Jeudi 28 Mars 2024
DIVAGATIONS DE PATRICE
Mardi, 29 Septembre 2020

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Le Pharaon...

Il s’appelait Jean-Pierre Goldberg, bossait à Paris dans le marketing, vivait dans un appartement immense et vide, travaillait la nuit en la cruelle compagnie d’une boutanche de « Ballantines », était immensément généreux, particulièrement dépensier et fumait des cigarettes brunes.

Il découvrit le monde des toros à la fin des seventies et l’aima tout de suite, beaucoup, passionnément, à la folie.

C’était un météore, inconstant, explosif, terrible et sentencieux dans ses jugements brûlants comme l’acier en fusion.

A Séville, au premier rang des barreras, d’une chiquenaude il fit valser le képi d’un colonel de la Guardia Civil  qui gênait son observation du toro de  Manolo González.   Il pardonnait peu et donnait tout.

A Séville encore, à la tertulia VIP du « Barco », debout et accusateur comme Fouquier-Tinville, il interpella d’une façon plus que véhémente Álvaro Domecq en lui demandant d’expliquer a toda la gente pourquoi il avait laissé afeiter les toros de Valencia.

Il mangeait peu et buvait beaucoup, aimait les voitures qui roulaient vite, payait en liquide, lançait des anathèmes et brûlait la vie.

Il acheta un mas en Camargue pour y élever des toros et le perdit ; il habita Vendargues où il se passionna pour le billard à trois bandes et où il entretint une cave que n’aurait pas reniée « La Tour d’Argent » ; à Arles, s’étant fait retirer le permis, il descendait dans un appartement du « Forum » et s’était attaché les services d’un chauffeur qui venait le chercher dans un coupé 404.

A Dax, « Le Spendid » lui offrit une suite pour le remercier d’un « papier » qu’il avait fait, comme ça sur un coin de table, le jour où Manzanares père avait triomphé après avoir brindé son toro à son gamin de fils en lui disant « Hijo mio, regarde comme la tauromachie est belle quand torée ton père » !

Ce jour-là, José María Dols Abellán et José María Dols Samper avaient, main dans la main, avaient fait ensemble la vuelta al ruedo et nous avions mangé du homard chez Darcq.

A Paris où il apprenait le flamenco en prenant des cours à quatre heures du matin, quand il ne pissait pas sur la banquette du « Flore », il m’emmenait manger le couscous chez un algérien, ami à lui et ancien chef de Willaya.

Là, assis, il me prenait affectueusement par l’épaule et me parlait en faisant de grands gestes tout en soufflant dans mes yeux la fumée de ses clopes.

Il s’habillait bien et cher d’un bric et broc qui était lui, s’achetait la panoplie complète de la  tenue gardiane chez «Camille» et celle de campo au «Caballo».

Il se prit d’une affection inimaginable pour le « Chino » qui l’adorait et imagina un impôt pour le financer.

Le jour de la confirmation à Madrid, après le sorteo, il  décrivit à Lucien ses toros d’une façon telle que ce dernier ne put rien avaler et s’en rappelle encore.

On le disait insupportable, mais je l’adorais.

Simon le craignait comme la peste.

C’était un monstre merveilleux.

Il mourut le 31 octobre 2010.

A soixante-cinq ans.   On l’enterra près de Limoges.

Nous l’appelions « Le Pharaon » et il avait les yeux verts...

Patrice Quiot

(Photo : Le Pharaon au regard complice vers Patrice Quiot hilare et... sapé comme un ministre !)