Vendredi 29 Mars 2024
PATRICE
Samedi, 23 Janvier 2021

 arl22ph

Revoltijo  arlaten...

Ça commence par un changement de luminosité de l’air.

Quand, venant de Nîmes par l’autoroute, on laisse le plateau de Garons pour descendre vers le Rhône, la légère brume qui donne soudain au paysage un caractère d’infini laisse deviner les frontières d’un monde d’aventure et quand, pour rentrer en ville on prend la direction de Trinquetaille, on sait déjà qu’on y est avant même qu’un vieux avec un cageot sur le porte-bagages de sa bicyclette nous le confirme.

Après les feux tricolores et un virage, on découvre le fleuve sur lequel paressent des péniches de sable et, sur la gauche, entrelacs de structures et de volumes, la ville, relâchée, libre dans sa simplicité d’organisation.

Depuis plus de cinquante ans, cette architecture m’émeut.

En en cherchant la raison, je me dis que c’est peut-être parce que sa vue offre à l’esprit humain la simple mais si complexe combinaison de la beauté et de l’intelligence.

Après avoir passé le Rhône, on tournera à gauche pour emprunter une ruelle qui après quelques centaines de mètres coupera la rue Tour de Fabre où dans le restaurant de Pedro Romero, on retrouvera « Le Chato de Movera », Aguado de Castro, Ramón Gallardo et peut-être Moussa et « Pollo » mangeant des pois chiches, tous comme réunis pour une photo en noir et blanc de Lucien Clergue, de Farine ou de Boymond, en écoutant Paul-Jean Toulet qui récite :

« Dans Arle, où sont les Aliscams,

Quand l’ombre est rouge, sous les roses,

Et clair le temps… »

Sur la place du Forum, au vent des platanes, la statue de Mistral et Germaine sur sa chaise.

Paquito Leal, François Caro, Marc-Antoine, David et Christian Romero, Jules les accompagnant au son de la guitare, les saluent.

Six Arlésiens, seis toreros.

En face, Marie-Jo Dupuy et le «Mon Bar» d’Alex, de «Péou », d’Ali, de « Ratounes », de Pierrette et des grandes tablées d’amis.

Et Paul-Jean Toulet qui récite :

« Dans Arle, où sont les Aliscams,

Quand l’ombre est rouge, sous les roses,

Et clair le temps,

Prends garde à la douceur des choses... »  

Devant  le «Tambourin» : Pierre Pouly, Pierre Schull, Tino Lopez, Frédéric Leal et Antoni Losada, matadores de toros por la gracia de Dios  conversent avec  Jean-Louis Ayme «Termite» et  Agustín ; ils évoquent le « Ab ira leonis », la devise de la ville.

Les « Livianas » du Rhône aux étoiles les écoutent et Fermín Gonzalez pense à ce novillo colorado d’Hubert Yonnet, un soir à Palavas.

La rue des arènes est droite, grimpe un peu et le flot s’y écoule dans un seul sens ; en groupes, on va ou on revient de la plaza. Quelquefois, un atypique remonte le courant pour retrouver une copine perdue ou à la recherche d’un ami improbable à qui il a confié sa place.

Marcher dans cette rue est une ascèse : Sas de décompression, on s’y oblige à faire le vide pour se préparer à ce qui va survenir ou à faire la synthèse de ce qui s’est passé.

C’est là que se précisent des positions et que se préparent des argumentations. C’est un peu le cas de tous les itinéraires qui conduisent ou ramènent des arènes, mais cette rue d’Arles vous offre en plus le plaisir de pouvoir pisser dans un recoin tout en déchiffrant un ex voto latin au-dessus d’une gargouille !

François André y avance seul.

Géographie de la dérive :

Au Nord : Le Trébon, La Cavalerie et plus loin les polars d’Arnaldur Indridason et les suédoises blondes ; plus loin encore, les pingouins de l’Arctique.

A l’Est : Les Alyscamps, Mouleyrès et plus loin les longs romans de Tolstoï ; plus loin encore, la Chine des mandarins cruels.

A l’Ouest : La Roquette, Barriol et plus loin l’Atlantique, Cochise et le « J'sais pas pourquoi j'peux pas la garder. Elle n'est à personne, cette souris. J'lai pas volée. J'l'ai trouvée morte sur le bord de la route. » du «Mice and men» de John Steinbeck.

Au Sud : Bigot et plus loin les pêcheurs de Barbate ; plus loin encore, Soweto et Robben Island, la prison de Mandela.

Aux quatre points cardinaux : Les Bernacles, Amphise, Le Mas de l’Ile, La Cour des Bœufs.

Et, tout à côté, Paul-Jean Toulet, le poète du bas des montagnes qui  récite au «Lobo», au « Diamante Negro », à David Lombardo, à Mehdi Savalli, Jérémy Banty et Roman Perez, matadores de la Crau :

« Dans Arle, où sont les Aliscams,

Quand l’ombre est rouge, sous les roses,

Et clair le temps,

Prends garde à la douceur des choses.

Lorsque tu sens battre sans cause

Ton cœur trop lourd... »

Le bas des escaliers des arènes est un autre passage obligé. Il y fait chaud et c’est là que vers quatre heures de l’après-midi, les couleurs y sont les plus belles ; se mélangeant au gris des pierres, bougeant au rythme des pas, s’associant dans des embrassades fraternelles, elles donnent à l’instant les vibrations de la vie.

Le bleu, le jaune et le rouge dominent et si les pastels y sont rares, c’est parce qu’à Arles, ville de photographes, on aime les tonalités franches qui disent la simplicité du printemps et l’estrambord de la Feria de Pâques.

Elégance de mariage campagnard, les tenues gardiannes confèrent à ce chatoiement le côté un peu guindé d’un félibrige toujours vivace.

On y reconnait les Bouix, Marcel, Jacques et Pascal Mailhan, le Papy, Louis et Luc Jalabert, François et Andrée Teissèdre, Pourquier « Le Duc », Jean-Marie, son fils avec Odette, Gilbert Mroz et sa violence contenue dans l’eau de feu des Indiens, le doux Aimé Gallon entouré de Jean-Pierre et Michel, ses fils.

Sur un cheval blanc, Gérald Pellen, sur un noir Guitou Lapeyre et sur un gris, Albert Chapelle.

Tous,  en luttant comme des chiens, maintiennent l’esprit.

Patrick Laugier, Juan Bautista, « Morenito de Arles », Marco et Juan Leal, Thomas Joubert et Andy Younes, Fabien Castellani et Adam Samira,  toreros de toute la vie, les regardent.

Autour du «bureau», tout le monde attend et y règne une indolence qui n’existe nulle part ailleurs. Réglées par ce mélange de fatalisme oriental et de détachement gitan, les choses s’y passent naturellement et les priorités du cœur comme la courtoisie débonnaire excluent du registre le coup de gueule autoritaire ou l’affront accablant si désagréable avant la corrida où il convient d’aller déjà heureux, ne serait-ce parce que, tout simplement, on y va.

En écrivant, au fil des mots et au fil du fleuve ou la tête sur l’oreiller, nostalgie d’un presque vieillard diront certains, je repense à tout ça.

Je repense à Hubert, à Françoise à Marie-Pierre Gagnaire, au club taurin « La Muleta » mais aussi à Fred Ogier et à l’écran géant de l’hôtel du Forum, au «Poisson Banane» à la pizzeria de Pataroni et à tellement d’autres choses que les seuls mots ne suffisent pas à dire.

Aussi, je laisse aux autres le soin de le faire :

« Dans Arle, où sont les Aliscams,

Quand l’ombre est rouge, sous les roses,

Et clair le temps,

Prends garde à la douceur des choses.

Lorsque tu sens battre sans cause

Ton cœur trop lourd ;

Et que se taisent les colombes :

Parle tout bas, si c’est d’amour,

Au bord des tombes. »  

(Paul-Jean Toulet, Romances sans musique, 1915)

Patrice Quiot