, les apoderados, les ganaderos et les toreros, le sort de la corrida est entre vos mains. Nous sommes en temps de crise financière, mais surtout nous sommes en temps de crise du spectacle que vous proposez « tarde tras tarde ». Nous en avons marre de vos querelles de droits TV qui enrichissent un petit peu plus les vedettes de la tauromachie, alors que beaucoup d’Espagnols doivent se sacrifier pour payer leur billet de corrida.

On en a marre qu’à cause de vous, la corrida perde chaque jour un petit peu plus de son côté magique car avant même de rentrer dans l’arène, nous savons ce que l’on va voir sur le sable.
 
On en a marre de voir ces toros sans caste et sans bravoure sortir du toril pour faire plaisir à ces figuritas qui ne veulent plus que leurs opposants soient braves, forts et fiers comme doit l’être un toro de corrida. On en a marre que les « grands toreros » n’affrontent qu’un seul encaste, ou plutôt que deux ou trois élevages de ce même encaste.

Je rêve d’après-midi de toros à Madrid, Sevilla ou ailleurs avec des cartels comme ceux-ci :
 
Toros de Victorino Martín pour El Juli, Talavante et David Mora.
Toros de Dolores Aguirre pour Ponce, Manzanares et Fandiño.
Toros de Cuadri pour Castaño, Castella et Perera.
Toros de Miura pour Morante, Rafaelillo et El Cid.
Toros de Joselito pour Juan Mora, José Tomás et Arturo Saldívar.
Toros de Fuente Ymbro pour un mano a mano José Tomás et Ponce.
Toros de Cebada Gago pour un mano a mano Morante et Manzanares.

Et je peux vous dire, Messieurs les empresarios, qu’avec des affiches comme celles-ci dans vos Ferias les arènes se rempliraient, crise ou pas crise, et les abonos se vendraient pour ne pas rater ces après-midis. Et je peux vous dire Messieurs les toreros qu’avec des cartels comme ceux-ci, nous verrions si vous êtes des figuras ou de bons toreros, et vous seriez à nouveau des Dieux Vivants comme l’étaient Manolete, Belmonte, Joselito, Paco Camino ou Antonio Ordóñez. Et je peux vous dire Messieurs les ganaderos que doucement, vous pourriez inverser la tendance et élever des toros pour la Fiesta et non des toros pour les toreros.

Le tout est de vouloir que la Fiesta reste ce moment magique et intemporel. Le tout est de savoir si les toreros veulent être des Toreros ou des peoples de magazine. Le tout est de vouloir sortir de la crise en créant de la croissance. Et arrêter de cacher vos erreurs derrière la crise économique.

Pour créer de la croissance, il faut susciter de l’intérêt. Et vous êtes les seuls à pouvoir susciter cet intérêt, vous tous ensemble. Entre temps, nous, les aficionados, continuerons à choisir les corridas auxquelles on veut assister tout en regardant notre porte-monnaie. Et chaque jour une poignée d’entre nous restera à la maison. Et poignée par poignée les arènes se videront.

Quand la crise sera passée, elle laissera derrière elle des gradins vides. Vidés par vos fautes et cette crise du spectacle. Parce que vous n’avez pas innové, parce que vous avez manqué d’idées ou de courage. »
Esteban SALIDO FERNANDEZ
Depuis Bruxelles

(NDLR : Comment ne pas être d’accord, du moins en partie, lorsque l’on revient du “tostón” de Séville ? Cela dit, il faut toujours se méfier de la nostalgie des époques passées, celles où tout était merveilleux, j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer ce phénomène…

Quant aux cartels proposés, avant de les voir  imprimés sur une affiche, il coulera beaucoup d’eau sous les ponts du Rhône, du Guadalquivir, et même du… Canal de Willebroek !!! Mais on peut toujours rêver…)