Vendredi 29 Mars 2024
DIVAGATIONS DE PATRICE

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Jesulín de Ubrique*, raider et martyr (2)...

(« Duende »1996/ Archives)  

… Pour ce faire, son toreo développera une tactique de golden-boy.

Blanc, longiligne, souriant, pressé, JdU expédiera d’abord les affaires courantes des deux premiers tiers pour vite mettre en place une OPA sur l’animal.

Les subtiles transactions de ses arbitrages échapperont souvent à l’orthodoxie taurine.

Peu importe et seul le résultat de ses « blue chips » compte : Reculades d’abord pour que son adversaire découvre son passif et tombe dans le panneau puis reprise en main de la situation et attaques tous azimuts, sur le côté droit avec une main bionique et sur le côté gauche avec la rapidité d’un Georges Soros vendant 40 000 stock-options avant même de les avoir achetées.

Gérée par un logiciel d’intelligence artificielle, la faena manquera de chaleur ou de rondeur mais, parfaite de précision et  d’efficacité comptable, elle fera grimper la côte de confiance du chaland.   A l’inverse des toreros boutiquiers qui font  commerce de spéculation esthétique pour épaissir leur portefeuille d’obligations, Jesulín est un rapetout qui vole de paseo en paseo et amasse les trophées avec la gourmandise d’un collectionneur de capsules de Coca-Cola.

JdU est un torero de la gameboy, un Shakespeare du flipper, un Louis II de Bavière du cocktail vitaminé.

Sa mathématique est celle de la consolidation, ses enchères sont celles de la vie.

Sa fragilité apparente dénote avec  son toreo capitaliste.

Sans style propre, il est atypique, plaît aux coiffeuses de Burgos comme aux esthéticiennes de Madrid, aux petits bourgeois de Valdepeñas comme à l’ouvrier agricole de Chiva.

Un peu comme Fournet-Fayard avec Cantona ou Jean-Pierre Loth avec Agassi, le pharmacien le détestera et le pseudo-aristocrate le dédaignera.

Si Agassi épate, si Cantona surprend, Jesulín déroute.

Mais celui d’Ubrique ne pense pas à tout cela ; d’abord parce que je ne suis pas certain qu’il en ait le temps et ensuite parce que je crois qu’il ne s’est jamais attaché à cet exercice.

Il n’a pas le discours du grand brun de Manchester United qui décrypte la vie par le biais d’une philosophie de l’anchoïade ou celui du garçon de Las Vegas dont le grunge velu et fluo renvoie à l’Amérique bienpensante une bestialité qui ne l’a jamais quittée.

En réalité, je crois que si Jesulín ne veut pas penser, c’est  parce qu’il est seul et que sa stratégie de captation dans l’arène s’explique peut-être par son inquiétude. Car le jeune garçon de la sierra de Cadiz sait qu’il ne pourra pas ainsi défier longtemps les toros et les gens.   Car, lors de ses longs voyages nocturnes dans sa luxueuse automobile, Jesulín a dû lire dans les journaux que « trop de trop » s’appelait inflation et que cela n’était pas bon pour une économie.

Il a dû également apprendre que, dans cette même économie, l’offre devait s’adapter exactement à la demande et que celle-ci était fluctuante.   Il a dû entendre l’histoire de ces sociétés qui, après avoir fait semblant de se  réjouir du succès des jeunes prodiges de la Silicon Valley, les avaient rejetés quand ils ne rentraient plus tout à fait dans la norme et que leur démesure gênait.

Il sait que la brutalité des toros n’égalera jamais celle des officines sombres ou celle des bureaux vernissés des organisateurs qui calculent vite pour que parmi leurs protégés il n’y en ait pas qui restent trop longtemps la main loin de la couture du pantalon.

Quand il pense à tout cela, Jesulín doit se dire que s’il reste ainsi, il sera vite réduit à une sorte d’ET taurin qui suscitera la seule admiration de quelques adolescentes boutonneuses dont la futilité se réjouira de sa bimbeloterie chatoyante.

Et quand il pense à tout cela, j’imagine que Jesulín le raider, Jesulín le millionnaire, Jesulín avec ses vingt-deux ans doit fermer les yeux pour ne pas avoir peur du martyr qui l’attend.

*Jesús Janeiro Bazán, dit « Jesulín de Ubrique », né le 9 janvier 1974 à Ubrique (province de Cadix,)

À l’âge de sept ans, il torée sa première becerrada ; à treize ans, après un passage à l’école taurine de Cadix, il combat pour la première fois en public dans les arènes d’El Bosque.

Après son alternative, il atteint les sommets de l’escalafón. En 1994, il participe à 164 corridas : le précédent  record  détenu depuis près de vingt-cinq ans par « El Cordobés I » en 1970 avec 121 corridas.

·        Débuts en public : 13 juin 1987 à El Bosque.

·        Débuts en novillada avec picadors : 30 avril 1987 à Ronda en compagnie de Julio Aparicio et Finito de Córdoba.

·        Alternative : À Nîmes le 21 septembre 1990. Parrain, « Manzanares » ; témoin, Emilio Muñoz ; toros de González Sánchez-Dalp.

·        Confirmation d’alternative à Madrid : 25 février 1992. Parrain, José Ortega Cano ; Témoin, César Rincón ; toros du Marquis de Domecq.

·        Confirmation d’alternative à Mexico : 1er novembre 1992. Parrain, Manuel Arruza ; témoin, Guillermo Capetillo ; toros de La Venta del Refugio.

Premier de l’escalafón en 1994, 1995 et 1996...