Vendredi 29 Mars 2024
DIVAGATIONS DE PATRICE
Jeudi, 24 Septembre 2020

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Maya Saura : D’étranges toreros et de drôles d’objets

Maya Saura ne peint pas des toreros. Elle les représente, elle les transforme, elle les transfigure. Qu’ils soient seuls, par deux ou quatre, vêtus de bizarres habits de lumières, ils seront tous chauves, vieux et gras.

Debout ou assis, ils observent le monde des choses en jouant avec elles. Dans chaque toile, le geste précis, délicat, retenu, souligne la minutie d’un rapport personnel avec des objets dérisoires et dit l’étrangeté d’un rapport au monde. Dans ces  jeux étranges, les relations s’organisent en va et vient : Entre les personnages et nous, se dessine une mise en scène de la complicité.

Statiques, figés, inquiétants, nos vieux toreros grimacent ou ricanent. Installés confortablement dans la certitude plate que donne la minutie d’une peinture à l’huile, ils nous invitent à les rejoindre pour comprendre leur allure étriquée, leurs bras un peu courts, leurs visages lunaires.

S’il est clair que dans son approche Maya Saura ne veut nullement raconter des histoires de toreros, il est évident qu’elle a cependant perçu les valeurs essentielles qui fondent le métier qui est le leur : La langueur abandonnée du corps que doit cependant maitriser la vigilance d’un esprit serein, l’importance d’une occupation juste de l’espace, la part laissée à l’imaginaire.

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Ce changement de code de présentation  qui fait sortir des sentiers battus les images traditionnelles du torero et qui peut surprendre l’aficionado, n’est pas innocent.

Car le regard esthétique de Maya Saura résonne aussi socialement.

En effet, traditionnellement associée à une image de jeunesse et de séduction, souvent lointaine, presque mythique, la représentation picturale du torero hors de l’arène s’inscrit d’ordinaire dans la typologie un peu simpliste de défilé de mode. Dans cette symbolique sans ancrage dans le quotidien, le torero comme le top-modèle est un pur objet de contemplation qui défile muet et sans relief sur des estrades lumineuses devant un parterre béat.

Ces personnages-là n’ont souvent rien à dire.

Le changement proposé par Maya Saura donne au torero une autre dimension : Loin de son contexte traditionnel mais plus près de la complexité de la nature humaine, il en caricature les passions secrètes.

Aussi, même si le trait exagère quelquefois des composantes grotesques, il est indéniable que ces chimères théâtralement vêtues de lumières ont un langage.

Patrice Quiot