Jeudi 28 Mars 2024
DIVAGATIONS DE PATRICE
Vendredi, 20 Novembre 2020

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Quand l’ami François évoque le duende...

François Coupry est un ami de près de cinquante ans ; on s’est aujourd’hui perdus de vue et c’est avec d’autant plus de plaisir qu’ayant retrouvé dans un vieux cajón une de ses correspondances de 1994, j’en livre le contenu.  

« … Temple et duende sont les derniers mots de la tauromachie ; après, c’est le silence.

Déjà ces notions de temple ou de duende frôlent l’inexplicable.  

Tu connais l’inquiétude de celui qui doit donner une définition au temple ; il se perd en périphrases, alors que le temple est l’accord le plus simple, le temps le plus limpide.

Quant au duende ….  

« Lagartijo avec son duende romain, Joselito avec son duende juif, Belmonte avec son duende baroque et Cagancho avec son duende gitan indiquent aux poètes, aux peintres et aux musiciens dans le crépuscule rond du cirque quatre grands chemins de la tradition espagnole » dit à voix haute Federico García Lorca dans sa conférence intitulée «Théorie et jeu du duende» donnée en 1930 à La Havane.  

Cette phrase templée est faite pour surprendre.  

Le duende romain de Rafael Molina «Lagartijo» s’entend : Il fut l’élégance et on pourrait imaginer en empereur de la Rome impériale ce torero dont le même Lorca dit dans «Ombre et Lumière» : « Il aimait la nudité et la ligne concrète, il aimait la circonférence du soleil et supprima l’angle infini de l’ombre ».  

Passons sur l’évidence du baroque de Belmonte, qui, après Espartero, inventa les courbures, passons sur la gitanerie de Joaquín Rodríguez «Cagancho»…

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Mais pourquoi juif pour Gallito ?   En quoi le jeune tué de Talavera fut-il juif ? Et pourquoi pas grec, ce qui lui conviendrait peut-être mieux ?

Est-ce parce que García Lorca souhaitait, à travers cette énumération des divers duendes, donner des composantes historiques du peuple espagnol où les romains, les gitans et les juifs tinrent une part importante ?

Mais les arabes, alors ?   Il y a dans cette idée de duende juif quelque chose de jeté, comme une évidence.

Il y a dans cette phrase sur le duende, un duende justement.

Inattendu et affirmé.

C’est comme ça et pas autrement et je te le dis.  

Ainsi, le duende, ce serait d’abord cela : Un savoir inconnu posé sur une certitude évidente.

L’absolu contraire du doute.  

Je me mets là et le taureau passera ; il ne peut pas ne pas passer.

C’est comme ça.  

Duende romain, duende baroque, duende gitan, duende juif.

Et pourquoi pas le duende égyptien de Manolete ou le duende japonais d’Ordóñez ?  

Les duendes se déclinent et l’on est bien loin de l’idée trop commune et un peu fausse d’un duende uniquement gitan.

On a trop tendance à lier cette certitude magique aux affectations trop caricaturales de ce type de toreo : La peur, la rareté, l’art, l’irrégularité chronique et soudain… Pof !!! Le flacon qui se débouche.  

Le duende n’est pas essentiellement contenu dans l’idée d’inspiration.

Il y a aussi le duende des laborieux, celui de Villalta, de Lalanda ou celui de Ruiz Miguel.

Et ce duende là est tout autant respectable... »

Patrice Quiot