Jeudi 28 Mars 2024
DIVAGATIONS DE PATRICE
Mercredi, 28 Octobre 2020

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La lance dorée du Campeador (fin)...

... Il est la vingt et unième heure et c’est le bel charroi de Nîmes.

Avec d’autres fols amis, en regardant passer les damoiselles en taille, en lançant des calembredaines aux constellations naissantes, en faisant pieuses dévotions à la sorcellerie de Rafael le Gitan, aux nobles gestes du Curro de Camas ou à la belle figure de celui d’Albacete, nous nous abreuvions au Vidourle des grandes pluies dans l’intempérance des barbes à papa.

Mais nenni de l’essoyne de la lance dorée du Campeador, cestui la qui battait le soleil.

A la vingt-deuxième heure du charroi de Nîmes, le bel et grand « Rubio », fils de Guy et Jacotte, prince de la Vistrenque, majourau de la Pétanque  et duc des Cabanes eut faim.

Nul n’eut l’outrecuidance de le dédire.

« Nous irons faire bonne chère à l’hostellerie de Nicolas pour y festoyer de brandade et tripoux et y boire le bon vin des Costières qui enjolive la vie.

Pascalin le maitre-queue du lieu est un vassal que j’alimente en muges et anguilles qu’aimait Paquirri.

Il fait bon le voir, précisa le roux somptueux, car il porte bonne trogne et a presque dix-huit mentons ; il est merveilleusement flegmatique des fesses, tant de sa complexion naturelle que de la disposition qui lui est advenue par trop humer de morcilla et par trop lire Del Moral.

Et s'il advint qu'il soit dépit, courroucé, fâché ou marri, il trépigne, il pleure, il crie, pour lui apporter à boire ce qui  le remet en nature, et soudain, il demeure gai et joyeux comme à la lecture d’une chronique du bon Durand de Lansargues.

Une de ses duègnes m'a dit, jurant sa foi, que de ce faire il était tant coutumier, qu'au seul son des flacons il entrait en extase, comme s'il goûtait les joies de paradis. En sorte qu'elle, considérant cette complexion divine, pour le réjouir au matin, faisait devant lui sonner des verres avec un couteau, ou des casseroles avec leur couvercle, auquel son il s’égayait, il tressaillait comme mouche sur merde fraiche, dodelinant de la tête, se léchant les  doigts et barytonant du cul ».

Nous y soupâmes à cinquante dans grand charivari et tintamarre.  

Mais nenni encore de l’essoyne de la lance dorée du Campeador.  

Simon, l’homme le plus fort du monde, était en ce lieu.

Oncques, pour l’avoir forcé par conjugaison de cent cautelles et de mille subterfuges à adouber en son fief celui dont une grande partie de la généalogie avait vécu plus près de Cipango que de La Gazelle, Simon m’aurait, joyement donné un coup sur mon heaume d'or gemmé de pierreries et, par son estoc, m’aurait joyement tranché la jambe.

Mais, aujourd’hui, apaisé et tout dans la gloire du juste, il m’embrassa.  

« La lance dorée du Campeador, cestui la qui battait le soleil, est près de toi ; trouve la », souffla-t-il en mon oreille.

Par ce faisant, tout ragaillardi de cognoistre partie du secret, en moult et moult facéties, galéjades, railleries amusettes, balivernes, coquecigrues, fadaises et fariboles, nous continuâmes encor et longtemps notre grand estrambord.

Puis, à l’heure de la vesprée, à moitié empégués, la panse plus pleine que celle du noble Zocato des Landes et vacillant sur nos gambes comme un tor de Jandilla, nous retournâmes à nos logis, donnant notre onction divine aux camions des poubelles et à un coche de cuadrilla garé en vrac devant « L’Empire ».

Dépassant de son coffre, dans le jour naissant et sous la lumière verte du néon de l’hôtel, brillait une hampe dorée.

Je m’en saisis.

Un sceau de cire rouge retient un testament.  

Il flotte au vent du matin :   «Ceci est ce que je veux :

Je suis la lance dorée du Campeador.

J’ai piqué des millions de toros : Barbudo, Jocinero, Bailador, Pocapena, Granadino, Islero, Avispado, Burlero, Timador, Vitola, Cubatisto sont de ceux là, mais aussi Ratón, Atrevido, Cigarrón, Sedoso, Buenasuerte, Velador, Faculdades, Clarín, Bastoncito et d’autres.

Je connais l’Espagne des légendes, les ventas des bords des routes, le visage du Christ du Prendimiento, les chênes verts de Salamanque, le jour du Corpus, la plage de Sanlúcar et les champs de coquelicots de Benalup.

Mais le vent qui souffle dans les clairs citrons m’a raconté le bel charroi de Nîmes.

Alors, j’ai quitté Hispalis un soir de lune verte.

J’ai voyagé en cette terre inconnue et ai enfin rejoint votre cité.

Harassé, je me suis allongé là où je suis pour rêver de son amphithéâtre plein le dimanche de Pentecôte.

Celui d’ici qui me trouvera me serrera dans ses bras et m’y amènera.

Le cœur gai, je passerai sous la Porte des Consuls.

Là haut au dernier rang des gradins de pierre, avec les mistons de la ZUP, les filles de Calvas et les déshérités du monde, entouré de la liesse populaire, tout près du Seigneur Tout Puissant, je serai à ma vraie place.

Puis, sur l’aile d’un gabian, je retournerai dans ma ville pour y dormir enfin tranquille à l’ombre d’un palmier, pas bien loin de Fedérico, parmi les orangers et la bonne menthe.»

C'est le nouveau temps de printemps; les bois feuillissent et les prés reverdissent.

Tout à l’heure, les oiseaux chanteront bellement pour fêter la Féria de Pentecôte dans le  bel charroi de Nîmes.

Ceci, chaque année encore.

Autant que Dieu me prêtera vie, chaque année aussi, j’y serai.

En ma compagnie iront deux hirondelles.

Le dixième mois de l’an de grâce 2020.

Patrice Quiot