Vendredi 29 Mars 2024
Juan Pedro Domecq
Vendredi, 06 Février 2015

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Juan Pedro Domecq chez Pablo Romero, ou l’improbable visite au cœur d’une soirée nîmoise…

C’est vrai que l’affiche avait de quoi étonner et qu’à l’Espace Pablo Romero de Nîmes, pour chaque « Rincón », on a plutôt l’habitude de rencontrer des intervenants de sensibilité plus « torista ».

Mais foin des chapelles et vive la diversité ! De l’admiration à la controverse, la palette des ressentis est large, mais une chose est indiscutable, l’apport de Juan Pedro Domecq et de son « sang bleu »… auquel d’ailleurs pas mal de ganaderos, et non des moindres, ont fait appel, avec parfois de belles réussites.

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Après le décès de son père Juan Pedro Domecq Solis, c’est à présent son fils Juan Pedro Domecq Morenés, le quatrième de la lignée des ganaderos Domecq, qui a repris les rennes à la finca « Lo Álvaro », mais il a aussi quelque penchant pour le deuxième fer de la maison, celui de Parladé, situé au Portugal, qui a remporté des succès notables l’an dernier, notamment à Madrid. Du pain sur la planche, donc, et le 16 janvier, sa venue à Nîmes a été l’occasion d’en savoir un peu plus sur ses conceptions, ses méthodes et ses perspectives. Avec Claire Laurenzio et Laurent Giner pour conduire la discussion, quelques morceaux choisis…

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« Le premier Domecq ganadero était mon arrière grand-père qui a acheté l’élevage du Duc de Veragua. Il a commencé avec ces toros et il s’st aperçu qu’ils combattaient au cheval, mais qu’ensuite ils avaient tendance à ne pas donner le jeu escompté, notamment par manque de forces. Il a alors acheté des vaches du Conde de la Corte et quatre étalons, mais il n’a pas eu le temps de mener son projet jusqu’au bout car il est mort sept ans après et mon grand-père a alors pris le relais. C’est lui le véritable créateur des Juan Pedro Domecq. Il a alors acheté d’autres vaches et étalons de La Corte et a mené la ganadería jusqu’en 1975.

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Ensuite, mon père hérita d’une partie du troupeau qu’il a installé à « Lo Álvaro ». Il s’est adapté au toro de son temps et a appliqué toutes les nouvelles techniques dans le domaine de la sélection et de la génétique. C’est le premier qui a utilisé l’ordinateur avec des bases de données contenant presque 40.000 animaux, ce qui est je crois unique au monde ! Il a aussi commencé à faire courir régulièrement les toros, il a fait encore beaucoup de choses et quand il est mort, je crois que j’étais préparé, de par le travail que j’avais accompli avec Parladé, pour transmettre mes sentiments et je suis content de ce que j’ai commencé à faire.

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C’est un savoir qui s’est transmis, mon père avait beaucoup parlé avec mon  grand-père et pas mal appris de lui, et ensuite ça été pareil entre nous deux. Il savait où il voulait aller, il n’a peut-être pas toujours trouvé le chemin, mais il était en train de la faire… Il essayait de trouver un toro presque parfait pour la muleta, mais je pense qu’il doit toujours garder son mystère ! Il doit avoir de la bravoure pour lutter, mais selon un critère particulier : mettre la tête en bas.

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J’ai toujours eu l’aficion, et avec mon père, on parlait à 80% de toros ! Après, il faut avoir une grande passion pour consacrer pratiquement tout son temps à l’élevage. Mon père avait acheté le fer de Parladé avant tout pour le prestige de ce nom, et j’ai eu la chance qu’il m’ait toujours laissé faire pour mener mon projet à bien. Au-delà des interprétations et du vocabulaire, comme les mots « torista » ou « torerista », je crois que chaque ganadero a sa propre sensibilité, à travers la bravoure. Quand j’ai pris la ganadería de Parladé en 2003, j’ai commencé avec un nouveau projet. Je me suis demandé comment serait le public, non pas en 2003, mais en 2013 ! J’ai commencé à faire une sélection très stricte, éliminant les vaches qui n’atteignaient pas la note de 8/10, et j’ai eu la chance de trouver un toro très brave de mon père, ce qui m’a permis d’avancer. Nous avions un tronc commun de sélection, mais des conceptions différentes sur les caractères des toros, en cherchant pour ma part un toro qui ait plus de poder et surtout, ce qui est primordial pour moi, qui transmette. Je suis heureux car je pense qu’en dix ans, j’ai réussi à mettre Parladé au premier rang.

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A la fin de sa vie, mon père avait constaté que le public avait changé et exigeait un autre toro et il avait commencé à modifier des choses. Pour moi, le toro doit donner de l’émotion et permettre de grandes faenas, sinon ce n’est pas un grand toro. En outre, il doit humilier, mais avec de la puissance, du poder. Ce sont les caractéristiques de mes étalons. Cela dit, on peut avoir des complications et aussi commettre des erreurs. Je me suis trompé une fois en sélectionnant un toro qui n’avait pas été tienté, seulement sur la réputation de sa famille. Deux ans plus tard, je l’ai essayé en piste et il n’a pas eu le comportement que j’attendais car il manquait notamment de fixité. Mais ce n’était pas le torero qui s’était trompé, c’était moi !

Pour moi, les tiers les plus importants sont le premier et le troisième. En ce qui concerne la pique, quand je sélectionne, je choisis des puyas avec un embout plus long que celles utilisées par mon père, et je veux les voir trois fois au cheval car j’estime que le combat dans ma placita doit être le même que dans une plaza de toros !  Mais en corrida, je crois que le temps des rencontres avec le cheval est trop long. Je pense qu’il faudrait revoir le peto pour que le combat devienne davantage une lutte d’égal à égal. A Saragosse, j’ai eu cette année un toro excellent, luttant plusieurs minutes, on disait même que c’était le plus brave de la temporada. Mais ensuite, à la muleta, il était complètement vidé. Il avait tout donné au cheval ! Moi, je cherche un toro plus complet. Dans mes critères, il y a les trois qu’avaient déjà mon père, la bravoure, son comportement à la muleta et la transmission et le côté spectaculaire, mais j’en ai rajouté deux autres : la façon de baisser la tête et le recorrido, à savoir la distance et la manière de se replacer. L’objectif de la pique, c’est de voir un toro qui galope et qui combat. Ce n’est pas le détruire, c’est pourquoi je demande de changer le type de peto, il y aura bien sûr plus de risques pour le picador, mais les rencontres seraient plus équilibrées et permettraient aux toros de mieux manifester leur bravoure…

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La France a beaucoup montré à l’Espagne et je pense que c’est la bonne voie dans le sens de l’amélioration du premier tercio. On doit demander ça, sinon ce n’est pas possible, on ne peut pas tuer le toro avec la pique ! Il doit pouvoir développer ses aptitudes et continuer le combat à la muleta en exprimant ses qualités, mais pour cela, il ne faut pas que l’épreuve de la pique lui enlève son moral et sa puissance.

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Mon père avait mis au point un logiciel concernant notamment la sélection, avec des données sur les caractéristiques de chaque vache. Au total, pas moins d’une vingtaine de critères sont retenus. J’ai mis beaucoup de temps pour établir les combinaisons entre les étalons et les vaches en partant d’une analyse minutieuse de chaque reproducteur et du combat des toros. Certes, ce n’est pas fiable à 100%, mais ça commence à donner des résultats qui me conviennent. L’ordinateur constitue pour moi une aide précieuse, et sans lui, je ne connaitrais pas ma ganadería aussi bien, c’est la mémoire de l’élevage et un outil qui me permet d’avancer dans mes recherches…

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A propos du cheptel et compte tenu du contexte actuel, il faut savoir que mon père avait environ huit cents vaches et moi, à Parladé, deux cent soixante. Ayant pris conscience de l’évolution du marché, j’ai commencé à réduire la camada pour tomber à cent vingt vaches, cent cinquante actuellement, et pour les Juan Pedro, il est tombé d’environ huit cent à quatre cent, soit la moitié. Il faut savoir que si l’herbe ne coûte pratiquement rien, la nourriture complémentaire est très chère, c’est une raison de notre volonté de diminuer le nombre de têtes pour mieux l'adapter à la demande actuelle. Cette sélection que j’ai effectuée a été menée selon les critères que je vous ai énoncés, mais aussi sur le physique. Bravoure, force et physique ont été les trois éléments déterminants.

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Le toro est comme un athlète, il doit être très bien préparé physiquement. Dans ce domaine, ça veut dire qu’il faut établir un plan d’entrainement et le « taurodrome » est un outil intéressant si on l’utilise convenablement, c’est-à-dire sans excès, ni mécaniquement. On tient compte de la formation de la masse musculaire du toro et selon son âge, on le fait courir deux ou trois fois par semaine, pas plus.

En ce qui concerne la nourriture, mon père n’était guère partisan de la baser sur le maïs, il fallait trouver un équilibre avec des correcteurs. Jusqu’à trois ans, le toro mange de l’herbe et quand elle vient à manquer, nous compensons avec du pienso. La dernière année, ils consomment notamment une préparation à base d’orge, avec du sucre en faible proportion. C’est un domaine où j’apprends chaque jour. En ce qui concerne la ganadería Parladé, elle est basée au Portugal où l’herbe est meilleure et l’on s’aperçoit que l’élevage se développe beaucoup mieux. La finca fait huit cents hectares, pour trois mille à « Lo Álvaro »… 

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Sur la question des fundas, on les applique pour préserver les armures, mais aussi et surtout pour diminuer les pertes liées à leurs combats au campo. Nous avons en effet constaté une nette diminution de ces pertes.

On n’arrive jamais au toro parfait ! Mais on a eu des toros très importants de Parladé, que ce soit à Madrid ou dans d’autres plazas majeures. Quant à celui qui a été indulté par José Tomás à Nîmes, il venait d’une grande famille. Il est allé deux fois au cheval, et même si c’était de façon imparfaite, il s’est montré ensuite très combatif et encasté. Il est resté sur les vaches pendant deux ans, il est mort l’an passé d’une manière très belle, en combattant contre un autre étalon…

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Je crois que chaque plaza doit avoir sa personnalité. Je ne pense pas que Nîmes doive avoir des toros comme ceux de Madrid ! A Madrid, c’est le toro excessivement grand, et le toro si grand ne peut pas combattre avec l’énergie nécessaire, c’est en cela qu’il est très difficile de sortir de bons toros à Madrid. C’est pourquoi je ne pense pas que la qualité du spectacle dépende du volume du toro ! Si les Pablo Romero ont pratiquement disparu, c’est à cause de ça. On a voulu leur mettre davantage de poids que celui qui correspondait à leur morphologie… Maintenant, à Madrid, ils sont revenus à quelque chose de plus raisonnable. Ils ont évolué par rapport à ce critère.

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Lorsque Jaime de Pablo Romero a connu des difficultés et qu’il a été question de vendre la ganadería, mon père s’était porté acquéreur. Non pas pour des raisons économiques, mais parce qu’il voulait sauver cet encaste par amour pour la tauromachie. Pablo Romero lui avait alors dit qu’il était sûr qu’il ferait du bon travail, mais finalement, l’affaire ne s’est pas conclue…

Je n’ai rien contre le fait d’aller dans des plazas toristas. Je suis très ouvert, mais on ne m’en donne pas l’occasion. Si on me le proposait, j’aimerais bien participer à un concours de ganaderías. Alors là, on verrait qui gagnerait !!!

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Au sujet de la variété des encastes, je pense qu’il faudrait que soient organisés beaucoup plus de spectacles mineurs, ce qui permettrait à tous les encastes de pouvoir se rôder et s’exprimer avant de monter dans la catégorie supérieure. Pour cela, il faudrait surtout que les coûts de ces spectacles soient moins élevés ! Les ganaderos essaient de créer une union car ce sont les acteurs de la tauromachie qui voient les choses à long terme. L’idéal, c’est qu’il n’y ait pas trois associations, mais une seule, et qu’elle englobe tous les éleveurs, y compris français ! Il faut être très généreux dans la façon de faire les choses et si l’on a moins et d’autres un peu plus, tant pis, mais ce serait plus équitable…

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Le prix des toros a dégringolé ces dernières années alors que les dépenses ont augmenté et tout en étant un privilégié, je dois travailler dans d’autres secteurs (NDLR : dont le négoce des jambons ibériques) pour m’en sortir. Même chez Juan Pedro !  Pendant longtemps, il y avait beaucoup trop de toros, et maintenant la tendance est en train de s’inverser, ce qui peut faire monter les prix, conséquence de l’offre et la demande. Pour donner un ordre d’idée, il y a actuellement 50% de vaches en moins par rapport à 2007 !

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J’essaie d’avoir deux ganaderías aux caractéristiques différentes, mais on ne crée pas des toros pour tel ou tel torero. Mon but est d’avoir des toros pour le spectacle des dix prochaines années. Pour changer quelque chose dans une ganadería, on a besoin de temps, ça ne se fait pas du jour au lendemain ! Il faut presque dix ans… En ce qui concerne les Juan Pedro, on devrait commencer à constater l’évolution en 2016… Il faut avoir de tout, mais en tenant compte que le public demande à présent un toro qui a beaucoup plus de poder. Pour revenir à la vente, c’est toujours une négociation entre ce qu’on en demande et ce qu’on nous en offre !

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Je pense que chaque ganadero est le propre créateur de son encaste ! Je crois en la personnalité de chacun et parmi les éleveurs à qui on a vendu des toros à l’époque, ils ont tous fait un toro différent, comme Fuente Ymbro, Jandilla, Torrestrella, Ventorrillo… Chacun avait son projet personnel. Mais depuis 1994, on n’a guère vendu de toros.

L’indulto ? Je crois que c’est très important. Tous les toros que l’on nous a graciés ont été mis sur les vaches, et tous ont donné des choses…

On parle des Parladé pour la corrida de Beneficencia de Madrid, mais pour le moment, il n’y a rien de fait car je ne suis pas encore parvenu à un accord sur la transaction… »

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Voilà, un peu en vrac et malgré quelques difficultés liées à la qualité de l’enregistrement, l’essentiel de ce qu’a dit Juan Pedro Domecq Morenés au cours de cette soirée. Evidemment, qu’on le veuille ou non, l’homme connait très bien son sujet. On peut ne pas être d’accord sur tout, mais force est de reconnaitre que c’est un passionné, voire un érudit, qui est toujours à la recherche d’un idéal, avec notamment ses toros de Parladé à qui il a fait faire un grand bond en avant. Dans peu de temps, on devrait constater aussi des changements chez les Juan Pedro Domecq, avec outre le prestige du nom, quelques rectifications apportées par le ganadero. Deux challenges à suivre de près, non ?

Suerte, Ganadero !!!