Jeudi 28 Mars 2024
PATRICE
Dimanche, 21 Février 2021

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En busca del tiempo perdido...

1957.

Le 9 septembre.

Plaza de toros de Ronda.

Corrida concours.

Asientos n° 90, 91 et 92.

En regardant la photo du señor Martín :

A gauche : Álvaro.

Álvaro Domecq Díez.

Il a quarante ans.

Lointain descendant des Domecq-Lembeye du Béarn français.

Humanités chez les jésuites à Bordeaux et membre de l'Opus Dei après avoir rencontré Escriva de Balaguer, fondateur de l'ordre.

Immense caballero en plaza, il a abandonné provisoirement les ruedos en 1950 pour se consacrer à l’élevage des toros bravos.

Dans sa propriété de «La Tour de l’Etoile», à l’ombre portée de la tour mozarabe de Medina-Sidonia, paissent les premiers becerros éponymes.   Il a été maire de Jerez.

Nommé par Franco.   Sombrero cordobés clair à ruban sombre incliné à droite ; veste claire à larges revers boutonnée au dernier bouton ; chemise blanche fermée au col ; pantalon au pli impeccable ; souliers bas ; boutons de manchette, chaussettes blanches et pochette à pois assortie à la robe de la señora du rang au-dessus.

Les mains sont croisées, la gauche serrant la droite.

Une tocante de prix apparait à son poignet.

L’œil droit évalue et le gauche accommode.

Le nez en bec de faucon.

La bouche de l’arrogance.

A la venta «El Soldao», à San José del Malcocinado où il avait ses habitudes, il demeure et demeurera pour toujours Don Álvaro.

Il conseillait de tout faire lentement.

Au centre : Rafael.

Rafael Gómez Ortega, dit « El Gallo ».

Il  a soixante-quinze ans.

Cinquante-cinq  années plus tôt, Emilio Torres Reina «Bombita» l’avait fait matador de toros.

A Séville.

Chez lui.

Désinvolte, insouciant et farceur, il lui arriva de brinder trois fois le même toro à des personnes différentes, puis de s'en aller vers son frère José pour lui demander de tuer à sa place la bête qui subitement ne l'inspirait plus.

Mais, il y eut aussi le 15 mai 1912 à Madrid avec «Jerezano», le toro roux d’Aleas.

"Le toreo n'est pas la messe des morts" disait-il.

Retiré des ruedos depuis 1936.

Sombrero cordobés sombre à ruban clair posé sur le crâne chauve ; veste sombre de costume à larges revers boutonnée au premier bouton ; chemise blanche fermée au col ; pantalon sombre sans nuances; souliers comme ceux de Charlot ; pas de boutons de manchette et peut-être pas de chaussettes ou alors tirebouchonnées ; pochette blanche en pointe.

La main droite est posée sur le genou droit ; la gauche qui parait n’avoir que quatre doigts porte une bague à l’annulaire et tient un cigare entre l’index et le majeur.

Les yeux sont cachés par les lunettes noires.

Le nez est droit.

Mi ouverte, la bouche semble avoir du mal à respirer.

En 1927, à Nîmes, au comble de la désinvolture, il fuma un cigare en toréant.

A droite : Juan.

Juan Belmonte García.

Il a soixante-cinq ans.

Quarante-quatre années plus tôt, Rafael González Madrid «Machaquito» lui avait donné l’alternative.

A Madrid.

A cinq cent trente kilomètres de Séville ; de  la calle Feria où il est né et de Triana où il vit.

Petit, à moitié bègue, légèrement bossu, cagneux, prognathe et de constitution chétive, il fut un des plus grands toreros de tous les temps.

Retiré des ruedos depuis 1936.

Sombrero cordobés clair à ruban clair incliné à gauche ; veste sombre à larges revers boutonnée aux trois boutons ; chemise blanche; cravate unie, sobre et parfaitement nouée; pantalon sombre; souliers sans importance ; peut-être des boutons de manchette ; des chaussettes comme des bas de contention ; pochette blanche en vrac.

Mains croisées et doigts entremêlés ; des mains de vieillard.

Des plis marquent les joues.

Les yeux qui nous fixent sont dans l’amer.

Le nez est camus.

La bouche comme une extrême onction.

Il se tire une balle dans la tête le 8 avril 1962.

La presse du ruisseau affirma qu’à près de 70 ans, Juan était  tombé follement amoureux de la rejoneadora colombienne Amina Assís (1941-2018) qui avait cinquante ans de moins que lui et que, désespéré de se voir repoussé…

Il était  tout simplement effrayé de  mal vieillir.

A bien examiner la photo du señor Martín, on observera que la graphie des asientos 90, 91 et 92 d’Álvaro, de Rafael et de Juan ressemble étrangement à la police de caractère « Helvetica 12 » qui fut celle de l’édition originale de «A la recherche du temps perdu» de 1927.

Le péquélet au rang devant eux s’en fout !

Patrice Quiot