Jeudi 28 Mars 2024
DIVAGATIONS DE PATRICE
Jeudi, 08 Octobre 2020

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Télé Bleue...

Il y avait « Popov », il y avait « Michou-Bidou », il y avait « La Plombe », il y  avait « Beb », Patrick Nouguier, Michel Rouzaud, mais aussi « Le Beauf », « Le Simbeu », des stagiaires sans convention et d’autres avec des conventions rédigées de façon  gitane et bien sûr, il y avait 2R. 

Plus tard, il y eut aussi le tout jeune JOL qui avait à peine seize ans, Richard qui en avait plus et qui, un peu comme un bootlegger, se chargeait on ne sait comment de faire transporter les colis par « Ducros », il y avait les filles qui s’occupaient du théâtre et des cultureux,  il y avait Aurélia Tendil, Sylvie Lojeux et quelques autres compères.

Et puis, il y avait Jean Saurel, « Le Chef ».

Géant à grande gueule, gueulard au grand cœur, bohème et inconstant, il dilapidait les sous qu’il avait ou qu’il n’avait souvent pas dans cette aventure qu’il conduisait comme quelques années avant il conduisait les bagnoles sur les rallyes ou comme il chantait à tue-tête sur le causse de Campestre.

A fond la caisse, haut et fort sans regarder dans le rétroviseur.

Nous sommes à Garons dans les locaux de « Télé Bleue » qui  avait succédé à « Radio Bleue », radio libre parce que c’en était l’esprit et radio pirate parce que c’en était la forme.

C’était un ancien hangar de pièces détachées de matériel électronique transformé en ce qu’il était.

Des fils partout, des spots aveugles, des tables de mixage empilées, des cassettes abandonnées et des heures d’ouverture flamencas.

L’émetteur « Apolline » qui était  à Générac aurait pu se nommer « Curro » au vu de son inconstance chronique à couvrir la zone qui allait de Nîmes à presque Avignon d’un côté, la petite Camargue de l’autre et Arles jusqu’à  Barriol.

Pas maï.

La programmation était aléatoire, les grilles de programme rarement respectées, les coupures fréquentes, la mire inexistante  et pour capter la chaine sur le canal 61 généreusement et provisoirement affecté par le CSA, il fallait aller voir les installateurs télé qui étaient au courant et savaient ce qu’il convenait de faire, même si souvent la fréquence empiétait sur celles affectées aux chaines bien établies avec les líos que vous imaginez.

« C’est la faute du CSA, vous n’avez qu’à leur écrire ! »,  disait « Le Chef ».

Télé Bleue, c’était l’espontaneade permanente et chevelue dans l’audiovisuel libre, mais  cependant bien propret voulu par « Tonton ».

Mais tout le monde voulait « Télé Bleue » et ne pas pouvoir la capter n’allait pas.

Un peu comme une Féria de Pentecôte sans Morante, Manzanares, Talavante, mais avec Marcos, Toñete  et deux fois Perera.

You see what I mean, don’t you ?

C’est Yves Layalle qui fut mon parrain et c’est avec lui que nous animions « Callejon » le samedi matin de 11h à midi et assurions les reportages de tout ce qui se faisait en matière de toros sur la zone et fuera de celle-ci.   De Garons et dans un dress code de nœuds papillon, nous commentions l’actualité, critiquions, haranguions, prenions à témoin, lancions des oukases et menacions des gémonies tout ce qui ne correspondait pas à ce que nous croyions.

Dévots des toreros français, devant nos micros et derrière les caméras, nous menions la lutte avec eux et tous, de Christian à Denis, Richard, Stéphane, tous du « San Gilen » à Lionel Rouf, de Marc Cristol à André Martinez ou de Gilles Raoux à Narcy Llexa, tous  trouvaient grâce à nos yeux.

Une façon de faire, une manière de dire, un esprit  nôtre.

Mais on aimait aussi la tontería.

Quand nous parlions d’une ville, en Espagne ou en France, je demandais systématiquement à Yves de nous décrire un plat de l’endroit et bien sûr, Yves le faisait en n’omettant aucun détail  avec la gourmandise qui a toujours été la sienne et qui m’enchante encore aujourd’hui.

Souvent, si je ne retrouvais pas mes notes, c’est qu’Yves me les avait subtilisées, me laissant me débrouiller sans rien, si ce n’est ma locura et ma hargne de faire quand même.

Ces fois-là, je le dénonçai à l’ire télévisuelle en bégayant outrageusement sa sympathique turpitude.

On allait filmer des aficionados qu’on surprenait chez eux ; ils nous montraient leurs trésors, parlaient et nous disaient leurs vies ; quand on n’oubliait pas de le faire, on leur faisait passer la cassette enregistrée et ils étaient heureux.

Puis, on partait vite chez Gallon pour filmer une vache qui mettait bas et au retour, on faisait quelques plans de coupe à Caissargues.

Aimé reste dans nos cœurs, Jean-Pierre et Michel lui font honneur et je pense souvent à  Caissargues et  à ce qui s’y faisait.

A « Vatel », à l’heure du breakfast, on parlait de toros à des cadres d’entreprise en costume croisé et montre Rolex qui se gavaient de jus d’orange pendant que nous  mations  le décolleté des blondes.

Hubert Yonnet, Loulou Heyral, Henri Laurent et bien d’autres ne nous firent jamais faux bond ; à Barcelone, pour les Yonnet avec Dámaso, Galloso et Christian, Balaña nous demanda ce qu’il nous fallait ; nous rentrâmes dans la nuit pour diffuser les rushes à deux heures du matin et je garde encore en mémoire un après-midi d’hiver quand on interviewa Pierre Pouly chez lui à la rue Léon Blum pendant que Rosette nous servait le café avec des caladons sur un napperon brodé.

Je me souviens aussi de la fin d’une émission dans laquelle nous accueillîmes Ortega Cano qui nous dit simplement « Va por Udes, cojonudos » ; je me souviens encore de « L’Imperator » et de Victorino qui ne nous en voulut pas quand je lui demandai s’il estimait que la corrida du jour était digne de Nîmes.

Une fois où à Dax dans le patio de caballos, à deux minutes du paseo, la Sylvie offrit à Chamaco un ensemble de serviettes de bains portant le logo de « Télé Bleue ».

Je craignais le pire.

Antonio Borrero Borrero lui pinça gentiment la joue et nous invita dans sa finca de Huelva où bien sûr, nous ne fûmes jamais.   Ce fut Simon qui le 31 août 1985, en direct, nous apprit la mort du Yiyo.

Ce jour-là, Casas resta magnifique de discrétion et d’humilité respectueuse et « Le Chef »  nous invita «  Chez Alexandre ».

Je continue à  penser maintenant qu’avec nos conneries, on  faisait un peu avancer les choses.

Les relances du CSA demeuraient bien entendu lettres mortes ; on préférait Christian  Chomel à Roland Faure, le campo de Tardieu au 39-43 Quai André Citroën, 75015 Paris et une naturelle de Christian à un courrier recommandé de Jacques Boutet.

Yves parti, JOL se joignit à l’équipe, fit ses premières armes un matin en direct et assura; l’après-midi, à Arles, il interviewa Denis Loré dans l’ombre du couloir ; il avait seize ans et quand il revint au burladero, il ne pouvait plus parler.

Le même jour, je fis rôtir les poils des bras de Pierre-Albert Blain pendant qu’il commentait la course pour France-Bleu Gard Lozère.

Jamais PAB ne m’en a voulu.   Mais, obstiné et de sentido, le CSA veillait.

Et lorsque nous y allâmes une dernière fois plaider une cause implaidable, je ne suis pas certain que Daisy de Galard ait particulièrement apprécié que « Le Chef » lui ait dit que les films X diffusés le vendredi soir étaient destinés aux prisonniers de la Maison d’arrêt, d’autant qu’il ajouta « ce que, bien évidemment, n’ayant connu ni l’un ni l’autre, vous ne pouvez, Madame, comprendre. »

L'autorisation d'émission fut définitivement retirée l’année suivante et les locaux ainsi que l'ensemble du matériel saisis.

Jean Saurel, « Le Chef », est mort fin août 2011 ; il avait soixante-trois ans et « Télé Bleue » a été incinérée avec lui...

Patrice Quiot