Jeudi 28 Mars 2024
DIVAGATIONS DE PATRICE
Mercredi, 14 Octobre 2020

14ph

Tal Cual : Fake de ce qu’auraient pu être les contributions taurines de collaborateurs à la revue littéraire d’avant-garde « Tel Quel »* (1960-1982).

1) Roland Barthes «El Fumador» sur le toreo…

« Le plaisir du toreo vient évidemment de certaines ruptures ou de certaines collisions.

Des codes désagréables - le noble du traje du torero et le trivial de l’urine du cheval par exemple - entrent en contact; des néologismes pompeux et dérisoires comme le « José Tomás est mort dans la plaza ; en réalité, c’est Manolete ressuscité. » casassien sont créés ; des messages pornographiques « me cago en la leche que mamaste » viennent se mouler dans des phrases si pures qu'on les prendrait pour des exemples de grammaire !

Ainsi le toreo est redistribué.

Or, cette redistribution se fait toujours par coupure.

Deux bords sont tracés : un bord sage, conforme; il s'agit de copier le toreo dans son état canonique, tel qu'il a été fixé par l'école, le bon usage, la littérature, la culture et tel que le pratiquait José María Dols Abellán et un autre bord, mobile, vide, apte à prendre n'importe quels contours là où s'entrevoit la mort du toreo comme celui que donnent à voir Antonio Catalán « Toñete » ou Miguel Ángel Perera.

Ces deux bords, le compromis qu'ils mettent en scène, sont nécessaires.

Car le moment le plus érotique du toreo n'est-il pas là où il bâille?

C'est l'intermittence qui séduit, ou encore la mise en scène d'une apparition-disparition… Un dévoilement progressif : toute l'excitation de l’aficion se réfugie dans l’espoir de voir le sexe (rêve de collégien) ou de connaître la fin de l'histoire (satisfaction romanesque) ».

2) Felipe Sol « El Solers » sur Morante.

« Comment présenter J.A. Morante Camacho en dehors du schéma chronologique déjà bien connu et longuement développé de ses exégètes ?

L’importance historique de son toreo n’est pas seulement comprise dans la suite de ses faenons historiques. On peut soutenir que le but essentiel de celui de la P del R est - reste - comme il est dit, dans la détermination du « point » qui résoudrait, par un dernier sursaut dialectique, les contradictions permanentes de l’esprit et du réel.

Il semble que son toreo soit dominé par ces deux mots d’ordre, l’un de Rimbaud : « changer la vie », l’autre de Lautréamont : « la poésie doit avoir pour but la vie pratique ».

C’est ce côté d’enquête menée simultanément dans tous les domaines qui nous semble la marque propre du Génie du Grand Fleuve qui, comme André Breton, aurait pu lui aussi dire à Paul Valery : « Sans doute y a-t-il trop de nord en moi pour que je sois vraiment l’homme de la pleine adhésion. ».

3) Julia Kristeva «La Bulgara » sur Léa Vicens :

« Lancée dans un combat acharné pour affirmer sa liberté de femme et sa signature de torera de cartel et avant d'être couronnée par une réussite des plus académique, elle impose une sensualité qui défie le refoulement plus ou moins chaste des gens convenables. Provocante par l'audace de son parcours, la torera refuse de s'enfermer dans un quelconque militantisme et ne prêche aucune transgression. Elle parvient à donner à son expérience de liberté sans complexe le langage d'une profusion maîtrisée par une rhétorique classique qui a la sérénité du miracle grec. Fallait-il être l'étrangère que je suis pour se laisser fasciner par sa sorcellerie, qui ne serait donc pas seulement française, mais, peut-être, sait-on jamais, universelle? Imprimé en moi, le L de l’alphabet de Léa avait raison de moi, tout autour de moi était l'alphabet, pourtant il n'y avait ni tout, ni alphabet. Rien qu'une mémoire en L, une mémoire en Liesse, un appel à écrire qui n'était d'aucune Littérature, une sorte de vie en plus, « fraîchissante et rose », comme aurait dit Marcel Proust. »

4) Julia Kristeva «La Bulgara » sur la cornada :

« Corne/Cornes/

Une Mort à chaque corne/

Coup/ Couilles/

Une Peine dans chaque goutte/

De son sang tourmenté/

Manolete/ Une mort pré/maturée ? »

5) J.E Hallier «El Tuerto » sur la revista taurina

« La presse, je l'aime d'un bel amour déçu. Plus je lis les journaux, plus je lis Viard, plus je lis Del Moral, plus je lis « L’écho du Vidourle », plus je suis fou de n'y point trouver ce que j'attends et plus je deviens mélancolique d'une autre presse, à inventer avant qu'il ne soit trop tard. »

6) Jacques Derrida « El Grande» : - Sur les généalogies taurines : « On ne peut pas souhaiter un héritier ou une héritière qui n’invente pas l’héritage, qui ne le porte pas ailleurs, dans la fidélité. Une fidélité infidèle. On retrouve cette double injonction qui ne me quitte pas ». - Sur ce que doit être une faena : « Une faena n’est une faena que si elle cache au premier regard, au premier venu, la loi de sa composition et la règle de son jeu ».

- Sur le plaisir de donner une passe : « C’est vivre dans l’éparpillement de sens jamais univoque ».

7) Lacan « El Faraón »

- Sur les pavés du parvis des arènes de Nîmes : « Le réel, c'est quand on se cogne ».

- Sur l’apoderamiento : « Les paroles entraînent une dette ineffaçable ».

- Sur la tertulia : « Le dialogue paraît en lui-même constituer une renonciation à l'agressivité. Ce que je cherche dans la parole, c'est la réponse de l'autre. Le désir de l'homme trouve son sens dans le désir de l'autre.»

- Sur le fils du « Cordobés » : « Le père comme nom et comme celui qui nomme, ce n’est pas pareil. Le père est cet élément quart – j’évoque là quelque chose dont seulement une partie de mes auditeurs peuvent avoir le délibéré – cet élément quart sans lequel rien n’est possible dans le nœud du symbolique, de l’imaginaire et du réel...»

*Tel Quel : Le nom de la revue est emprunté à un aphorisme de Nietzsche :

« Je veux le monde et le veux TEL QUEL, et le veux encore… le veux éternellement, et je crie insatiablement : bis ! et non seulement pour moi seul, mais pour toute la pièce et pour tout le spectacle ; et non pour tout le spectacle seul, mais au fond pour moi, parce que le spectacle m'est nécessaire parce que je lui suis nécessaire et parce que je le rends nécessaire. »

Ouf, voilà c’est fini !!!

Patrice Quiot