Vendredi 19 Avril 2024
Victorino Martín
Mercredi, 29 Janvier 2014

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 Deux heures en compagnie de Victorino Martín père et fils…

 Le vendredi 24 janvier, l’Espace Pablo Romero de Nîmes avait attiré la foule des grands jours pour une soirée à marquer d’une pierre blanche : la réception des deux Victorino Martín, accompagnés de Paco Ruiz Miguel, torero de la casa s’il en est, qui devait intervenir le lendemain.

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Présentée par Laurent Giner, avec David Chabal et Eric Peredes comme intervenants, la soirée a été ponctuée par les propos des ganaderos qui ont enthousiasmé l’auditoire par leur charisme et leurs connaissances. Disons que le père et le fils, sans entrer dans un conflit générationnel, n’ont pas à l’évidence toujours la même optique, ni la même diplomatie, mais sur l’essentiel, ils forment une pareja bien complémentaire…

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Avec la traduction d’Elisa Martinez, c’est principalement Victorino hijo qui a pris la parole, son père la lui coupant par moments pour apporter sa pierre à l’édifice, dans son style plus abrupt, envoyant quelques « palos » bien sentis qui ont déridé l’atmosphère…

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VM fils : « Nous sommes très heureux de nous trouver ici, entourés d’autant d’aficionados, et nous savons bien que la France sait entretenir la flamme de la Fiesta. Je vois des visages qui correspondent à toutes les régions et villes, et dans cet endroit, je sais combien les Amis de Pablo Romero s’emploient à défendre la tauromachie…

Quand la ganadería s’est divisée en deux, on en a acheté une partie. C’était une marque profonde qu’on voulait garder. Quand mon père est arrivé dans ce monde de l’élevage, il n’y avait pas de guarismo (marque de l’année de naissance). C’était une époque compliquée, on n’indiquait pas non plus le poids dans les arènes, c’était celle du Cordobés et il fallait pouvoir s’imposer.

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Il y avait beaucoup de festejos populaires autour de Madrid où le toro était roi, c’était le véritable protagoniste. Mon père venait de cette culture.  A cette époque, la ganadería qui était la propriété de trois personnes, était mal gérée, elle sortait surtout en tant que sobreros à Las Ventas, mais tous ont eu quasiment du succès, notamment pour l’alternative du Viti. Elle était inégale, mais avait toutefois un fonds à exploiter et conservait une part de son identité, sortant alors sous le nom d’Escudero Calvo.

Dans ces années-là, c’était les riches qui possédaient les ganaderías importantes. Mon père a misé sur les toros de qualité avec toutes les ramifications que ça pouvait apporter. Il compensait avec son métier de base (maquignon), il apportait ce qu’il avait et ça a été une vraie révolution, à savoir fabriquer quelque chose d’important avec de petits moyens.

Les veedores ne vont pas chez nous choisir les toros, on leur dit qu’il y a tel ou tel toro, nous avons nos propres critères et nous n’en dérogerons pas. Dans ce contexte, nous avons une phrase des années 60 venant de mon père qui vaut toujours : « les toros et les toreros doivent être comme les rails d’une voie ferrée, toujours parallèles et ne doivent jamais se croiser ! »… Pour que l’on puisse briller, il faut que l’autre brille aussi !

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Dans les années 60 à 80, il y avait des corridas à Madrid, San Sebastián de los Reyes et Colmenar Viejo. Quand on devait choisir, mon père me disait toujours qu’on irait à Las Ventas, là où on défendait le toro. Dans ces années-là, c’était très difficile pour nous, mais Las Ventas était la plaza que mon père visait et qu’il ne voulait pas perdre de vue car c’était là que pouvait se concrétiser son travail.

Mon père a débuté à Madrid en 1968 et cette année-là, on avait trois corridas, avec des toros de quatre, cinq et six ans. Le Cordobés et Palomo Linares devaient lidier une corrida de Galache, ils étaient indécis, et mon père  a alors dit : « Moi, j’en offre une… et maintenant, on va voir qui va la toréer !!! »… Evidemment, ça n’a pas été eux !

Cette même année, mon père a eu un grave accident de campo, un semental lui infligeant neuf cornadas. C’était dramatique, il fallait payer tous les soins, on n’avait pas d’argent, et un des amis de mon père a alors emmené les responsables de Las Ventas en vue de lui acheter des toros. Mon père, qui ne pouvait pas payer l’hôpital, était alors hébergé chez ma grand-mère à Cáceres, et sa première sortie a été pour retourner au campo afin de rencontrer l’empresa de Madrid.

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Quand ils sont venus, ils on été impressionnés pas ses toros, ils disaient en voyant les armures que c’était des cerfs ! Le 18 août, la première corrida de mon père est sortie à Las Ventas, elle a été très compliquée et le lendemain, la presse titrait : « Des toros d’hier pour des toreros d’aujourd’hui ! »… Ils avaient pris 21 piques et la corrida a beaucoup plu…

Quinze jours après, mon père a lidié une autre corrida dans cette même arène, avec le lot le plus imposant. Les vétérinaires ont alors dit que c’était la corrida avec le plus de trapío qu’ils ont vue depuis la guerre civile ! Ce jour-là, il y a eu deux facettes, un grand toro, mais aussi une cornada. Mais l’aficion s’est épris pour la ganadería et la dernière corrida qu’il nous restait est aussi allée à Las Ventas parce que les aficionados la réclamaient. Nous avons donc tout vendu pour Las Ventas en un mois !  Pour cette corrida, El Inclusero a coupé une oreille et l’année suivante, on a lidié une corrida en août et c’est cette année qu’on a vu apparaître le torero spécialiste de nos toros. Parce que si on leur faisait bien les choses, ça pouvait bien se passer, mais dans le cas contraire, ça pouvait vite tourner à la catastrophe !

Est alors arrivé le torero adéquat, Andrés Vázquez. Il arrivait des capéas et a coupé trois oreilles à Madrid, dont deux avec un de nos toros, « Baratero » qui a eu le premier l’honneur de la vuelta al ruedo. La corrida a été complète et s’il n’y avait eu l’épée, ils auraient tous coupé des oreilles. Avant de débuter pour San Isidro, quatre de nos toros ont fait une vuelta et c’est à ce moment-là que tout s’est décanté pour nous. On a pu en outre prouver qu’un toro qui avait plus de trois ans et demi pouvait donner de bonnes choses. Le moment le plus fort de cette étape a été le 3 mai, Andrés Vázquez coupant plusieurs oreilles lors d’une encerrona avec des toros âgés.

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En 71, nos toros devaient retourner à Madrid, mais mon père a alors exigé de l’argent car il lui en fallait pour pouvoir continuer et aller de l’avant. C’était son unique source de revenus, les toros coûtaient cher. Tous les ganaderos qui lidiaient alors pour San Isidro encaissaient 300.000 pesetas. Mon père a dit qu’il n’était pas plus idiot qu’un autre et que maintenant, il fallait payer. Il a alors demandé 500.000 ! En 1971, ça n’a pas eu lieu, et en 72, il a débuté à San Isidro… et il a eu son argent !!!

Il y a des gens qui ont du génie pour communiquer et mon père n’a pas son pareil pour mettre les pieds dans le plat ! Les journalistes pensaient qu’ils l’utilisaient, et lui leur disait pourquoi pas, allez-y… Et en définitive, c’était lui qui payait les pots cassés ! Il disait ce qu’il ressentait, il ne mentait pas. En 71, il a lidié ses corridas à Vista Alegre, il n’avait rien encaissé et il a tenu tête à l’empresa de Madrid qui avait une cinquantaine d’arènes. Les gens lui disaient alors que s’il allait contre cette empresa, il pouvait tout arrêter ! Mais lui persistait, il disait ce qu’il pensait, il a communiqué comme il en avait envie, il n’avait pas peur, et par la suite, ce qu’il disait, il le réalisait, ce n’était pas des paroles en l’air, c’est ce qui a fait sa force.

(S’ensuivit une diatribe sur le Juli… avec lequel le père n’a pas été tendre !)

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En 2003, El Juli voulait tuer une de nos corridas… mais mon père a fait savoir qu’il ne voulait pas ! Il s’était mal comporté avec nous, d’où la décision de mon père, et José Luis Lozano, qui était alors empresa de Madrid, a dit qu’il n’avait jamais vu ça ! Il ne comprenait pas que la principale figura du toreo à ce moment-là ne pouvait pas lidier une ganadería de premier plan. Mais mon père a répliqué que si le Juli venait tuer cette corrida, il reprenait ses toros !

Chacun a sa manière de communiquer, je dis les choses à ma façon. Le Juli a ses défauts, il est compliqué, mais il a aussi des qualités. Je ne veux pas lui donner un palo comme vient de le faire mon père, je le respecte parce que je veux qu’on me respecte aussi !

Concernant l’apparition du guarismo, il y a des ganaderías qui ont disparu à cause de ça. A la fin des années soixante, on recherchait un toro à la morphologie plus imposante, c’est ce qui a fait évoluer les choses, et celles qui avaient aussi moins de présence physique ont disparu, comme avait disparu la caste vazqueña avec l’arrivée du peto. Celui qui ne s’adapte pas est voué à disparaitre. Pour nous, rien n’a bougé. On a entre 300 et 350 vaches et ce nombre de têtes n’a rien changé dans notre sélection. Chaque année, on tue à peu près 150 vaches.

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Les années glorieuses de notre ganadería se situent en 1975 et 1982. Ce n’était pas le fruit du hasard. Pendant quatre ans, on a eu une corrida complète à Las Ventas, puis une autre a été suspendue, et la corrida  de 82, qu’on a appelé « la corrida du siècle » a été notre plus belle récompense par rapport au travail fourni.

Voir une vidéo de cette corrida en cliquant ICI (une vidéo pour chaque toro)

Malheureusement, la presse n’a pas donné beaucoup d’importance à cette corrida, alors qu’il y a eu par rapport à elle un avant et un après. Les toreros - Ruiz Miguel, Luis Francisco Esplá et José Luis Palomar - n’ont pas eux aussi été traités comme ils auraient dû l’être. Peu de gens ont parlé de ce que cette corrida a apporté par la suite. Au cours de cette tarde, on a vu une corrida complète à tous les niveaux, dans tous les tercios, mais ça n’a pas été assez valorisé. Les toros ont été bons, mais les maestros ont été vraiment inspirés.

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L’Espagne finissait un premier cycle de transition politique, la Coupe du Monde de football était le premier événement au niveau mondial depuis 1929. Et pour l’annoncer, pour donner de l’impact à cette grande compétition, on mettait des images de cette corrida !

Quand on me demande à quelle époque j’ai commencé à travailler dans l’élevage, je réponds depuis que je suis né ! Quand j’avais six ans, à Galapagar, j’étais déjà à cheval au milieu des toros ! Dès que j’avais un petit moment, je partais à cheval pour les voir, je suis né là-dedans, et depuis toujours, j’ai eu la passion des toros et de l’élevage. Je suis né en 1961 et je peux dire que j’ai grandi avec cette ganadería. Je me souviens de tout, je peux vous dire le nom et le numéro de tel ou tel toro.

Mon influence commence vraiment à partir de 1983. Au début, je voulais être torero et je suis parti vivre à la finca. J’ai participé à pas mal de tentaderos, je discutais avec mon père et j’ai beaucoup appris. Je commençais à donner mon avis, et avec mon père, nous étions souvent d’accord. En 1987, j’ai terminé mes études de vétérinaire et je me suis alors consacré à l’élevage, partant vivre à Cáceres.

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 Dans la vie, ce qui compte le plus, davantage même que les études, c’est ton aficion, ta volonté, ton enthousiasme, l’envie de bien faire les choses. Tu peux avoir beaucoup de connaissances, mais sans ce que je viens de dire, elles ne serviront pas à grand-chose.

La conjoncture a fait que les choses ont évolué dans le bon sens. Il faut tomber dans le bon créneau, on n’a jamais exigé autant du toro, d’abord pour tout ce qu’on impose à une ganadería, que ce soit au niveau vétérinaire ou hygiène, puis par rapport aux exigences que l’on a pour le toro, sur l’âge, le poids, les armures, la pique. Il y a des piques qui durent jusqu’à trois minutes, des lidias qui ne sont pas appropriées, et en outre, le toro  qui ne peut pas donner cent passes sera jugé négativement. Et si un torero ne comprend pas un toro, ce sera toujours la faute du toro !

C’est pour ça que tout le monde a évolué. Actuellement, le ganadero est le moins compris et celui à qui on exige le plus. Les aficionados entendus savent le travail que représente la préparation d’un lot de toros en vue d’une corrida, mais la plupart des spectateurs s’en moquent et le toro que mon père lidiait dans les années 80 ne serait pas forcément accepté aujourd’hui de la même façon !

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 Aujourd’hui, on demande un toro très complet dans tous les sens du terme, dans le domaine de la présentation et de tout ce qui va avec. En ce qui concerne l’alimentation, il faut apporter quelques modifications, mais la base est restée traditionnelle. Nous fabriquons notre propre nourriture, pour les toros comme pour les vaches.

Pour les vaches, on s’est amélioré car nous avons un peu plus d’espace. Mon père a réinvesti l’argent qu’il a gagné avec les toros, c’est pourquoi nous avons pu offrir plus d’espace à nos vaches, ce qui a amélioré la nourriture naturelle, avec plus d’herbages, mais les aliments complémentaires sont fabriqués chez nous.

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En ce qui concerne l’afeitado et les problèmes que nous avons parfois connus, c’était avec des techniques des années 50, les créateurs de ces techniques d’analyses ont subi des pressions énormes et ont tous démissionné. Un seul expert est resté, un vétérinaire qui n’était pas de toute confiance et qui a pris parti. De plus, il exerçait à Las Ventas et il est arrivé qu’on nous refuse une corrida entière sous prétexte qu’elle était afeitée. Cette même personne a analysé les cornes à l’école des vétérinaires, ce fut un sérieux affrontement, les techniques se basaient sur quatre étapes, la biométrie, la partie massive de la corne où il fallait que ce soit 1/5ème de la totalité de la corne, étant la plus importante. Ensuite, la faculté de Cordoue a démontré que ça tenait beaucoup de l’alimentation, du sang, de la race et de l’habitat. Celui qui ne répondait pas à ces normes était sanctionné. On pensait que c’était un piège, on a récupéré les cornes pour faire établir une contre-expertise et quand on a voulu la faire… les cornes avaient disparu !

On s’est retrouvé sans défense, et pour protester, la seule solution qui nous restait, c’était de ne plus lidier en Espagne tant que ce vétérinaire serait en place. C’était des attaques personnelles, je savais que mon père n’aurait pas touché ses toros même braqué par un fusil ! Par exemple, pour une figura du toreo qui réapparaissait en 1972 à une époque où mon père avait énormément de dettes, on lui a proposé d’acheter tous nos toros à condition qu’ils soient afeités, et mon père a refusé. 

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Il préférait les emmener à la boucherie plutôt que devoir leur toucher les cornes ! Ça a été une étape difficile à vivre, mais il fallait la vivre et de plus, on a surmonté ces moments avec beaucoup de dignité et en définitive, nous sommes venus lidier en France, ce qui a restauré notre image.

Il y a eu un cas particulier, on lui a proposé, comme à d’autres ganaderos, que s’il avouait qu’il avait afeité, jamais dans la vie on ne lui dirait quoi que ce soit. Mon père a répondu qu’avant qu’il ne dise une telle chose, il faudrait le tuer !

Par rapport à notre « exil » en France, il y a eu tous les points de vue, mais dans la vie il faut faire ce que l’on ressent. Mon père était blessé dans son amour-propre, et il ne pouvait pas tolérer cette situation. La seule façon de s’en sortir dignement, c’était la solution qu’il a choisie.

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Et en 1990, il y a eu des moments historiques. C’était la première année que la casa Lozano était à la tête de Las Ventas et Victorino, qui était le symbole de Madrid, n’a pas lidié de corrida cette année-là. On en avait huit et cinq d’entre elles ont été lidiées à Nîmes et ça, on s’en souviendra toute notre vie ! C’était la première fois qu’une corrida était télévisée en direct depuis la France… Le sorteo a eu lieu à quatre heures de l’après-midi, et Ruiz Miguel était là. Simon Casas était présent lui aussi et il y avait un gros problème, les Lozano avaient énormément d’influence sur le groupe de banderilleros dirigé par Corbelle et El Jaro et ils ne pouvaient pas admettre que la corrida de Victorino, qui au départ était prévue pour Madrid, soit retransmise depuis Nîmes dans toute l’Espagne. Il y a eu des menaces envers les banderilleros, de la surenchère pour mettre des bâtons dans les roues, ça a été extrêmement délicat et alors, Simon Casas a dit qu’il paierait ce qu’il faudrait, mais que la corrida aurait bien lieu. Le cartel était composé de José Luis Parada, Tomás Campuzano et Pedro Castillo et le président de la corrida n’était autre que… Ruiz Miguel ! (NDLR : en fait, il était assesseur). Non seulement cette corrida a été transmise en direct, mais les téléspectateurs ont demandé qu’elle soit rediffusée ! Ils avaient tous triomphé, aussi bien les toreros que le ganadero…

Nous avons toujours dit que si nous sommes encore ici, c’est parce que ce sont les aficionados qui nous ont donné de la force et c’est pour eux que nous travaillons, pas pour les empresas. Si ça n’avait tenu qu’au mundillo, il y a longtemps que nous ne serions plus là !

La sélection dépend de nombreux facteurs : il faut que l’on ait un nombre de familles le plus élevé possible, il faut mettre le moins de vaches possible sur le même reproducteur, et surtout, dans une ganadería comme la nôtre, le thème de la consanguinité est très compliqué. C’est surtout à ce facteur là qu’il faut faire attention si le ganadero ne veut pas se retrouver avec des surprises désagréables. On pense d’ailleurs que le problème qui a touché Pablo Romero est venu de là parce qu’elle ne vous avertit pas. Tout va bien et d’un coup, les toros manquent de force, la fertilité est en baisse, on trouve des cas de nanisme, et plein d’autres choses qui peuvent survenir. Les véritables réserves d’une ganadería se trouvent dans les vaches, c’est un travail de nombreuses années. Le toro est différent, en un an il peut donner une quantité de semence incroyable, mais si les résultats ne sont pas bons, on peut les changer d’une année sur l’autre. Pour ce qui est des vaches, c’est différent, on ne peut rien changer du jour au lendemain…

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 C’est pour ça qu’on est très exigeant lors des tentaderos. Nous voyons aussi les caractéristiques de la ganadería, elle a des défauts et des qualités, le  travail de l’éleveur consistant à mettre encore plus en valeur les qualités et amoindrir les défauts. Nos toros sont très mobiles, ils mettent la tête, transmettent de l’émotion, sont vifs, etc… Quant à leurs défauts, ils grattent beaucoup, certains marchent trop, ont une charge trop courte, visant les mollets, et ça, on ne peut pas leur pardonner. Comme les vaches qui ne vont pas au cheval, celles qui n’humilient pas, qui grattent, qui ne durent pas, elles aussi sont éliminées. La sélection est très simple, il y a celles qui sont très bonnes et celles qui au contraire, n’ont aucune qualité. Pour celles-là, c’est très facile, mais il y a aussi les moyennes, il faut trouver le juste milieu et ça correspond à 90 % des vaches. C’est là où l’on retrouve les critères de chaque ganadero. Face au doute, on se pose des questions, on préfère approuver la vache encastée, même compliquée, plutôt que la vache tonta !

Le toro qui a fait la ganadería s’appelait Morenito et on l’a tienté à Guadalajara avec Andrés Vázquez et le critique taurin Alfonso Navalón. Le toro est sorti très compliqué, il avait trois ans et ils lui ont dit : « tu ne vas pas mettre ce toro aux vaches ! »… Mon père leur a répliqué que c’est ce qu’il recherchait et c’est devenu un toro pour l’histoire ! Et si c’était aujourd’hui, on prendrait la même décision !

Je n’ai pas besoin de vous décrire le caractère de mon père ! (rires) Mais ne vous y fiez pas, j’ai aussi mon caractère, je suis bien le fils de mon père ! Mais curieusement, nous avons une vision quasi identique de la ganadería, on discute, bien entendu, mais au final, on se retrouve sur le même chemin…

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Quand on prétend que nos toros ne courent pas mais qu'ils trottent, comme l’ont affirmé deux figuras, c’est totalement exact. Ça vient de leur race, de leur sang. C’est pourquoi ils sont difficiles à toréer. Dans la vie, quand tu vas très lentement, il est difficile de te tromper, de te prendre pour un imbécile !

Concernant l’évolution du nombre de toros lidiés, il y a eu une claire évolution au niveau de la fertilité, la mortalité a diminué, mais globalement, les choses sont stabilisées, sauf quand on a eu un problème sanitaire il y a quelques années. Il y a des années où les vaches vont donner plus de veaux que de femelles, et inversement, mais depuis 96 la ganadería s’est stabilisée dans le domaine du nombre de courses, avec une centaine de toros.

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Il ne faut pas forcément cataloguer un élevage par rapport au nombre de têtes, on a une oscillation de vingt ou trente vaches, c’est tout à fait normal et ce n’est pas sur le nombre de mâles qu’il faut se baser. Avec le même nombre de vaches, on peut arriver à avoir une production de mâles différente d’une année sur l’autre, mais vouloir retenir ce nombre comme critère peut être une source d’erreurs. Je le répète, ce qui est le plus important, c’est le nombre de vaches, c’est la base, le ventre.

Toutes les années, nous tientons les mâles qui ont deux ans et c’est comme ça que nous retenons nos futurs reproducteurs. Attention, on ne les torée pas, on les tiente à cheval. Quand un semental a cinq ans, ses fils en ont deux. On les tiente et le toro qui nous plait reste et celui qui nous plait moins part en corrida. Mais il y a eu des toros formidables dont les enfants n’ont rien donné en corrida… et ça peut être l’inverse ! Il peut arriver que des femelles ne nous plaisent pas, mais que ses fils soient extraordinaires. Cela s’est aussi produit ! Mais dans notre élevage comme dans pas mal d’autres, par rapport aux problèmes de consanguinité, nous devons assez fréquemment changer de sementales.

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Dans les élevages, il y a des cycles, c’est aussi valable pour des lots entiers, mais dans l’ensemble, on pense que, sauf exceptions, nos toros ont le même comportement qu’avant. Au début, on connaissait moins les toros que les professionnels d’aujourd’hui. De nos jours, les toreros qui doivent affronter nos toros vont visionner des vidéos pour déceler la moindre faille qui va les aider en piste. Ils vont étudier les moindres détails, et de ce fait, ils sont mieux préparés que les toreros d’époques plus éloignées. Les autres ganaderías ont aussi acquis des difficultés, mais concernant les nôtres, même si les toreros ont plus de moyens pour les étudier, les figuras ne se bousculent pas pour venir les toréer !!!

 Il y a toujours eu des toreros associés à la casa Victorino, depuis Andrés Vázquez, Dámaso Gómez, Ruiz Miguel et bien d’autres, jusqu’à maintenant, où c’est pareil avec notamment Antonio Ferrera, Luis Bolívar, Alberto Aguilar, Diego Urdiales… Ce qui est assez souvent contradictoire, c’est que l’on ne met pas forcément ces toreros avec nos toros !

Au campo, les seuls qui gagnent de l’argent, ce sont… les footballeurs !!! (rires) Maintenant, c’est encore pire qu’il y a trente ans. (Le père signale que ce n’est pas le prix qu’il faut regarder, mais combien ses toros apportent de satisfactions à l’aficion !).

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Les toros font partie du patrimoine de plusieurs pays. C’est un patrimoine social, preuve en est que nous sommes réunis aujourd’hui grâce aux toros, mais aussi un patrimoine culturel, écologique, économique, et surtout génétique. C’est un peu le travail de tous, il faut maintenir cette richesse génétique, c’est pourquoi nous avons pensé que l’encaste Vega-Villar allait disparaître et on a décidé de miser sur eux.

Urcola, ça a été différent, parce qu’en recherchant l’autre partie détenue par Paco Galache, qui avait des toros d’origine Encinas et Urcola, quand on a racheté le quart de cette ganadería, on a pris Urcola. Mais c’est difficile de mener quatre ganaderías, c’est énorme, et je ne veux pas laisser ça à ma fille, c’est trop important sur les épaules d’une seule personne. Lorsque quelqu’un sera apte à bien s’en occuper, nous cèderons les Urcola. A ce sujet, nous pensons que l’Etat Espagnol devrait protéger d’une autre façon les encastes qui forment la race des toros de lidia. Mais comme l’administration ne le fait pas, c’est à nous de le faire… Dans nos mains, cet encaste prend plus de valeur que dans d’autres, et depuis que l’on possède ce fer, plusieurs ganaderías qui détenaient ce sang ont disparu, raison de plus pour avoir racheté des Urcola.

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Les fundas ? C’est un sujet sur lequel nous n’avons pas le même avis avec mon père. Je crois que ça n’a pas tant d’importance que ce que l’on dit, et ça peut être une solution pour certains ganaderos. Par exemple, pour Fuente Ymbro, il ne pourrait pas sortir de corridas de toros sans les fundas ! C’est lui qui les a inventées, et aujourd’hui, on exige une finalisation pour le toro avec pas mal de compléments alimentaires et nous savons tous que le toro qui en mange beaucoup pendant longtemps commence à frapper avec ses cornes et à la fin, il les use et devient astigordo ! On comprend que les fundas, par rapport à la Fiesta, casse un peu l’image du toro parce qu’en théorie, tout a une valeur et représente quelque chose. Le toro représente tout ce qui est naturel, sauvage, ce que l’homme n’a pas pu toucher, c’est pour ça qu’on ne peut pas croire que l’homme n’a pas mis sa main lorsque le toro a des fundas. D’un point de vue esthétique, la funda casse l’image que doit avoir le toro au campo, mais ça recoupe ce que j’ai dit, on exige beaucoup de la présentation du toro et c’est pour cela qu’il faut faire des choses quasiment impossibles et pour pas mal de ganaderos, ça a été la solution.

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Avec les autres ganaderos qui ont du sang Albaserrada, ça se passe bien. Adolfo Martín est mon cousin, on s’entend très bien, ainsi qu’avec Escolar... D’un point de vue génétique, c’est très facile à raconter, je l’ai souvent dit, toutes les ganaderías dans les années 50/70 avaient deux fers, celui de première, dans l’Union, qu’ils lidiaient dans les ferias les plus importantes, et celui de seconde, dans l’Association, pour les non piquées et les fêtes populaires. Et pour occuper l’ensemble du marché, pratiquement tous les ganaderos avaient deux fers. C’est pour cela qu’on laissait les meilleures sélections dans celui de première et on mettait le bétail qui était un peu en dessous dans celui de seconde. Chez nous, mon père, quand il était associé avec ses frères, le A était pour l’Union et le V pour l’Association. Et quand ils ont opéré la division, mon père est resté avec le A et mon oncle a gardé le V.

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 Quant à José Escolar, mon père ne lui a jamais vendu un reproducteur, sauf une exception. Un de ses amis, Leopoldo Picazo, lui avait rendu un important service dans le domaine juridique. Et quand mon père lui a demandé ce qu’il lui devait, il lui a répliqué qu’il ne lui devait pas d’argent, mais qu’au contraire, c’est lui qui allait lui en donner ! Pour lui acheter vingt vaches et un toro. Les mâles ont été tientés le 7 décembre 78 et le 14, Picazo faisait un AVC… Il n’a pas pu en profiter, il est décédé et par la suite, sa veuve a demandé à mon père qu’il reprenne le bétail. Mais mon père ayant dépensé l’argent pour une autre affaire, elle l’a vendu à des bouchers de Getafe… qui les ont revendus à José Escolar ! Mais avant ça, José Escolar avait acheté un nombre important de sementales et de vaches à Martín Blázquez qui lidiait sous le nom de Carmen Espinar de Blázquez, du Santa Coloma qu’il avait acheté à Paco Camino. Escolar possède une partie de notre sang, mais je n’en connais pas le pourcentage et il vaut mieux que ce soit lui qui en parle. Mais humainement, nos relations sont parfaites… (Réactions diverses...)

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 Monteviejo ? Pour moi, l’encaste Vega-Villar est celui qui conserve les caractéristiques les plus pures du toro de Veragua parce qu’il était principalement berrendo ou colorado. A partir de l’apparition du guarismo et du poids, cet encaste a commencé à perdre de son importance parce que dans son comportement, c’est un toro très veragüeño, à savoir très féroce dans les premiers tercios, mais avec peu de choses au final. C’est en définitive un toro qui ne s’adapte guère à la tauromachie actuelle. Mais comme je l’ai dit avant, c’est un trésor génétique et nous avons essayé de concilier les deux branches de Vega-Villar car nous pensons que le rafraîchissement va leur donner une nouvelle vigueur qui va se ressentir de façon positive chez ces toros. On est en train d’obtenir de bons résultats, l’année dernière nous avons lidié trois corridas et cette année, nous en avons une plus une novillada. On veut y aller doucement, il ne faut rien précipiter, on veut voir les résultats et si leur charge est correcte, et ça nous satisfait.

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Je connais très bien le Mexique où j’ai de très bons amis. Nous avons offert des paillettes à un ganadero mexicain, Chafik, mais ça n’a pas donné de résultats probants. On pensait que l’on pouvait travailler sur d’autres encastes dans d’autres ganaderías, mais on ne voulait pas dépasser trois cent cinquante vaches car au moment de commercialiser, ça aurait été plus difficile. Avant d’acheter des Vega Villar, j’avais proposé à mon père de créer un second fer, mais on ne voulait pas qu’il y ait de confusions. Si on doit faire quelque chose, ce sera quelque chose de totalement différent pour éviter les amalgames. On connait très bien la zone du Mexique, mais pour le moment, nous n’aurons rien là-bas. Si dans le futur on en avait besoin, on penserait au Mexique, mais toujours avec l’encaste Saltillo.

A quatre ans, le toro n’a pas son développement définitif. Il a encore quelques dents de lait, mais c’est plus compliqué de l’emmener jusqu’à cinq ans. Cependant, c’est ce toro de cinq ans qui nous plait beaucoup."

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Après deux heures de dialogue, relatées ici avec je l’espère le maximum de clarté malgré la diversité des sujets abordés, la séance s’est achevée sur le rappel d’une citation de Victorino père en 1978 : « 90% des figuras d’aujourd’hui ne se sont jamais mises devant un toro bravo. Je le répète, je le maintiens et le signe ! »…

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L’histoire est-elle en train de se répéter ? A vous de juger…