Vendredi 29 Mars 2024
DIVAGATIONS DE PATRICE
Lundi, 19 Octobre 2020

poêle19ph

La poêle de 32... (1)

C’est arrivé le samedi 26/04/2008, au 18 rue d’Essin, 57500, Saint-Avold, sitio où les impératifs de ma profession me faisaient séjourner.

Serge Navel, dit « Le Rubio », ainsi nommé et reconnu dans toute la géographie vineuse, taurino-culino-boulistique, officiait en cuisine.

Il était 19h42 à la pendule.

Je vous le décris le Rubio :   Roux comme Rita Hayworth, charpenté comme un quarter back des « Lions de Minneapolis », minutieux comme Ortega Cano, vêtu d’un jean de bonne facture et d’une camisa du même acabit de chez « C § A », sastre en Montpellier », fajín y zapatos de mismo color, il faisait sa présentation de cocinero en Moselle.

Cette présentation en terre lointaine n’avait pu se faire qu’après de très difficiles tractations.

Car ses actuaciones hors région LR sont confidentielles et tout déplacement fuera de la zone d’influence du grand Frèchou soumis à des jalousies dont on ne peut imaginer la perversité.

Ainsi, sa récente faena à Langogne devant un encierro de cochon noir ne put se faire que grâce à la complicité de Jacques Blanc et à son amitié pour Pierrot Castagnié.

Mais pour le reste…

On dit que Casas qui lui aurait fait un pont d’or pour faire goûter à Pepín Liria le jour de sa despedida à Nîmes, les fameux « rognons blancs à la fournésane  accommodés façon Victorino », avait difficilement accepté le refus poli que « El Rubio » lui avait fait signifier par Lulu Brodero.

On prétend qu’Enrique et « El Juli » qui avaient sollicité sa présence et ses conseils pour le choix idoine des vins de l’apéro fruits de mer à « L’Oustal del Mar », comme Castella et le petit Jalabert  qui voulaient se faire un ventre de sa « Bourride de petit gris », n’auraient pas apprécié sa défection et auraient décidé de ne plus toréer ou même de quitter l’arène si « El Rubio » avait l’insolence d’être dans les gradins lors de l’une de leur prestation.

Quant à Jean-Paul Fournier qui l’aurait sommé de prendre contact dans les meilleurs délais avec Michel Renoulleau pour redonner une nouvelle jeunesse à « L’aïoli de l’Aficion Cheminote » que le maire voulait faire revivre le vendredi matin de la Féria à 11h à l’Esplanade, il se serait entendu répondre : « De minimis non curat praetor » (« Le prince n’a cure de l’insignifiance » - sic-).

Je ne vous dis pas la colère de l’alcalde !

La presse spécialisée avait pourtant évoqué des sommes colossales (« 3 kg d’euros, señores !!! » aurait été la dernière parole audible murmurée sur son lit de mort par Rafael Campos d’España) pour s’assurer de sa présence et la classe politique fait sur lui des pressions de tout ordre.

Mais, rien, rien, rien n’y avait fait.

La décision définitive fut annoncée par «Le Quotidien de Pékin» le 10 avril :

« Le cocinero fournésan « El Rubio » ne toréera pas la Féria de Pentecôte 2008 à Nîmes, réservant ses talents pour sa présentation du samedi 26 avril dans l’Est de la France.

Outre cet aconcimiento exceptionnel et ses prestations chez lui dans la marisma du Vidourle, le « Sorcier de la rue Baudin » ne devrait cette année se produire qu’en festival  ».

Incroyable mais vrai.

Suite à ce scoop sensationnel, trois corridas des « Farolillos »  furent annulées, Morante confirma que, lui aussi, zapperait le cycle pentecostal nîmois et Hermoso de Mendoza renonça à se faire teindre en roux.

Mais ainsi va la vie et, de toute manière, comme disait El Gallo : "Lo que no pué sé no pué sé, y, además, es imposible ! "

Aussi, pour son unique prestation en terre minière,  « El Rubio » avait choisi  la difficile facilité :

« Pas de doblete, pas de redondance qui faussent l’analyse et dispersent l’impression », avait-il dit à « Terre de Vin » ; « A la répétition de faenas culinaires multiples, je préfère l’exercice unique » avait-t-il, en outre, confié à Jacques Durand en sortant des cabinets de la cabane.

Il ne confectionnerait donc qu’un seul repas.

Mentalisé à bloc, il avait  cependant en grand professionnel mis tous les atouts de son côté.

Cuadrilla de toujours, inchangée depuis sa première omelette en 1967 dans la cuisine de sa mère à la rue Villars :

Lidiando : P. Quiot, « El Cojo », y de secundo : J. Quiot «  El Hermano » qui met aussi la puntilla si besoun.

Au cartel :

-  De primero : Millefeuille de morcilla, pissenlits blancs et vinaigrette de pejeríl ;

-   De secundo : Côte de bœuf à la moëlle, asperges rôties, fricassée de pepinos y berenjenas ;

-  De queso : Un munster déjà toréé, mais de rama fenómenal ;

-    De postre : Frutas del tiempo.

Iba de vino : Coteaux du Languedoc.

Cependant, deux jours avant l’acto, le chat noir de la mala suerte avait failli tout faire annuler.

A Besançon, plaza de segunda où la cuadrilla faisait étape, « El Hermano », mal placé au quite à la sortie du coche de cuadrilla, n’avait pu prévenir « El Rubio » d’un hachazo du coffre qui lui avait infligé une cornada descendante de 7cm por la cara.

« El Rubio »  arriva en Moselle, le stigmate encore frais.

Il évoqua ses cornadas de miedo : La hernie hiatale de 81 et le grillage qui depuis soutient ses abdominaux, la paille de fer dans l’œil en 1984 qui l’empêcha pendant dix ans de mettre une boule à moins de cinq mètres du téti et en octobre de la même année, la terrible coupure au pouce en maniant sans prudence une tronçonneuse de mala muerte, l’empéguade de 85 au « Cigalou » qui avait mis sa santé mentale en danger pendant huit jours, la cornada morale du 13 à 1 à la pétanque infligée par Dada aux cabanes un terrible après-midi d’avril 88, sans compter les larmes causées par l’oignon, les brûlures à l’huile d’olive ou les glissades sur les épluchures de pommes de terre inhérentes à la profession, mais heureusement toutes prises charge par le Montepío et la Matmut.

Mais bon, tout ça c’était du passé et, concentré sur la tarde à venir, « El Rubio » n’y pensait plus.

Le 26 au matin, accompagné de « El Hermano », il avait fait le sorteo au  marché de Metz pour la partie légumes, puis avec la cuadrilla complète, il avait choisi chez Kamin, rue des Américains à St Avold, le boudin de sang « sin cebolla » d’origine vasqueño et la côte de bœuf de deux kilos et 320 grammes de procedencia  Santa Coloma-Charolais par le croisement Tamarón.

Après la sieste vespérale, « El Rubio » partit au campo pour se faire la main et tienter quelques produits de ganaderías locales.

A Tenteling, termino de Sarreguemines, après le cruce de Farébersviller, à la finca « Schnabo » d’Andrés Bascove y Esposa, en fin d’après-midi, il donna quelques passes à  une très grande eau de vie de kirsch (le ganadero nous confia qu’elle avait 12 ans et que la rama était aujourd’hui éteinte), donna un pecho d’anthologie à une vieille poire qui me confia-t-il « no le gustaba mucho porque claro que tenía recorrido bueno, pero, de salida, tenía un olor de bonbon inglés » et se défit sans difficulté aucune de quelques trozos de jamón mosellano humado de robles.

Pendant tout l’après-midi, « El Rubio » parla.

Il parlait, il parlait, il parlait, mais il était ailleurs.

En fait, il ne pensait qu’à la côte de bœuf…

Patrice Quiot

(La suite… demain).