Mardi 16 Avril 2024
DIVAGATIONS DE PATRICE
Mardi, 20 Octobre 2020

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La poêle de 32... (suite et fin)

 

... Alors, a las siete y cuarto de la tarde, « El Rubio » fit le paseo foulant en chaussons le piso carrelé de la cuisine.

Pas de superfétatoire, c'est-à-dire pas de grignotages d’apéro - fioritures futiles qui te quittent la force -, à peine bons pour les cocineros débutants en quête de reconnaissance.

Tout de suite, le Rubio entra dans le dur.

Il expédia vite fait le premiers tiers. La cuadrilla tournait comme une montre suisse pour lui passer les différents éléments qu’il assemblait sans un geste de trop, avec temple et efficacité.

Un poco complica’ au début à cause de sa texture fine, la morcilla rompit en se rendant à la main droite du maestro qui l’aligna sur un millefeuilles de rondelles de pommes de terre poêlées au beurre, « El Rubio » laissant la disposition du pissenlit au « Cojo ».

« Olé ! Olé ! Que oficio tiene el tío ! » commentait Molés sur Digital + qui diffusait la chose en direct.

La pétition fut unanime et il coupa la première oreille qu’il mit dans son tablier après avoir embrassé le pavé.

De retour au burladero, il but un canon.

Alors sortit « Chuletón ».

Il était 20h 34 à la pendule.

Colorao en negro, grande, persillée en blanco, muy bien conformada, con trapío, fenotipo clásico de la casa Charolais pero con mucho volumen, «  Chuletón » pouvait être une côte de bœuf de bandera, une comme on mange chez Lhardy à Madrid un jour de San Isidro.   « Este, de cortijo ! » glissa « El Rubio » à l’oreille de « El Hermano ».

Il s’avança, torchon blanc dans la main gauche.

Molés se taisait, Antoňete fumait et Emilio rêvait de Triana.

Alors, au milieu du plan de travail, Serge Navel « El Rubio », fils unique de Guy et Jacotte, père de Fabien et Léa, compagnon de Nathalie, figura máxima de la cocinería, trente-sept années d’alternative, quatorze sorties a hombros du Bar Nacional de Lunel, triomphateur six années en seguida du concours de « La fougassette et l’anchoïade » de St Laurent d’Aigouze, Teniente Général de Picpoul de Pinet et Hermano Mayor de la Hermandad de Marsillargues, tendit la main et dit d’une voix douce au «  Cojo », son ami de cinquante ans :  « Cojo, acercame une poêle de 32 ! ».

« El Cojo » n’en avait pas.

Le regard du Rubio devint glauque : « Une poêle de 32, vite, je te dis, putain, c’est la seule qui puisse servir pour arreglar bien la faena.»

«  Lo siento mucho maestro pero no tengo el tamaño de 32, tengo solo el de 28.5 y otra mas pequeña de 23 ».

Molés comprit la hauteur du drame, Chenel alluma une autre clope et Emilio songea à son père.

Il fallait aller vite au risque que « Chuletón » se réserve, que se arrajo.

Alors « El Rubio » improvisa.

Personne ne comprit comment il utilisa deux poêles, le couvercle d’un wok, des ustensiles divers et variés mais, ce qui est sûr c’est que liant les gestes les uns aux autres, cabeza fría en un corazón caliente, il arma le gros taco.

« Fuera, fuera cuadrilla, dejadme solo, dejadme solo ! » hurlait-t-il ; « Hermano, envoie le service ! » ; « Cojo, assure-toi de la disponibilité des assiettes . »

Il toréa « Chuletón » à la perfection et ce fut un embrujo que par voie satellitaire, Molés, Antoñete et Emilio firent connaitre au monde entier.

Les deux oreilles tombèrent, les cloches de St Laurent d’Aigouze sonnèrent à toute volée, Jacques Tessier dit une oraison et nous, la bouche pleine, on oublia la suite du repas pour laisser libre cours à la glose et au pinard.

Le lendemain, «  Le Républicain Lorrain » titra : « El Rubio, une cuisine de mirabelle et de saucisses blanches ».

C’est vous dire !

Le 27 avril 2008, a las siete de la mañana, le coche de cuadrilla ramena « El Rubio » chez lui, là-bas entre le Pont du Lièvre et du Petit Cogul.

Le même jour, a las cinco de la tarde, il jouait aux boules aux cabanes de Marsillargues.

Un pedazo de cocinero, este Rubio.

Dommage qu’il soit rouquin !

Patrice Quiot