Jeudi 28 Mars 2024
DIVAGATIONS DE PATRICE
Lundi, 26 Octobre 2020

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La lance dorée du Campeador (1)...

(Petite coquetterie tauromachico-nîmoise d’après une chanson de geste de Guillaume d'Orange)

C'est le nouveau temps de printemps; les bois feuillissent et les prés reverdissent.

Les oiseaux chantent bellement pour fêter la Féria de Pentecôte.

Je rentre d’Austrasie, de Lutèce et Lyon, après avoir fait chasse de cerfs de première graisse.

Je porte mon sac à l'épaule ; une épée de mort et quatre flèches sont passées à ma ceinture.

En ma compagnie vont deux hirondelles.

Il est la dixième heure.

Vient à ma rencontre Maistre Serge, mon collègue bien avant que  le bon peuple eût chassé du trône Valery Ier l’Auvergnat pour remettre le sceptre à François de Jarnac.

Je le baise trois fois en grande amitié.

« D'où venez-vous, bel  ami ?» lui demandai-je.

Maistre Serge dict :

«Il est quarante lunes, je fus à  Hispalis.   Alfonso VII, Imperator totius Hispaniae, s’y trouvait avec Doña Berenguela, fille du comte de Barcelone  nièce de Louis Le Gros, notre bon Roy.

Entre autres divertissements pour s’esbaudir, il y eut grande fête de taureaux fors la belle cité d’Al Mutamid était contrite du vol de la lance dorée du Campeador »

Fin lettré et au fait de la chose poétique, Maistre Serge précisa à mon entendement :

« Campeador n’était qu’or partout, du cimier aux talons,

L’or des cuissards froissait l’or des caparaçons,

Des rubis grenadins faisaient feu sur son casque,

Mais ses yeux en faisaient plus encore sous son masque,

Superbe, et de loisir, il allait sans pareil,

Et n’ayant rien à battre, il battait le soleil ! »

Au propos de l’essoyne de la lance Maistre Serge, ajouta:

« Par ire soudaine et seule vilenie, la prise d’icelle lance à un de nostre cité fut injustement attribuée, l’arme d’host à fer pointu aurait, à Nismes, été nuitamment portée.

Et, personne, de ce que j’en sache, en ce lieu, n’en connait mie.

Mais laissons à Satan sataneries, à Dieu bondieuseries et à maréchaussée maréchausséseries.

A ce jour, je suis en notre bonne ville où règne grand émoi.

Notre cité en liesse  distribue ses charmes ; à l'un, une promesse ; à l’autre, une oreille ou encore une embrassade ou une fougassette à tel autre.

C’est le bel charroi de Nîsmes ».

Je me gausse d’une saine joye:

« Allez à votre maison, mon bel ami et faites-vous somptueusement habiller pour paraître.

Ce que vous me contez sur notre cité enchante mon âme, même si mon esprit est fort navré de la volerie que vous me narrez.

Mais, tranquillo compère mien, ne voulant pas avec la fière Espagne voir notre amitié trahie, vous me rejoindrez à la seizième heure du jour, vêtu de vos plus beaux atours.

Pour tant la quiert-on qu'on y parvient, j’aurai pour lors, trouvé réponse au larcin.

Puis, ensemble, irons joyeux à l’amphithéâtre avant de faire bombance ».

Je marche dans ma ville, passe sous les micocouliers du quai de la Fontaine, gravis si hardiment les escaliers de la Tour Magne qu'éclatent mes chausses en cuir de Cordoue, je foule l’avenue Jean Jaurès, croise la Maison Carrée et descends le boulevard Victor Hugo.

Je siffle entre mes dents.   Le soleil luit et aussi Pierre et aussi Jacques et aussi Jean.

Je siffle entre mes dents.

Loin de toute misère,

Six animaux libres sont retenus en cages de fer.

Il est la onzième heure et c’est le bel charroi de Nismes.

Mais la lance dorée soustraite au Campeador fait saigner mon cœur.

Au « Café de la Bourse », je prends langue avec sire Alain, l’ancien premier échevin.

« Assied-toi », dit l’édile.

« Non ferai », dis-je.   « J'ai un petit assaut à mener pour te parler ».

L’échevin acquiesce : « Ce sera comme tu commanderas ».

« A toi de bien écouter, ami échevin.

Aujourd’hui point d’envie de bataille n’apparait dans les cartes rouges de ton signe.

Mais de cela, à l’heure en ai cure car me marryt davantage la lance dorée prise au Campeador.

T’en es-tu saisi ? »

« Amigo, dit l’édile, prends patience.

La guerre reviendra avec l'an prochain et sous ma bannière nous irons au combat, mais aujourd’hui la cité est en liesse.

Tends donc ton hanap que l’échanson le remplisse de bon anis ».

« Si fait, mais par le Dieu qui peina sur la Croix, se battre à l’an neuf est bien longtemps attendre.

Cela donne rude peine à, comme moi, un homme empli de bachellerie et dont le sentiment est moins tourné vers la dextre de Juan José de la lointaine Xeres que vers la sinistre de José Antonio qui naquit à la Puebla au bord du grand fleuve.

Aussi, échevin, toi qui fus le premier de notre bonne ville et qui n’a pas bons sens rassis, souviens-toi des antiques combats.

As-tu oublié la grande bataille livrée sous les murailles de Nismes en l’an de grâce quatre-vingt-quinze ?

Alors que, fort de son haut lignage, le duc au chef cendré tendait la main vers le sceptre, Nismes voulait te faire roi.

La couronne était sur l'autel.

Mais, à la différence du preux Christian, qui, dans l’arène, toujours l’a fait, tu n’as osé t'avancer seul.

Pour régner, tu t’allias.

Jamaï de ma pauvre vie, je ne t’avais fait grief de cet host dont, par devant Dieu miséricordieux, je t’avais absous.

Mais à ce jour, je dis mon ire à te voir vu ainsi agir.

Mais fi de mon sentiment ou de joutes anciennes ; sur l’heure, parle-moi sans rien me taire :

De la lance dorée du Campeador t’es-tu emparé ?».

L’ancien premier échevin  gronde :

« Peut me chaut de tes paroles.

Il n'est personne sur terre, pour oser me faire telle offense sans perdre avant un an sa tête ou sa liberté ! »

Plein de fureur, je broie une de mes flèches d'aubier avec une telle force qu'elle se brise par le milieu.

Je jette les débris aux pieds de l’édile qui se mord la bouche sous l'outrage.

L’échevin m'a fait mauvaise querelle et il ne m'a donné ni œuf pelé, ni réponse vaillante à ma queste de l’arme d’hast dorée et à fer pointu du Campeador.  

Il est la douzième heure et, las, je quitte la taverne.

Patrice Quiot

(A suivre…)