Jeudi 28 Mars 2024
DIVAGATIONS DE PATRICE

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Rocky St Etienne...

A la fin des sixties, j’avais eu l’occasion d’aller à St Etienne.

J’en avais ramené quelques souvenirs que je vous livre plus de cinquante ans après en les revisitant à l’aune de las cosas de toros.  

LENTEUR CURRISTA  

A Saint-Etienne, ce que j’ai tout de suite aimé, c’est la lenteur.

A la librairie-papeterie Malfray par exemple.

Je n’y allais que pour la dame qui faisait les paquets.

Elle était vieille et d'un admirable alanguissement.

Elle demandait : "Georgette, savez-vous où vous avez remisé le papier kraft, s'il vous plait ?"

Le vouvoiement, l'emploi des termes surannés, une formule de politesse dans chacune de ses phrases, l’ajournement du temps qui passe.

Un enchantement de détails… Comme Curro !  

MINOTS MADREROS

A cette époque bénie, les minots que je croisais à St-Etienne  vivaient dans l’univers du Bien.   « Bien vrai », « bien bon », « bien frais, bien agréable ».

« Et ben alors ? Il a bien grandi celui-là dis-donc ! », « Y nous r’prendra bien une petite madeleine ? », « Ohlala ! Mais qu’il est gourmand dis-donc celui-là ; non ? Vas-y mange-z’en bien, ça fait plaisir à voir, dis-donc. C’est pas comme avec mon p’tit Michel avec son appétit d’moineau! ».

… Comme Doña Angustías Sánchez avec Manuel Laureano Rodríguez !  

TRAVAIL GITANO

A St-Etienne, à l’époque, le travail des gens consistait à essayer d’éviter d’aller dans les formations obligatoires du Pôle Emploi.

Ceux-là trainaient les pieds d’une indigence débonnaire, regardaient tomber la pluie et vivaient de leur ennui.

A l’instar de villes du Nord, Saint-Etienne avait des reflets de nostalgie heureuse et une odeur de sereine décrépitude.

Filtre vaporeux à une réalité trop abrupte, quelquefois une  fulgurance fleurissait.

Soudaine et noire.  

Al compás… Comme Rafael !  

BISTROT DE MALA MUERTE

A 15h, ils étaient encore accoudés au bar et rajoutaient du Picon dans leur panaché sans limonade.

Ils avaient la tête épaisse, les bras courts et les cuisses aussi.     

Ils rotaient et crachaient sur le sol.  

Ils étaient entre deux âges, ils étaient entre deux vins…

Comme les catetos des mauvais villages autour de Ciudad Rodrigo accueillant à coups de bâton les maletillas qui essayaient d’échapper aux cornes de la vache de huit ans à laquelle on avait cousu une paire de couilles...  

MODE EMPASTRE

Les vrais punks, c’était eux, car ils n’avaient aucun code vestimentaire.

Pour être à la mode à St Etienne, il fallait n’avoir qu’une seule paire de pompes, des pantoufles de préférence, un pantalon Prince de Galles et ne jamais quitter sa veste de pêche de laquelle pendait un hameçon!  

… Comme  « Cantinflas » !  

CINE JEREZ

Le Saint Etienne d’alors n’était  pas sans rappeler certains films belges comme «La Merditude des Choses», «Dikkenek» ou des œuvres de Kusturica comme «Chat noir Chat blanc»…

A St Etienne, on suspendait un drap blanc dans l’abattoir et ça devenait le cinéma.  

… Comme le ciné «Jerez» de La Palma del Río où Manuel Benítez Perez avait vu « Currito de la Cruz » ! 

GOURMETTES PICHES

Elle était délirante cette ville.

A rebours, tintée de prolétariat, de bourgeoisie décalée, de notables déclassés, de commerciaux bedonnants dont les gourmettes baptisées « Jean-Mi », « Mickael » ou « Bébert » pouvaient parfois atteindre le poids d’une belle daurade.  

… Comme «El Gato de Morón» !   

NES MESCLADOS

Une fable de St-Chamond dit que le nuage de Tchernobyl n’est jamais vraiment parti de St-Etienne et que ses 7 collines n’incitent guère au mélange, c’est pourquoi à St-Etienne, les gosses sont parfois plus vieux que leurs pères !  

C’est peut être aussi pour ça que les avocats entendaient sempiternellement les mêmes questions : « Maitre, si je divorce avec ma femme, légalement on reste quand même frère et sœur ? »…  

….Comme los de « Las Hurdes » de Bunuel et  comme les toros au sang rafraichi par un semental hors de l’encaste...  

PRESTANCE TORERA

A Saint Etienne, les gens qui mesurent plus d’1,68 m sont grands et si en plus ils pèsent plus de 100 kilos, on les appelle « Bel Homme » !  

«Mais quel bel homme, mais quel bel homme, et voyez ce coup de fourchette ; quand on le voit on croirait déjeuner avec un puma, c’est fabuleux !».  

…Comme « El Tortuga »ou « El Pato de Tyrosse » ! 

SOIRÉES LOCAS

A Saint-Etienne, les gens vivaient dans des appartements de 300 mètres carrés puisque le loyer était le même que dans les régions désertées de la Moldavie ; alors fatalement, ils se recevaient, les soirées se terminaient sensiblement de la même manière : sur un fond de Bernard Lavilliers, un être violet parlait en sifflant devant des gens nus qui brûlent leurs chaussettes !

… Comme ces locuras taurinas que chacun d’entre nous a vécues.

St-Etienne avait à l’époque mille merveilles à offrir à l’humanité.

Aussi, si un Stéphanois vous parle de sa ville, oubliez le fait qu’il a une patte de poulet en guise de sourcil et laissez-vous conter une poésie urbaine.  

… Comme l’élastique que « El Soro » portait au poignet pour ne jamais oublier qu’avant de devenir torero, il vendait des salades sur le marché de Foyos !