Vendredi 29 Mars 2024
PATRICE : Jaquito à Séville...
Jeudi, 21 Janvier 2021

jb20ph

Jacques B et Pepe C (1)...

A la terrasse de « La Petite Bourse », pendant tout le printemps et le début de l’été 1975, nous ne parlions presque que de ça.

Nous, c’était, Jacques Brunet, Claude Argenson «Pastèque», Jacques Vicens, Hervé Balley, Nadine Saint-Jean, d’autres bons collègues nimeños et moi.

Ça, c’était la répétition de Jacques Brunet «Jaquito» à Séville où il avait toréé l’année précédente.

Sa présentation le 2 juin 1974 devant des novillos de Don Antonio y Hermanos Doblas Alcalá et un quart d’arène en compagnie de José Ibañez et d’Antonio Chacón avait fait que l’empresa  hispalense avait laissé entendre dans ce flou de bonne règle dans le monde des toros  que, ma foi, « si habêa una oportunidad... ».

On botte en touche laissant à l’apoderado la charge de récupérer le ballon et au torero de marquer l’essai.

L’apoderado, c’était Pepe Calabuig, granadino, ancien torero qui avait pratiqué avec l’élégance sienne le saut à la garrocha, ce qui bien évidemment ne l’avait pas fait rentrer dans l’escalafón des plus grosses fortunes d’Espagne ou dans le top-ten du carbure circulant entre Vidourle et Camargue.

Aigri de ce manque évident de la reconnaissance qu’il estimait devoir lui être due, le Calabuig s’était retiré en France et   afincado à Fontvieille (13990).

Là, dans le pueblo où les familles endimanchées accompagnées de leurs mioches braillards vont visiter le moulin de Daudet, il avait ouvert en 1950 une école taurine qui promettait aux élèves qui s’y inscriraient de devenir «riches, célèbres et aimés des femmes» et se vantait d’avoir été un peu plus que le professeur de Pierrette Le Bourdiec, «La Princesa de Paris».

You see the genre !

En réalité, le Calabuig vendait des légumes sur le marché d’Arles et des salades à ceux qui avaient fait le choix de lui confier la responsabilité de la gestion de leur carrière dans les ruedos de la planète taurine.

En un mot, ce n’était pas Manuel Martínez Flamarique «Chopera», ni dans l’allure, ni dans le fond et encore moins dans la forme.

Le torero, c’était « Jaquito » ; en 1975, il avait 31 ans, avait servi dans la Marine Nationale avant de devenir ce qu’il était, un torero ; il conduisait des camions en Afrique noire pour se faire quelques sous, connaissait Dali qui disait de lui qu’il ressemblait à l’empereur Trajan, s’était entrainé de salon sur le grand Erg oriental avec un touareg qui lui faisait le toro et était un incroyable raconteur d’histoires.

«Jaquito» était une excellente personne.

Jacques B. et Pepe C. s’étaient rencontrés comme ça, au hasard d’un encuentro et, plus par goût de l’aventure que par stratégie carriériste, le beau torero avait confié ses intérêts professionnels au fâcheux vendeur de persil qui, à ce titre, avait la charge de négocier la dite répétition au Paseo de Cristóbal Colón, 12, 41001, Sevilla, España (telefono : +34 954 22 45 77).

Jacques, donc, attendait et chaque fois qu’il lui demandait où en était la chose, Calabuig lui demandait d’attendre encore.

Alors, en attendant la chose, Jacques nous parlait de Calabuig, de sa silhouette molle et de ses cheveux gras.

Il nous racontait sa suffisance : «… Moi, qui avec Luis Marotto, sommes les plus beaux espagnols d’Europe… » disait le Granadino, comme il nous racontait le rapport balzacien de son mentor à l’argent, les mystifications dont Calabuig faisait son ordinaire, en particulier sur sa capacité de séduction et son trasteo au lit qui le rendaient irrésistible auprès des femmes, son élégance langagière au service d’une grande finesse psychologique qui lui fit dire à «Jaquito» un après-midi où il se douchait avant de s’habiller de lumières : « Toi, tu ne pourras jamais être figura du toreo parce que tu as les c… noires ! »

Bon, enfin, vous avez  compris ; le Calabuig était quand même  plus proche de Bigard ou de Cyril Hanouna que de Vigny, Musset, Chateaubriand et de tout le romantisme français...

Nous sommes donc à attendre et nous sommes à «La Petite Bourse». Le calendrier grégorien dit que nous sommes le miercoles 7 de agosto de l’año mil novecientos setenta y cinco et il était 14h32 à l’horloge du lycée quand apparut l’accablant Calabuig qui s’assit à notre table et nous demanda de lui payer  un café au lait qu’il but d’un trait sans nous calculer, mais en matant le décolleté de la blonde assise à la table d’à côté.

Le café bu,  il partit sans un mot.

Dix minutes après, Pépère revint et, très haut et bien fort dit à Brunet :   « Tu aimerais retourner à Séville, hein coño! Tu aimerais retoréer à  la Maestranza, hein ! Tu aimerais refaire le paseo sur le sable ocre, hein !  ; Réponds-moi, coño, tu aimerais tout ça ? ».

« Bien sûr, señor Calabuig » répondit poliment Jacques Brunet.

« Eh bien, tu torées là-bas dimanche prochain, coño ! »

Cette notification qui tomba sur les épaules de «Jaquito» comme le couperet de Samson sur la tête de Capet, la foudre sur un lièvre de la garrigue ou les deux buts d’Eliasson dans la cage du gardien de l’OM, se doubla du fait qu’Hervé Balley, indisponible comme valet d’épée du fait de ses occupations, fut au pied levé et sur ordre de Calabuig remplacé dans la fonction par votre serviteur qui, bien évidemment usurperait l’identité du chapista et s’occuperait dans les plus prompts délais de tout dont doit s’occuper un mozo dont le maestro torée à Séville.

Quant à Nadine, qui avait émis l’idée de faire le voyage avec nous, elle fut renvoyée à ses fourneaux au motif que, selon lui, les codes de la profession interdisaient à une femme de monter dans un coche de cuadrilla.

Codes qu’il avait parfaitement intégrés et dont il nous donna un bel exemple en étant dans l’impossibilité de nous préciser la composition du cartel ou figurait son protégé.

Ces mises au point faites, prétextant qu’il avait des trucs plus importants à faire et qu’on se reverrait là-bas, Calabuig se fut doublant ses amènes propos d’un vilain sourire à la blonde de la table d’à côté...

A suivre…

Patrice Quiot