Vendredi 29 Mars 2024
DIVAGATIONS DE PATRICE
Mardi, 27 Octobre 2020

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La lance dorée du Campéador (2)...

… En passant sous l’Horloge du Lycée, je marche vers les Halles où fais emplette de deux livres de cèbes de Lézignan et de quatre de daube de premier sang.

Il est la treizième heure et c’est le bel charroi de Nismes.

Par les venelles lumineuses, je croise le comte de Peytavin ; nous nous prîmes la main et montâmes les degrés de la rue Jean Reboul pour aller faire l’apéro au « Prolé ».

« Comte, seigneur de Bachalas et de St Charles par la grâce du Dieu tout puissant, en connoissez vous davantage sur la lance dorée du Campeador ? »

« Amic, dit Peytavin le Petit, j'eus grande peur hier soir après la Pégoulade alors que j’estais festoyant à la bodega de Jany.

J’y rencontrai vingt orgueilleux gitans de la Placette auxquels je devais trois jaunets perdus au jeu de dés.

Nous étions seulement deux avec le bel Ahmed du Chemin Bas qui fait œuvre au marché-gare et joue remplaçant à Nîmes Olympique.

La bataille fut grande et noire.

Mais, tirant l'épée damasquinée de Joselito de Gelves, frappant de mon bras nu et fauchant tous ses guerriers, je pris le seigneur de ceus là à la gorge et le laissai pantelant et fuyant comme le chien de Jehan Nivelle. »

« Cela ne me surprend guère, comte » lui répliquai-je.

« Avez-vous oublié la vile attaque de Diongué, le More de Bezouce, qui voulait profiter de votre absence alors que, ayant pris la Sainte Croix, vous étiez parti en mobylette au Grau du Roi faire pêche de tellines ?

Il revendiquait votre place au flipper du « Café de Lyon », votre callejon aux arènes et votre copine Babé aux gros nichons qui tenait commerce de coiffure à la rue Fresque.

Vous fonçâtes sur lui et, sous les yeux des clients du « Napo », vous lui plantiez votre gantelet dans le corps jusqu'au gonfanon.

Puis vous le lançâtes dans le canal de la Fontaine où il fut mangé  par les anguilles ».

« Las, répondit Peytavin le Petit, j’ai tant servi que j'ai le poil chenu et jamais n'ai reçu un pain, une abbaye ou un duché de ceux pour qui, derrière les talenquères, je fais besogne de basse police.

Aujourd’hui, marri, je crois que je vais tourner le vermeil de mon écu et virer tarlouze ».

« Fi de vos billevesées, chevalier; demain à midi, chez « Le Blond » avant le mano a mano qui, de Nismes à Lutèce, enchantera le royaume, vous serez à mes côtés pour une bugade de raviolis.

Il y en aura à boudre et au moins pour trente » lui lançai-je, l’abandonnant à son ire, mais moi  tout entier à mon trouble du vol de la lance dorée du Campeador.

Il est la quatorzième heure et c’est le bel charroi de Nismes.

Nismes de bannières est toute ornée, ses gens descendent dans les rues en chantant, des hautbois jouent, des voix mélodieuses se rencontrent.

Des cavaliers entourent des charrettes, portant courroies et besaces.

Le ciel est d’azur, la bonne chère cuit dans des marmites offertes à l’encan et des enfants jouent à la billette.

Jamais fête me donna tant d’heur et je fais festin d’une anchoïade.

Si le Roi me disait : « Pour t’en défaire, je te donne le quart de la France, le quart des marchés, des archevêchés et des villes. »

« Non en ferai, Sire, pour tout l'or sous le ciel, je ne quitterai pas la ville aujourd'hui.

Elle est bonne à y vivre le jour où, sous la protection de ton cimeterre, combat Sébastien de Béziers, lui qui, jamais, n’aurait eu l’outrecuidance de jeter regard envieux à la lance dorée du Campeador » lui répondrai-je.

Il est la quinzième heure.

Celle de la sieste.

« L'indolence d'un gros bourdon

Me ramollit pour de bon

Je suis au mazet

Et n'ai plus qu'à me laisser glisser

Dans les bras d'un trône en osier

Loin de la géhenne des embrassades d’amis retors

Mais à ma peine du larcin de la lance dorée du Campeador. »

(Daniel Jean Valade, «  Le Divin Chauve », échevin de la ville attaché aux choses du gai savoir et aux mœurs des bêtes à cornes pointues  in « Faï tira Ginette».)

Puis vint la seizième heure.

Vinrent aussi Maistre Serge du Velay et Dame Mireille, dextres, galants, de hait, tout de frais habillés dans le bel charroi de Nismes.

Maistre Serge mérite honneur car, ayant atteint l'âge de douze ans, il fut envoyé à l'école au Monastère des Carmes à côté des « Dames de France ».

Son parrain Bouzanquet, l’aïeul de l’épicier qui fait le coin de la rue Notre Dame et de l’ancienne pissotière, prit un soin particulier de l'instruire parmi les autres écoliers qu'il avait en pension, lesquels il  surpassait en toutes choses.

Ses délices, c'était l'Oraison, laquelle il n'interrompait que pour vaquer à ses livres; et, dès qu'il commença à entendre le latin, il avait continuellement la Sainte Ecriture devant les yeux; et encore qu'il eût, parfois, les livres des poètes, philosophes païens, ceux du « Tío Pepe » de Claude Popelin ou d’Auguste Laffront , il ne se laissait néanmoins pas emporter à leurs opinions, préférant la science des Saints à la vaine philosophie des sages du monde.

Avec cestui là, nous passâmes bel moment et  trois belles heures à voir dompter les bêtes irraisonnables que des spadassins ibères ou françois occirent d’estoc donnant grand plaisir à ceux qui goûtent cet exercice.

Puis, Maitre Serge partit en son oustau à fin d’y escrire « Le gypaete barbu », son livre d’heures.

Mais Dame Mireille resta avec nous.

Par son charme et  ses manières, on eut dit une Vierge d’Hispanie ; elle me mit cependant à la question :

« Vous promîtes à Maistre Serge, sous peine de son courroux, de lui révéler le secret.

« Alors donc, hoc et nunc, ubi est Campeadoris pilum ? »

En grand dépit je confessai sur les Saintes Ecritures que je l’ignorois.

Patrice Quiot

(A suivre...)