Jeudi 28 Mars 2024
DIVAGATIONS DE PATRICE
Mercredi, 04 Novembre 2020

so04ph

Le Sud-Ouest de Barthes et… le mien !

 « Mon Sud-ouest est simple.

Ce sont d’abord des villes, des lieux, des endroits où mes itinéraires  m’ont conduit.

C’est aussi celui que des chemins de dérive m’ont fait connaitre.

Des villes ou villages en fête.

Et c’est encore le trajet  qui les unit les uns aux autres et que j’ai parcouru.

Pour y aller, j’avais à l’époque le choix entre plusieurs routes.

L’une, par Oloron, plus longue, passait par l’intérieur des terres, traversait un paysage métissé de Béarn et de Pays basque.

Une autre, délicieuse route de campagne, à partir de Tyrosse, suivait la crête des coteaux qui dominent l’Adour ; de l’autre côté du fleuve et dans le lointain, les pins des Landes, banc continu d’arbres sombres.

Une troisième route filait le long de la rivière sur sa rive gauche et après Grenade, dans une échappée, le fleuve, très large, très doux, piqué des petites voiles blanches d’un club nautique.

Mais la route que je préf2rerais et dont je me donnais souvent volontairement le plaisir, c’est celle qui suit sa rive droite : ancien chemin de halage, jalonné de fermes et de belles maisons.

Je l’aimais sans doute pour son naturel, ce dosage de noblesse et de familiarité qui est propre au Sud-ouest.

A l’âge où la mémoire se forme, je n’ai pris des réalités que la sensation qu’elles me procuraient : des odeurs, des fatigues, des sons de voix, des courses, des lumières ; tout ce qui du réel est en quelque sorte irresponsable et n’a d’autre sens que de former plus tard le souvenir du temps perdu.

Ces insignifiances sont mes portes d’entrée de cette région.

Je les ouvrirai avec les clés de la mémoire :

Dans mon souvenir, les odeurs de ce quartier ancien, entre Nive et Adour, qu’on appelle le Petit-Bayonne : tous les objets du petit commerce s’y mêlaient pour composer une fragrance inimitable : la corde des sandales travaillée par de vieux Basques, le chocolat, l’huile espagnole, l’air confiné des boutiques obscures et des rues étroites, le papier vieilli des livres de la bibliothèque municipale... »

Roland Barthes. (Paru dans «L’Humanité» du 17 septembre 1977).  

Dans le souvenir mien, les routes de la nuit et les arrivées le matin dans les villes en fête, les champs de tabac et de maïs,  l’accent doux des filles aux yeux bleus, Hagetmau sur le chemin de Compostelle, Soustons et les pins au bord de l’océan ou Tyrosse de Jean-Pierre Lux et Guy Accoceberry, les dévots de la Madeleine à Mont de Marsan en juillet, les curistes de Dax en peignoir blanc et les festaïres qui leur font la nique au mois d’août, la plage d’Hossegor en novembre, le casino de Biarritz où, un soir de décembre, une américaine en robe de lamé, compagne éphémère de Jean-Edern Hallier, buvait une bière brune.  

Dans mon souvenir encore, les bandas de Mugron, « Les Arsouillos » de Pouillon, les « Calientes » qui défilèrent sur la Cinquième Avenue de New-York, « l’Agur Jaunak » qui clôt les fêtes de Dax, chanté dans les arènes par tout un peuple et que j’écoutais les larmes aux yeux.  

Dans mon souvenir aussi, un confit arrosé d’un vin lourd partagé dans une auberge avec des paysans de Montfort, la sueur forte des vignerons un jour de vendanges près de l’estuaire de la Gironde d’où remontaient des saumons, un apéro et un catigot d’anguilles à Lit et Mixe, une cigarette fumée devant les chais de Margaux, un jeu de quilles en face du fronton de Mauléon-Licharre, un coteau de Dordogne près de Mouzens, un chevreuil dans un champ de maïs à Bazas.  

Dans mon souvenir enfin, une pensée de Montaigne, une page de Montesquieu, « Malagar » où vivait Mauriac, l’arène de St-Sever où quelques amis toreros français avaient sauté en piste pour revendiquer leur statut, Marcel Dangou sa Mercedes et ses havanes à 65 francs pièce, Paul Barrière qui m’avait laissé son adresse écrite sur un papier à en-tête de l’hôtel « Reforma » de Mexico, ou encore le doux Pierrot Albaladejo qui, sur la route de Tartas, me racontait le ghetto de Soweto.  

Tout cela me revient aujourd’hui.

Ces souvenirs ne sont pas nostalgiques.

Au contraire.

Je les relis comme on relit un livre ne m’arrêtant pas sur les mêmes pages.


Patrice Quiot