Jeudi 28 Mars 2024
DIVAGATIONS DE PATRICE
Vendredi, 09 Octobre 2020

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Les toros de mon cœur...

 Alors, je le ferai à la Prévert...

Sans vraie logique, décousue, sans vraie queue et avec pas de tête, sans réel corps de ponctuation et dans un imbroglio de mots que la rhétorique condamnerait, cette hydre langagière se nourrira des carpes du Guadalete, boira le Pernod sur la terrasse en béton d’un mazet de la route de Sauve et fera bouillir le puchero des vaqueros aux yeux clairs.

Avec elle, je retrouverai ce que je ne peux quitter et qui hante les recoins de ma mémoire ; ce sera ma prière païenne aux pipas des tendidos altos, mon incantation militante aux espinacas con garbanzos du « Serranito » et aux lynx de la marisma, mon oraison dévote à un pasodoble de la banda de Rudy Nazy, au solo de trompette de « Nerva », aux pigeons de la plaza Santa Ana et mon salut en forme de drapeau rouge à ceux que j’aime.

Là-haut, dans le ciel, passe une paloma ; elle vous salue tous comme elle  salue le toreo de Talavante, la crue du Vidourle et le souvenir de ma mère.   L’oiseau divin bénit le petit déjeuner de café solo y tostadas quand le soleil commence à chauffer les pierres dorées des plazas de légende et caresse le figuier dont les frères de Palestine ont donné de l’ombre au Christ ; la paloma touche l’épaule de  tous les toreros français et de tous ceux que j’ai passionnément applaudis ; elle, parcourt l’édition nîmoise du « Midi Libre » du jour, boit l’apéro en mémoire de notre ami Michel Gilles, pointe du bec les corrales du Bd Natoire où un toro tua « Macareno », indique la route aux coches de cuadrillas qui vont bientôt arriver et  chante l’été qui sera bientôt là.

Les poires de Jumilla, les abricots précoces de Cieza, le raisin de Blanca, le melon de Torre Pacheco, les citrons de Santomera, les vins de Yecla et les tomates de Mazarrón se grandissent du toreo d’Ureña, même si  les rêves de maison  individuelle des gamines du Chemin Bas ne se concrétiseront jamais.

De derrière deux cornes déboulent une anchoïade à « La Bélugue », un cèpe de cinq cent vingt grammes trouvé avec une amie un jour de tentadero chez Malabat et qui finit sa vie souterraine dans une omelette partagée à deux un midi de fringale, « L’Amatcho » du  Bayonne d’Olivier Barratchart et « Les Pyrénées » du Mont de Marsan de Thomas Dufau.

Recogido du hall du « Victoria », de la « Burgalesa » de notre jeunesse, des toros de la carretera, de l’anis de Chinchón à la douceur presque écœurante dans le récantou du patio de caballos des arènes de Dax et des phares de la nuit aux étoiles qui illuminent les oreilles coupées.

Dimanche de Vendanges de mes dix-sept ans quand Puerta, Camino et Paquirri  tuaient les toros de Germán Gervas.

Et puis et puis, ces histoires, ces histoires qu’on oublie quand le soir tombe sur la Montagnette, que le sereno madrilène vous rappelle la vie qui passe et que l’odeur du raisin coupé embaume la lune qui vient taquiner les micocouliers.

Sous les piles du pont de Triana, un flot de tendresse roule vers Sanlúcar, l’Atlantique et le Gardon.

Niños, children, garçons ou filles, cette terre des toros de mon cœur, rare de joyaux naturels et de trésors d’humanité, est offerte à votre conquête :

Si vous arrivez à la séduire, les chênes verts de Salamanque, les bruyères de Navarre, la dama de noche de Málaga, les orangers, citronniers et la madreselva de l’Aznalfarache seront vos  sujets, les enganes de chez Espelly vos hommes-lige, les plants d’aramon et le génie de la Puebla del Río vos obligés, les brochets des roubines vos vassaux et les campesinos républicains fusillés par les Requetés en béret rouge vos troubadours.

Ce royaume-là qui se limite à un horizon que pourrait contenir un seul pli de la carte de Cassini laisse deviner derrière son sky-line les immensités que décrivaient à la reine Hapsetchout les géographes de Thèbes.

Sachez, chiquillos del mundo entero, que si vous avez la chance d’en découvrir les clés, elles  vous ouvriront bien des portes....

Patrice Quiot