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DIVAGATIONS DE PATRICE
Mercredi, 11 Novembre 2020

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Toque de Arte : «Clous, fer, totems, toros et velours côtelé», Jean-René Laval aime l’Afrique...

A Nîmes, quand il avait dix-sept ans, entre les cours au lycée Daudet, le magasin de ses parents à la rue de l’Aspic, sa passion naissante pour les férias, les livres et la belle littérature, Jean-René bricolait des mobylettes pour aller se baigner au Pont St Nicolas ou à la Baume.

Ces escapades sous le soleil, les virées au Grau du Roi et les premiers pastis bus à la terrasse de «La Petite Bourse» l’incitaient à l’aventure que Montcouquiol et Casas vivaient à Madrid.

Plus au Sud, celle de Claude Argenson «Pastèque» et de Jacques Vicens qui conduisaient avec Jacques Brunet de gros camions  vers le Cameroun, la Côte d’Ivoire ou le Mali s’inscrivait pour toujours dans son imaginaire d’adolescent.

Alors, il y alla.

Comme ça, tout simplement ; autant pour forger un projet que pour faire la nique à ceux qui restaient.

Là-bas, il découvrit que l’immensité n’existe pas que dans les rêves, là-bas il rencontra des griots dont les mots envoutent, là-bas il vit des bêtes à la sauvagerie presque aussi brutale que celle des toros, là-bas il apprit à nommer différemment les couleurs qui habillent le costume de lumières.

Là-bas, la vie des hommes lui enseigna à savoir attendre et leurs gestes amples  lui rappelèrent l’arrondi de la naturelle.

Quand les pluies arrivaient, Jean-René songeait à ces calebasses dans lesquelles on récupère l’eau, à ces morceaux de fer qui en un tour de main se transforment en objet, à cette glaise lourde qui colle aux pieds et au bois brut dans lequel l’artisan bamiléké façonne masques rituels et statuettes magiques.   Quand les pluies arrivaient, il pensait aussi à Rimbaud, à la Placette et au Mont Margarot.

Les chimères de la vie ont buriné le visage de Jean-René pour l’assortir à son aventure et le plâtre a donné à ses mains la rugosité et la force de celles des piqueros des fables.

La veste en velours côtelé marque l’horizon d’une appartenance politique qu’il revendique.

Jean-René Laval parle peu, mais sa réserve douce et l’humilité de ses propos sont celles de ses amis, maçons espagnols au mouchoir à carreaux noué sur la tête, toreros artistes à  la grâce gitane, guerilleros courageux dont les discours enflammés donnent soudain vie à une triste soirée de novembre.

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Avec eux, les pieds dans les tranchées des chantiers, sur le sable de l’arène ou les sentiers des maquis, Jean-René Laval construit des certitudes de béton et de fer.

Jean-René entretient avec son œuvre le même rapport qu’Antoñete entretenait aux toros : il fige des intempérances, il marque des crucifixions, il modélise des dévotions, saisit des tourments et canalise des peurs.

Comme le faisait le Madrilène, Laval prend le difficile pari de se tromper en choisissant de revenir à l’essentiel.

A l’image d’un ouvrier du Chemin Bas, Jean-René Laval cloue, visse, forge ; à l’image d’un romantique du voyage au fond de l’esprit humain, Jean-René Laval découpe, ligature, reconstruit.

Comme un chirurgien vaudou, il redonne vie à ce qui paraissait mort, comme un marabout aveugle, il lance des incantations métalliques accrochées pantelantes à des clous corrodés.

En plus et sans aucune réserve, Jean-René préfère le pastis au champagne.

J’aime ce forgeron du désir, ce maréchal-ferrant de la tendresse, j’aime cet inconditionnel de la rouille, cet Ambroise Paré de la tenaille et du chalumeau.

Ce sentimental au cœur généreux et à l’esprit caustique dénote dans un mundillo artistique souvent plus proche de la bimbeloterie des cocktails apprêtés et des émotions petits fours que du plaisir volcanique, de  la gamelle en fer blanc ou du  poulet Yassa.

Pour ceux-là, l’avis de la barrera de sombra prévaudra toujours sur celui de l’andanada.

Certains voudront trouver des significations à ses assemblages, d’autres comprendre les raisons qui mènent notre ami à ces hétéroclismes ou analyser ses mises en scène tangentielles ; en réalité, beaucoup des mêmes le considèreront comme un maletilla de la chose ou au mieux, comme un simple práctico.

Mais je sais que Jean-René Laval n’a cure de ces considérations anodines et que, dans son atelier et dans la vie, son authenticité est la même que celle des gamins de Douala dont le cœur se met à battre plus fort quand les «Lions» du Cameroun jouent la finale de la Coupe d’Afrique ou que celle des mistons de Nîmes quand éclate la bombe de l’abrivado qui ouvre la Féria...

Patrice Quiot