Jeudi 28 Mars 2024
DIVAGATIONS DE PATRICE
Mercredi, 23 Décembre 2020

dav22ph

Mme Vargas, la pharmacienne de Céret...

Je connaissais un peu Mme Vargas.

Mais pas vraiment.

Du moins, pas assez.

Elle faisait certes partie de cette génération des Pierre Arnouil, Pierre Mialane, Claude Sabathié, Jacques Thome, Georges Lestié, Georges Dubos, Roger Dumont, Jacques Nourrit….

Mais elle, était différente.

Solitaire, sans certitudes, mais avec des convictions, il émanait d’elle une  troublante gravité.

Une solennité.

Une pesanteur de sphère.

Et jamais, je ne me serais permis de l’appeler autrement que par son nom que je faisais précéder de madame.

J’entretenais avec elle une discrétion déférente et je crois que c’était le cas de nous tous : D’Alain et de Simon, de Jacky, de Frédéric, de Lucien,  d’André Viard à Andaluz, de Bonijol  à tous les autres.

C’était Mme Vargas, la pharmacienne de Céret.

Je ne savais pas grand-chose d’elle et sa retenue en la matière n’incitait pas à aller plus loin que ce à quoi elle autorisait.

Discrète mais ardente, réservée mais déterminée, militante inconditionnelle des novilleros maudits et des toreros français,  elle menait la lutte sans vraiment se soucier de l’orthodoxie de la forme.

Elle haïssait l’injustice et rejetait l’opprobre.

Elle avait un courage de résistant, une détermination de mineur cévenol et une façon de maquis.

Mme Vargas scrutait le monde des toros avec les yeux de Yourcenar, en parlait avec la voix de Marylin et écrivait en phrases courtes.

A St-Sever, le 25 juin 1972, elle  était là.

Comme cantinière.

Cantinière des exclus.

Aficionada d’engagement, revistera de combat, guerillera d’un ordre taurin autre que celui établi, c’était Mme Vargas, la pharmacienne de Céret.

Hier soir, je suis tombé  par hasard sur la dispersion « Espagne, tauromachie et régionalisme ; collections particulières de Mme D.A Vargas (1922-2011) et M. Pierre Arnouil (1934-2012) ».mise aux enchères le samedi 23 mars 2013 par Alain Briscadieu, commissaire-priseur à Bordeaux.

Signée par Jacques Dalquier, Président de l’Union des Bibliophiles Taurins de France, le catalogue était précédé d’une courte biographie.

Je me suis permis de la  reprendre ci-dessous.

Sa lecture m’a confirmé ce que j’imaginais.

« D. Amalia VARGAS (1922-2011)

Elle naquit en 1922 à Colombes, où son grand-père maternel, maçon venu du Limousin, s’était installé pour travailler. Son père, Rafael Vargas, était un émigré andalou, d’ascendance gitane ; de ces racines, elle gardera toute sa vie une grande fierté. Denise-Amalia poursuit de brillantes études ; elle décrocha son bachot à 15 ans et réussit l’internat en pharmacie des hôpitaux de Paris. La guerre, l’occupation sont là en 1942 ; quand elle s’engage dans la Résistance, elle n’a pas 20 ans ; elle protège des réfractaires au S.T.O, opère des enfants juifs. Après le débarquement, Denise-Amalia suivra les troupes de libération de la Première Armée, dans les ambulances de la Croix-Rouge : l’Alsace, le Rhin et, par la suite, elle découvrira l’horrible existence des camps de concentration. En 1959, venant de Calais, elle s’installe à Céret avec ses quatre enfants, reprend la pharmacie principale ; elle n’en repartira plus, séduite par les charmes de la bourgade : Céret la magnifique, Céret de toros, la Mecque du cubisme. Son afición la conduit naturellement vers le journalisme taurin dans le Midi libre, pendant de longues années et dans la revue bordelaise l’Afición. A la disparition de celle-ci, elle intègrera l’équipe de Toros où elle était spécialisée dans les novilladas car la foi militante qui l’animait, dans ce domaine comme dans les autres, signifiait de toujours donner l’espoir à l’avenir, et, de fait, être toujours en avance d’une cause sur les choses établies. Dès l’apparition du phénomène des toreros français, elle sera là pour aider le mouvement, le supporter et même, d’une certaine façon, le susciter. En 1968, si le Prix de la Fondation de la Vocation révèle au grand public deux toreros français, El Nimeño et Simon Casas, on sait que ce fût grandement grâce à l’action de Denise-Amalia. Elle avait la même la générosité et le même altruisme pour les artistes ; sans pouvoir tous les citer, il faut rappeler les noms de Franck Burty-Haviland, Joan Ponç, Felip Vila et P. Krémègne, autant d’artistes qui, comme les toreros, trouveront à la Tuilerie, au mas de Reynès ou aux Tins, l’accueil cordial et parfois même le réconfort. Denise-Amalia se passionna pour l’histoire de Céret, fouilla et dépouilla les archives et en tira, en historienne et en journaliste accomplies, de savoureuses chroniques pour La Semaine du Roussillon. Elle fit beaucoup de recherches, écrivit beaucoup d’articles et contribua à deux volumes collectifs importants : Toros en Céret (1962) dont elle fut la cheville ouvrière et La Pique (1983). La terrible blessure de Christian Nimeño II qu’elle affectionnait particulièrement a tranché net son afición pratiquante : plus jamais elle ne remit les pieds dans une arène ».

C’était Denise Amalia Vargas.

C’était Mme Vargas, la pharmacienne de Céret.

Patrice Quiot