Vendredi 29 Mars 2024
DIVAGATIONS DE PATRICE
Jeudi, 08 Octobre 2020

mont08ph

Brindis au Cercle Taurin Dámaso González et un clin d’œil coquin pour rappeler le 1 à 0 du 4/10/2020 à la Mosson...

Même si quand on est de Nîmes, on n’a normalement pas le droit de parler de la ville dont on parle et de son club de ballon au pied...

A l'ouest de Lunel, le premier arrêt, c'est Sète !

Montpellier la bien parlante...

Si à Montpellier il n’existe plus de tauromachie espagnole formelle, cela ne veut pas dire pour autant que n’en parlent pas des gens qui, touchés par la belle maladie de l’aficion, disent cette dévorante passion avec une originale élégance.

A ce motif, sa géographie humaine de fortes sensibilités, de vives émotions et de fougueuses créations fait de la capitale régionale une ville unique dans le domaine du dire taurin.

Cette palette de subtilités, qui est aussi celle des vins du Languedoc, se déclinera ici d’une voix forte selon un mode de signification socialement divergent et un ordre lexical structurellement nouveau.

Proche du campo et de sa rusticité, mais essentiellement citadine, marquée d’une urbanité classique mâtinée d’une note universitaire, la langue taurine montpelliéraine porte en elle l’emphase des origines seigneuriales de la ville des Guilhem teintée du chicos socialiste, cru municipales 1977.

Imprégnée de cette diversité qui lui donne quelquefois une certaine insolence, contenue par la modernité du Corum de Vasconi, le clinquant de l’Antigone de Bofill, l’étriqué des boutiquiers de la Grand-rue et le médiéval des tours de la cathédrale St-Pierre, l’aficion locale situe son registre entre le raffiné de la chemise torera, le baroque de la Télefónica et le rugueux des vieilles souches de mourvèdre.

Cet étiage culturel qui résume une façon de vivre prend une dimension unique lorsque l’heure des vêpres réunit les chantres de cet arlequin parolier autour de cette « dive bouteille » qu’évoquait l’amigo François qui y avait étudié.   « En la tant divine liqueur qui est dedans tes flancs reclose, Bacchus, qui fut d'Inde vainqueur tient toute vérité enclose » écrivait le médecin.

Alors la libation amicale devient un tournoi de joutes oratoires et, guidés par leur exigence de prédicants et faisant art de leur verbe et fierté de leur terroir, ces troubadours de l’arène s’affrontent dans de somptueux combats où la seule arme autorisée est une langue impeccablement châtiée et de parfait bon aloi.

Verres de blanc et tapas vernaculaires rythment les assauts  de ces croisés de la muleta toujours prêts à défendre au nom de la recherche esthétique ou de la simple saillie que le tombeau de Joselito mériterait autant la pureté des lignes de Norman Foster que le rococo du monument de Belliure, qu’un muletazo de Paco Senda en vaut dix de Paco Camino ou que Calderón de la Barca n’est qu’une pâle copie de Max Rouquette.

De temps en temps, un étudiant africain en scolastique anglaise apporte au sujet un adorno exotique….

Dans l’escalade folle qu’exige la preuve des affirmations proférées, l’éloquence de la Méditerranée toute proche justifie toutes les déraisons du discours. Alors les forteresses les plus imprenables vacillent et les places fortes deviennent des cours d’amour : Manzanares un disciple de Botticelli, le CID-UNATI un parti révolutionnaire, Espartaco un fervent de Descartes, Spinoza le valet d’épée du Calatraveño et le moindre Picpoul de Pinet l’égal des plus grands Daumas-Gassac.

Coquetterie, diront certains.

Peut-être.

Mais, cette glose montpelliéraine qui fuse, explose, qui attise la langue et fait briller les yeux, dévoile les béances des contradictions et remet la chose taurine  à sa place.

Car, au-delà de sa sophistication aristocrate, de son rien de roture et de ses rotondités énarchisantes, la glose de l’aficion montpelliéraine est avant tout une langue de minorité.

Et, pour réduire les détracteurs revêches de la chose de toros, cette parole de la reconquête doit prendre les chemins les plus difficiles. Alors, instillant les esprits pour ensuite infiltrer les cœurs, elle ignorera les futiles raccourcis de la médiocrité pour leur préférer les longs chemins de l’explication et envelopper l’adversaire dans les volutes de l’intelligence.

A Montpellier, plus que convertir, le discours taurin choisira de convaincre en proposant un autre choix de vie.

Les intégristes d’un académisme béat de la chose tauromachique trouveront cette langue socialement hautaine quand elle est uniquement exigeante, les ayatollahs d’une parole taurine bien lisse et arrondie la diront ordinaire alors qu’elle est magnifiquement bariolée, les grands prêtres du conservatisme aficionado la jugeront abusive alors qu’elle est essentiellement diverse.

Sa forme est une façon d’exister et sa dialectique une marque de rébellion.

C’est pourquoi lorsqu’avec leur outrance cordobésiste et leur ancrage damasiste les amis de Montpellier s’expriment haut et fort pour défendre la cause des toros, les cloches de Ste Anne rejoignent le carillon de La Campana !

Patrice Quiot