Ci-dessous, l’intégrale du slam « A las Cinco y Pico » écrit par Jacques-Olivier Liby (JOL), vice-président des « Avocats du Diable », qui a remporté le prix spécial du jury du concours Torería 2010…
A las Cinco y Pico
« La muleta à gauche, l’épée à droite, et le coeur bien au milieu » Me répète El Ciego, qui doit son surnom à un regard vitreux En cachette, il murmure, derrière ce mince burladero crasseux Et s’agrippe aux montants, dont le bois rassure les superstitieux Mon apoderado, un drôle de type, sort tout droit des Baumettes, Mais dans la cuadrilla, chacun à sa manière, mérite… Perpette Le pire de tous, c’est Paco, sorti un soir pour acheter des cigarettes Et que toute sa famille attend depuis, le regard fixé sur la moquette Dans ce monde curieux où les odeurs de pisse côtoient l’or des Rolex El Ciego était connu et respecté, égrenant les… "dura lex sed lex" Jusqu’a ce qu’un jour, ce Miura de Toro, plus bisco qu’un accent circonflexe Ne dépose pudiquement son oeil sur le sable, comme tranché au silex. Nous nous étions croisés un soir, dans un bar sombre de Caracas Il Avait prédit mes succès, les filles, les Mercedes et… Les fincas Nous avions conclu le contrat en buvant du fino, picorant des albondigas Avant de filer calle Berta, ou les putes, la nuit, se prennent pour la Callas. Nous rêvions de l’Alfonso 13, du Wellington, des suites du Victoria Nous rêvions d’articles dithyrambiques, rédigés par Benlloch, ou Zabala Nous rêvions d’avoir un jour le plaisir de raccrocher au nez des Chopera Mais pour l’heure roulions en BX, rêvant au noir profond des Hispano Suiza Alors il fallut partir en maletilla, manger du rat pour étouffer la faim Il fallut encaisser les coups bas, les points de suture,… et les drains Serrer les dents, les poings, et refuser la fatalité, présentée comme une fin Et aguanter ces 15 août à la maison... Pour ça il fallait un Courage d airain
J’avais rêvé au musée du Prado devant les gravures de Goya Et gardais comme une relique une photo de Manolete, couleur sépia J’avais rêvé d’Hemingway, Cocteau, Picasso, et de Garcia Lorca Sans savoir que mon destin était écrit, et que pour moi, ce serait…Guernica Nous voilà aujourd’hui dans cette portative aux gradins grillagés, Me voilà seul, face à ce toro, qui sent définitivement la toile cirée Qui cherche à faire de mes genoux un simple jeu d’osselets Passer sur moi son courroux, et me laisser choir, en pantin décharné Sans prévenir, à la troisième passe, la foule sursaute, je perçois ses cris Avant même la douleur qui d’un coup, par la cuisse, m’engloutit La cuadrilla fait un garrot, m’amène directement à l’infirmerie Mais pourquoi donc en entrant ici ai-je une pensée pour Paquirri? Me voila déjà presque anesthésié par l’odeur d’éther du quirofano Que ma fémorale, en giclant, transforme en silence des agneaux Les yeux se détournent, on s’inquiète, on chuchote dans mon dos Et je hurle enfin quand le doigt du docteur fouille la plaie jusqu’aux os. Dehors j’entends les clameurs, effet surround et dolby stéréo Car pour l’heure, El Yiyo a tiré un bien meilleur sorteo A mon tour de plaider, seul, pour mon propre indulto En priant pour que selon l’adage il n’y ait pas de « quinto malo » La règle veut que face aux cornes, on se croise, on s’expose Et le jeu avec soi-même dure jusqu’à ce que la saphène explose Au mieux, le médecin, in extremis, te sauve d’une thrombose Mais le pire, ce sont ces tertulias où tu n’es plus le sujet de la glose... Ce complet bleu il y a presque trente ans qu’il me porte Et comme Aznavour, je n’imaginais pas finir de la sorte Dans ce traje, recousu autant que mon corps, du scrotum à l’aorte Dans cette infirmerie minable, c’est sûr, ce soir, ma carrière avorte J’ai préféré donner mon corps à l’Art plutôt qu à la Science Mais c’est avec l’échec que le destin a voulu qu’on me fiance Etre torero c’était pour moi le moteur, pour échapper à la fuite des sens, Et ce soir je pleure seul face à mon rêve, dans ce costume Bleu de France C’est mon coeur qui saigne ce soir, et pour sûr, c’est un peu le vôtre Vous tous qui rêviez depuis l’enfance de Manolete être l apôtre… Notre passion est tragique quand on voit dans quels travers elle se vautre Mais au final, mieux vaut un cauchemar bien à soi que le rêve des autres…
Mira! Passion exsangue, qui s’échappe en geyser de ma fémorale ! Mira! Comme mon Corps explose, comme un Arlequin de Carnaval ! Je regarde une ultime fois ma Viande, qui demain se retrouvera sur l’étal... Allez!... Dernière pensée pour toi, Islero, à peine embrumée par la douceur létale.
TORERIA présente officiellement son recueil de nouvelles tauromachiques “10 Auteurs en liberté” - Editions Alteregal
(Extrait du communiqué) “Dans ce recueil, le lecteur retrouvera les textes primés lors des trois dernières joutes littéraires (2005, 2007, 2009) auxquelles participèrent plus de cent cinquante nouvellistes. Des écrits originaux, inédits, fruits de l'imagination de leurs auteurs riches d'une culture littéraire initiée par de grands noms tels Théophile Gautier, Prosper Mérimée, Alexandre Dumas, Jean Cocteau, Jean Cau ou Michel Leiris… qui eux aussi s'étaient passionnés pour l'art tauromachique.
Ces auteurs, les trois premiers de chaque concours évoqué plus haut sont : Hervé Tallec, Georges Girard, Maïté Lafitte, Jacques Lanfranchi, Philippe Soudée, Xavier Klein, Olivier Bourdeau, Jean Mondin et Jean-Pierre Prophète.
Jacques-Olivier Liby est pour sa part présent dans l'ouvrage même s'il n'a pas participé aux différents concours. Ce slam avait été lu lors du week-end de Toreria organisé en février 2010. Au terme de cette lecture, sur décision du bureau de l'Association, compte tenu de son originalité et de la nouveauté qu'il représente et en accord avec l'auteur, il a été décidé de l'intégrer au présent recueil”.
C'est avec un immense plaisir qu'avec l'éditeur, Toreria vous invite à découvrir cet ouvrage qui sera officiellement disponible et présenté le samedi 19 février à 17 H 30 à la Chapelle Sainte Anne à ARLES Association Toreria - Nouvelles Taurines… 10 auteurs en liberté - Editions Alteregal
(Communiqué)
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