Vendredi 19 Avril 2024
DIVAGATIONS DE PATRICE
Jeudi, 01 Octobre 2020

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Armando, le nain-torero...

Dans son récit « L’Anniversaire de l’Infante », Oscar Wilde présente le nain comme un « jouet vivant pendant la fête, mais qui, une fois qu’elle est finie, n’est plus qu’un objet au cœur brisé »...

Armando fell in love

Armando était nain, mais était aussi torero ; c’était un nain-torero qui actuait dans l’une de ces troupes comico-taurines qui, il y a quelques dizaines d’années, étaient avec les troupes de monos-toreros indissociables de toutes les fêtes de pueblos.

Certes, la troupe dans laquelle figurait Armando n’avait pas la renommée de celle des « Bomberos Toreros » de Pablo Celis ou de celle du « Platanito » qui remplissaient les arènes des capitales de province où régnaient les gouverneurs militaires aux lunettes noires et à la fine moustache.

Elle faisait pourtant le ravissement de ceux qui de Chantada en Galice à Vara del Rey dans la Mancha et de Paniza en Aragon à Tempul en Andalousie allaient la voir se produire dans des portatives en fer rouillé ou dans les arènes faites de madriers maladroitement assemblés d’une Espagne archaïque et catholique de fin de règne franquiste.

Armando venait de Torremocha, entre Cáceres et Mérida, était l’ainé d’une famille misérable de douze enfants, avait cinquante ans y pico et faisait le taf de clown depuis l’âge de neuf ans.

Armando n’était ni Carmelo Tusquellas,  ni le Triboulet de Louis XII et de François Ier, ou encore le Francisco Lezcano de la cour de Philippe IV et plus il prenait de l’âge, plus il  se voyait reprocher par son méchant homme de patron de ne pas assez faire rire le public et menacé de voyager dans le coffre de la camioneta !

Mais voyager dans le coffre, se prendre une grosse rouste devant une vieille vache à laquelle on avait cousu des couilles pour la faire passer pour un toro ou même se faire tuer importait peu à Armando.

On peut même dire qu’il s’en foutait car il était amoureux.

Dans l’un des villages où Armando s’était produit, il avait croisé le regard d’une femme qui lui avait souri ; ivre d’un mauvais vin local et à la demande de ses amies, elle lui avait aussi donné un baiser sur la bouche.

Elle venait de Leyde, qui a vu naître Rembrandt, passait ses vacances dans un pays où la vie n’était pas chère et où l’aventure la changeait de la contemplation béate des polders et des vaches ; atrocement ordinaire, elle engloutissait des harengs dans sa bouche fardée en buvant du café au lait.

Elle avait de gros seins d’une blancheur laiteuse.

En riant aux éclats, elle avait laissé une adresse glissée dans la braguette de la taleguilla du nain-torero et lui, en la remerciant, lui offrit sa petite muleta sur laquelle il écrivit de sa main potelée la liste des villages qu’il traverserait, disant à la Batave que dans chacun d’entre eux, il irait à la « lista de correos » pour attendre un signe d’elle.

Il vécut dans ce rêve pendant une temporada.

Tous les jours, il lui envoyait quelque chose ; un peu de la terre de Tomelloso, un brin de paille, l’eau bénite du Guadalete, le fleuve de l’oubli, les petits gâteaux que les nonnes  de Santa Clara lui faisaient passer par le guichet du Convento d’Alcalá de Guadaira ou une larme séchée sur du papier buvard.

Tous les jours il lui disait un amour qui demeurait sans retour.

Les autres se moquaient de lui et le patron le battait comme plâtre, mais il s’en foutait.

Il reçut un signe d’elle.

Sur un sous-bock de bière tâché était griffonné : « Schrijf me nooit meer imbeciel “ que l’obispo de Talavera de la Reina auquel Armando avait demandé une audience privée lui traduisit par “Ne m’écris plus jamais, con de nain” !

Armando ne pleura pas, mais le lendemain il se jeta du troisième étage de la fenêtre de la sordide pension qui hébergeait la troupe.

Le velum d’un estanco amortit sa chute et il fut transporté à l’hôpital de la ville la plus proche.

Quand ses compañeros vinrent lui rendre visite, ils découvrirent sans aucune surprise que les medicos du lieu avaient abandonné Armando dans une vieille couveuse désaffectée.

Patrice Quiot