Jeudi 28 Mars 2024
DIVAGATIONS DE PATRICE
Samedi, 10 Octobre 2020

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Illusions trompeuses...

«Il faut se méfier des illusions trompeuses » me confiait François Mitterrand un soir  de Pentecôte quand je l’avais invité à finir la soirée au « 4 » après lui avoir fait goûter « Chez Nicolas » et à sa demande pressante, une gardianne dont il s’était fait un ventre.

« Méfiez vous… », avait continué cet excellent homme.

Observez par exemple, - avait-il- ajouté -, ce que les Français ont cru en 81 quand j’ai demandé au gros Mauroy de prendre les rênes de Matignon; observez ce que les mêmes s’imaginent de mes relations avec Danielle; soyez vigilant sur la façon dont les conseillers en communication considèrent mes canines… ; prenez garde à la déontologie qui gouverne les choix éditoriaux d’André Viard ; ne croyez pas que Juan Ortega restera toute sa vie sentao et que son talent  demeurera  ignoré ou que Michel Delafosse  fera oublier Georges Frêche.

Il avait raison l’Oncle.

Il faut se méfier des illusions trompeuses.

Ainsi, ce n’est pas parce qu’un magicien en frac et haut de forme  fait disparaître dans un coffre entouré de grosses chaînes une blondasse en maillot en fausse peau de panthère qu’on ne retrouvera pas la même, quelques heures après, sans le coffre, mais avec les chaînes et le maillot dans le plumard de l’illusionniste.

Ainsi, ce n’est pas parce que Toñete figure dans un cartel de féria qu’il sera un jour à l’aune de José Mari Dols Abellán et ce n’est pas parce que Perera est originaire de la même province qu’il fera oublier Talavante.

Ainsi, ce n’est pas parce que les coiffeuses du monde entier se pâment devant Léonardo Di Caprio essayant d’attraper la main de la gonzesse pour la ramener sur le canoë et éviter qu’elle se noie que le joufflu d’Hollywood en soit moins idiot.

Ce n’est pas parce qu’il est  maigre, instituteur, barbu et qu’il rase les murs que votre voisin de palier votera automatiquement socialiste.

Enfin, vous avez compris.

Mais poursuivons cependant.

Ce problème de l'illusion se posait déjà pour Platon à propos de la sophistique, cet art du simulacre et de la fantasmagorie, qui dupe les oreilles et les cerveaux.

"Comment, se demande Platon, la sophistique est-elle possible? Faire du sophiste un artisan de paroles fausses et de pensées fausses, c'est manifestement supposer que le non-être est » disait l’helvète antique.

«Peut-on, sans choquer la raison, admettre que le non-toreo est ? » demandait de la même façon Marcos au fantôme de son oncle à l’issue de son alternative du 19 septembre.

Ce à quoi  le fantôme répondit sobrement :

«Platon appelle des imitateurs simples ceux qui imitent de bonne foi l'exemplaire irréel auquel ils tâchent de se conformer. Toi, nieto mío, tu es ce que Platon appelle un imitateur ironique.»

C’est trop flag, non ?

Il avait raison  l’Oncle.

Il faut se méfier des illusions trompeuses.

L'illusion est aussi au cœur de la conception classique de la peinture, comme me le disait pas plus tard que ce matin au téléphone mon bon collègue italien Léon Battista Alberti (1404-1472) en me rappelant l’importance de « rendre présent l'absent ».

Ce précepte qui s’applique terme à terme à Toñete ou Perera -pour lesquels j’ai par ailleurs le plus profond respect - prend une signification toute particulière lorsqu’on passe au scanner les comptes du «Plumaçon» ou lorsqu’une empresa essaie de négocier en cette annus horribilis de pandemia universalis la jauge de l’aforo avec le préfet du coin ou l’alcade du pueblo.

Le même précepte vaut aussi lorsqu’il convient de remettre une tournée d’anis.

Eddie vous le confirmera !

Fondamentale en littérature est l'illusion romanesque.

Pour qu'elle se produise, il faut intéresser le lecteur au sort de ses personnages, qu'ils soient exotiques ou proches.

C’est ce qu’ont parfaitement compris Enrique qui assortit sa fin de carrière au pecho d’Ana la boulangère ou le « Ripartito » qui a armé un gros taco en inscrivant le but historique et qui, à cette occasion, remit au goût du jour le catogan de Michel Volle relégué, peuchère, à l’andanada.

C’est ce qu’avait moins bien compris John Fulton quand il se fit fort de faire de Taira Nono « El Niño del Sol Naciente" un émule de Rafael « El Gallo » et c’est ce que n’a toujours pas compris l’UVTF dans son incapacité à entendre les olés de la jeune aficion.

Il avait raison  l’Oncle.

Il faut se méfier des illusions trompeuses.

Quant à René Descartes et Baruch Spinoza, ils pensaient que l'illusion se différencie de l’erreur en ce qu'elle peut résister à la connaissance de sa fausseté.

Un peu à la manière de Javier Conde, de Bernard Henri Levy ou de Christophe Barbier qui excellent dans cet exercice.

Dans le même ordre d’idées et bien dans l’esprit de René et de Baruch, ce n’est pas parce que les flyers de l’école taurine ouverte par Pepe Calabuig promettaient aux élèves qui s’y inscrivaient de devenir « riches, célèbres et aimés des femmes » qu’il eut été bien raisonnable que « Solalito » ou « El Rafi » y adhérent.

Mais, bon, je vous embête avec toutes ces divagations divagantes et toutes ces illusions trompeuses, avec « Tonton », Platon, le romanesque, Enrique, Conde, avec Descartes, Spinoza et Calabuig, non ?

Aussi, vu qu’il est bien tôt et que je ne l’ai pas encore fait, je vais aller boire un café.

Sans parler.

Ce qui n’est pas plus mal car je crois qu’en fin de compte ce que je préfère, c’est me taire.

Il avait raison  l’Oncle.

Il faut se méfier des illusions trompeuses !

Patrice Quiot