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PATRICE
Mardi, 16 Février 2021

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Terrón...

Pour franchir les Pyrénées et revenir en France, le passeur sera Pablo Gregorio Gómez Terrón, né à Trigueros (Huelva) le 25 mai 1943, matador de toros por la gracia de Dios, apodéré un moment par Cámara - celui de « Manolete » -, retiré de la profession  et, un temps, afincado à Nîmes où je l’ai connu dans les mid seventies.

Dans le mundillo, ça avait commencé  très mal pour Pablo :

Débuts en avril 1961 à Valverde del Camino et grosse branlée, présentation à Huelva en 1962, première novillada piquée le 23 septembre, novillos de la ganadería de Eugenio Marín, alternant avec Mauro Liceaga et Carlos Corbacho et ça ne se passe pas vraiment très bien.

Le 2 juin 1963, grave blessure à Cordoue : «… Resultó cogido por el quinto, sufriendo herida en el pliegue glúteo derecho, con dirección oblicua, que afectó a todos los músculos de la región, en los que produjo dislaceraciones y terminó en la región iquiálica de igual lado. También le produjo comoción cerebral » dit le parte facultativo.

Le  22 septembre de la même année, à Valverde del Camino, Pablo est à l’affiche d’une une novillada de Francisco Rincón Cañizares pour un mano a mano avec José Luís Caetano “Carmelito”.

Ce matin-là,  le novillo “Caballito” tua José Martín Díaz, employé à leur transport.

Le 19 mars 1964 à Huelva, devant des novillos de Diego Puerta et au cartel avec José Luis Caetano et José María Susoni, blessure gravissime «… que le desgarro toda la zona anal. Pronostico grave ».

Rebelote à Huelva le 18 juillet : « Herida en la región inguinal derecha, a nivel del Triángulo de Scarpa, con dos trayectorias, una hacia arriba y afuera de unos 15 cm de extensión que secciona el músculo sartorio y otra hacia debajo de unos 10 cm que contusiona el paquete vascular » dit le parte facultativo.

Des blessures, une quarantaine de fechas avant la présentation à Madrid le 19 mars 1966 et une autre novillada à Barcelone en 1967 avec blessure again.

Ce chemin de galère le mena cependant à l’alternative le premier août  1969 à Barcelone.

Toros du Marquis de Domecq, Dámaso Gómez comme parrain et Gabriel de la Casa comme témoin.

Le toro de la cérémonie, lui, s’appelait "Ganchillero ».

Il était noir, portait le nº 156 et accusait 483 kilos sur la bascule.

Jusque-là rien d’extraordinaire, sauf que ce jour-là… Emplâtrage maison avec son parrain et fracture de la clavicule !

Quelques contrats de raccroc pour quatre ou cinq corridas jusqu’à sa despedida à Barcelone le 19 juillet 1973 à l’occasion d’un festival mixte avec Gregorio Lalanda et Paco Alcade de novillero.

Vous comprendrez bien que le tout cumulé avec la pesanteur d’un franquisme omni présent fait qu’on vire un peu curieux.

Et curieux, il l’était Pablo...

Toujours dans l’excès : Pantalon pattes d’eph’, chemise et veste cintrées un max, son élégance vestimentaire était celle d’un sous-officier qui aurait échoué au concours d’entrée de l’Académie militaire de Tolède.

Sa vie était faite de bric et de broc, de rapiéçages, d’éclats mal recollés et son langage, patchwork d’inutile tapageur et de vacuité ostentatoire, en était la synthèse.

Car Pablo était un Zébulon du discours qui usait les mots, les jetait en l’air, les rattrapait au vol, les faisait exploser dans des histoires qui mélangeaient le faux et le vrai, le grandiloquent et le sordide, le trivial et l’emphase.

Quand tu le croisais à la terrasse d’un bistrot son : « ¿Tu me invitas o yo te invito ? » était son hello.

Un jour, il m’a affirmé que j’avais une tête d’accordéoniste belge…

Dans un registre unique, plus hors norme que Philippe Sollers ou Jacques Derrida, Pablo se jouait la vie dans des raccourcis spécieux et des amalgames terrifiants qui faisaient que peu osaient affronter ce Buck John de la parole.

Il excellait dans le juron calibrant son répertoire à l’aune du sentiment qu’il portait à celui à qui il était destiné.

De la piqure de moustique du « cabrón » à la morsure de caïman du «Mama verga», il éructait l’outrage.

Un José Ulloa Navarro « Tragabuches » de l’insulte !

Un Céline du blasphème.

En plus, Terrón était un mystère.

Souvent seul, personne ne savait comment il vivait et où il habitait.

Mais comme il entretenait avec chacun une familiarité troublante, certains laissaient entendre qu’il était un espion d’on ne sait quoi.

Et comme on l’a retrouvé mystérieusement noyé le 22 juillet 1999 dans la piscine de Sebastián Borrero « Chamaco » à Huelva…

Quién sabe ?

Il avait cinquante-six ans.

On aurait dû l’empailler !

J’espère  au moins que la mairie de Trigueros a donné  son nom à une rue.

On a bien filé les prix des Victoires de la Musique à un bellâtre de zarzuela et à une  éplorée bêlante...

Patrice Quiot