Jeudi 28 Mars 2024
GANADERÍA FERNAY
Dimanche, 07 Février 2021

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Entretien avec Olivier Fernay à propos de la situation de son élevage depuis la pandémie...

On ne le sait que trop bien, la situation actuelle pose problème dans tous les secteurs de la vie économique de notre pays, d’autant plus que l’on commence à ne plus voir la fin d’une pandémie qui a changé nos comportements et qui génère pas mal d’incertitudes.

Pour ce qui nous concerne ici, les toros, force est de constater que l’économie qui en découle a pris du plomb dans l’aile et que toreros comme ganaderos ou encore empresas en ressentent pas mal de conséquences préoccupantes.

Aux Jasses de la Ville, à Pont de Crau, j’ai rencontré Olivier Fernay qui m’a confié ses craintes, mais qui est aussi revenu sur ses activités qui lui ont permis de limiter la casse...

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« L’an dernier à la mi-mars, comme tout le monde, je n’ai pas vu arriver cette pandémie. On a tous été pris de court... C’était encore bonne heure pour la saison. J’avais des contacts qui sont alors tombés à l’eau et après on a été comme tout le monde dans l’attente de ce qui allait se faire. A titre personnel, j’ai toutefois eu la chance de sortir à Arles, à Béziers, à Istres, plus quelques toros chez moi en privé afin de pallier les manques par rapport à cette situation. Evidemment, ça ne correspond pas arithmétiquement à ce que j’aurais pu vendre en temps normal car j’avais prévu une corrida, ainsi que des novillos... C’est simple, j’ai sorti  en tout cinq toros ou novillos sur les vingt-cinq prévus ! C’est vite compté, ça représente en tout et pour tout 20% !

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On a eu une petite aide de la région PACA au printemps, ce qui a représenté une goutte d’eau par rapport à nos charges de fonctionnement, loin de compenser la perte de chiffre d’affaires, ajoutée au surcoût car on a dû continuer à nourrir les toros qui ne sont pas partis. On en a gardé certains un an de plus en espérant les sortir en 2021. Il faudrait d’ailleurs que cette aide revienne maintenant car on en aurait grandement besoin...

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Une ganadería, c’est une entreprise. Nous avons des frais au quotidien, et quand on voit qu’ils s’accumulent et qu’il n’y a rien qui rentre, on ne peut pas rester les bras croisés ! Et comme l’activité touristique que l’on organisait une fois par semaine, avec notamment des spectacles et soirées, a singulièrement baissé par la force des choses, on a pris la décision de les organiser tous les jours sauf le lundi, ce qui nous a permis d’avoir du monde à toutes ces soirées et de régler le problème de l’affluence car sur une seule soirée, avec la jauge à respecter, on était obligé de refuser du monde. Il a fallu s’adapter aux contraintes sanitaires, d’ailleurs les gens étaient très stricts dans ce domaine. Tout cela nous a occasionné beaucoup de travail, mais ça nous a permis de maintenir une ambiance taurine et quelque part festive. Un élevage, c’est une passion, et on a besoin de la faire partager ! Nos soirées nous ont permis de rentrer une petit peu d’argent pour nous permettre de continuer à faire vivre la ganadería, et nous, moralement, ça nous a permis de continuer à vivre  notre passion.

A la ganadería, l’activité proprement taurine a été minime car il n’y a pas une grosse clientèle pour organiser toutes les semaines un spectacle autour de toros en privé ou même tentaderos. On a quand même organisé quelques soirées sur ce thèmes en été, mais il a fallu davantage diversifier vers les traditions en alliant notamment une ambiance flamenca et petit spectacle équestre. Un concept qui a plu, avec ensuite le repas, la formule ayant reçu l’adhésion d’aficionados, mais aussi de gens venus découvrir l’ambiance d’un élevage et la diversité de ses aspects traditionnels...

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On a soigné la communication, l’affiche, ainsi que la soirée avec de petits détails en soignant la réception des participants. Cet aspect de nos activités a pris de l’importance, en ce qui nous concerne nous sommes en règle pour pouvoir l’exercer, étant en contact notamment avec des agences. En professionnels. Concernant les sites taurins et les communiqués que j’ai envoyés, j’ai aussi pu constater quelques retours, c’est pour cela que l’on ne néglige aucun moyen d’information...

Pour 2021, j’ai une corrida complète qui est prête, mais dont la destination n’est pas encore définie. Ma seule certitude, c’est le toro d’Istres. J’ai encore une novillada piquée, prête elle aussi, une ou deux non piquées, et on va rester dans ce cadre-là. J’ai limité le nombre de toros et de novillos car je sais que ça va être très compliqué de les vendre cette année, et les non piquées, ce sera un peu à la demande. Ce que l’on va donc privilégier, c’est l’organisation de journées ou de soirées comme on l’a fait l’année dernière, avec des soirées Camargue plus touristiques, mais d’autres aussi plus taurines.

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Nous fonctionnons pour les soirées Camargue avec les cavaliers de la manade, plus les danseuses, en l’occurrence ma compagne, sa fille et mes filles, ainsi que des danseuses que j’emploie selon le cas. Quant à la partie taurine, je suis en train d’y travailler, je vais essayer de créer chaque fois un petit événement avec quelques toreros espagnols, mais français aussi. Dès le mois de mai, je pense que l’on pourra commencer par une paire de journées pour arriver au gros de nos soirées estivales. Le problème, c’est aussi l’incertitude. Par exemple, des agences m’ont déjà annulé les quatre premières journées réservées, les deux dernières semaines de mars et les deux premières d’avril ! L’année dernière, on est passé en zone rouge début septembre et tous mes groupes avaient été annulés. Et là, bien sûr, on n’a eu aucune aide sur la perte du chiffre d’affaires.

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Sur le plan taurin, j’ai envie de dire que l’on n’est pas assez professionnels ou assez bons en communication pour faire valoir qu’en ce moment, c’est très compliqué pour notre profession. On entend beaucoup de choses, mais ce qui compte, c’est le concret. Par exemple, il est question de cagnottes, mais pour l’instant, je n’ai pas vu le premier euro ! En revanche, à titre personnel ou par le biais d’associations, des aficionados et des peñas m’ont envoyé une certaine somme en direct pour m’aider et je profite de l’occasion pour tous les remercier car même si ça ne compense pas tout, ce sont des soutiens moralement très importants ! Pour en terminer avec ce sujet, je précise que j’ai un site internet à partir duquel on peut faire à titre personnel un geste solidaire, il suffit de cliquer ici :  https://www.masdesjasses.com/produit/versement/ ...

Au-delà de toutes les personnes qui peuvent être solidaires, je pense que le vrai problème au niveau de la communication vient de la profession, notamment si l’on regarde de l’autre côté des Pyrénées où ça bouge davantage. Je pense qu’en tant que professionnels, on a un outil énorme avec Internet, et qu’on ne s’en sert pas vraiment. Ce que l’on met sur Internet, c’est regardé par tout le monde, mais le fait de ne pas parler de nos problèmes et de faire croire que tout va bien, ça veut dire que dans la tête des gens, on n’a pas de problèmes, alors que l’on est dans la galère ! A un moment donné, il ne faut pas avoir honte de dire que l’on n’y arrive plus, que notre métier de ganadero risque fort de toucher à sa fin car si ça ne bouge pas maintenant, ce sera fini. Je pense qu’il est dommage de ne pas se servir de la pandémie pour qu’il y ait un élan solidaire envers les éleveurs français. Chacun a ses perspectives et ses enjeux. Il y a ceux qui se contentent de sortir des non piquées, ceux qui se contentent de sortir des toros en privé, ou ceux qui se projettent pour sortir des novilladas et des corridas dans des grandes arènes et d’exister en tant qu’éleveurs et non pas seulement en tant que passionnés qui ont des activités autres que les toros qui permettent de le vivre tranquillement. Mais comme dans mon cas, avec trois cents bêtes et deux cent cinquante hectares de campo et une véritable activité d’élevage, tu cherches quand même à ce que tes produits rentabilisent les coûts d’exploitation.

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J’imagine mal une France sans élevage car ce serait une France sans corridas !!! Quand il y a des arènes qui systématiquement ne nous achètent jamais de toros, à un moment donné, on ne peut plus laisser faire... Ce n’est plus une question d’exigence, mais une question de principe ! Si l’on ne soutient pas les éleveurs français aujourd’hui, c’est se tirer une balle dans le pied pour les années futures en faisant disparaitre la corrida dans beaucoup d’arènes...

Fréjus, Palavas, Le Grau du Roi, toutes les arènes des Alpilles où il y avait au moins un spectacle par an, ça ferme et tant pis, ça reste fermé, alors qu’il faudrait trouver un moyen pour leur permettre de continuer à vivre. Il faudrait qu’éleveurs, toreros et organisateurs soient plus unis, au lieu que chacun tire la couverture à soi, sous peine d’aller droit dans le mur !

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Pour conclure, en ce qui concerne le changement d’appellation de la ganadería - Olivier Fernay y sus Hijas - en y ajoutant mes deux filles, c’est avant tout sentimental. Elles étaient intéressées depuis leur enfance, elles le sont toujours et c’était pour encore plus les impliquer dans l’élevage en leur faisant bien comprendre que si papa se levait tous les matins pour aller travailler avec les toros tous les jours de l’année, c’était pour leur laisser plus tard l’élevage ! Tout ça pour savoir où elles vont, en sachant les difficultés que ça génère et si je continue à être éleveur aujourd’hui, c’est parce que mes filles veulent plus tard prendre la suite, autrement je verrais peut-être les choses différemment ! Avoir modifié le nom de la ganadería, c’était donc pour leur mettre déjà un pied à l’étrier, les impliquer un peu plus et les responsabiliser en leur disant qu’aujourd’hui c’est papa, mais que plus tard, ce seront-elles !

Après, c’est vrai, elles étaient jeunes, mais j’ai perdu mon papa très tôt et on ne sait pas de quoi demain sera fait, c’est pour ça que je leur ai posé la question de savoir ce qu’elles comptaient faire plus tard. En fait, mon intérêt, ce serait évidemment de les voir plus tard prendre la suite... »

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Bien entendu, on souhaite à Olivier et ses filles, mais aussi à l’ensemble des éleveurs français que la situation s’améliore rapidement, au risque, sinon, de devenir carrément dramatique... Pour tout le monde.