Jeudi 28 Mars 2024
PATRICE

sat25ph

Satanas (1) : Il s’appelait Iscariote Malagente «Satanas»...

Banderillero de son état, I.M « Satanas» actuait dans la cuadrilla de Jesús Cristo «El Galileo».

Depuis toujours et de façon définitive.

Fijo por toda la vida.

Outre le fait d’être un très mauvais professionnel, Iscariote Malagente «Satanas» était terriblement méchant.

Il s’habillait de luces en jaune, posait sa montera sur le lit, caressait les chats noirs, faisait ses dévotions à un cercueil, soufflait les bougies de la capilla avant de quitter la chambre d’hôtel et s’appliquait à être particulièrement inefficace.

Perfide, il disait en ricanant au «Galileo» que ses toros du sorteo étaient gros, vicieux et  terriblement armés !

Voleur, il s’arrangeait avec l’apoderado et les empresas pour escroquer son torero et ses compagnons de cuadrilla.

Cruel, il mettait des roustes terribles au «Nano», le valet d’épée illettré et bègue, le prenait en photo quand il se douchait.

Ignoble,  il vendait les clichés à des gamines infirmes.

Iscariote Malagente «Satanas» sortait en piste avec une longue barbe noire.

Il sentait mauvais et se grattait les couilles.

Exactement comme son père qui, lorsqu’il rentrait ivre mort de son emploi de scarificateur de poulets et de lapins ou quand il revenait des réunions du parti «Vox», le battait comme plâtre.

Occasionnellement, le vieux s’occupait aussi comme mozo de caballos lors de la fête patronale du pueblo et s’était fait une petite renommée dans l’art de relever les chevaux à coups de trique.

La maman, quant à elle, pratiquait le métier d’avorteuse.

Iscariote Malagente était  le voisin de Jesús Cristo.

Jesús Cristo était gentil.

Son père, Pepe, était carpintero de la placita de toros du village où Jesús était venu au monde et sa mère, María, toujours vêtue de bleu, s’occupait de l’âne.

Ses biographes disent que Jesús Cristo était né pendant l’hiver et qu’un toro lui avait soufflé dessus pour le réchauffer.

Les mêmes racontent que, guidés par un lucero, trois martiens morenitos montés sur des chameaux laineux lui avaient apporté comme regalos un capote, une muleta et une épée.

Ils révèlent également qu’avec ses pauvres parents et le bourricot, ils avaient dû provisoirement quitter leur village afin d’échapper à la Guardia Civil qui, sur dénonciation du voisinage, soupçonnait la famille de pensées proches de celles de Santiago Carillo.

Jesús Cristo était excessivement gentil.

Déjà, tout petit, quand ses parents recevaient des collègues à la maison pour un récati et quand María avait oublié de prendre le pain, brave comme il était, Jesús en faisait apparaître.

Ainsi, en marchant sur l’eau, il aidait les pèlerins du Rocío à traverser le río Quema, faisait produire des fruits à un figuier stérile, prodiguait des soins à un aveugle ou à une femme hémorragique et lors de la fiestita donnée par les voisins pour célébrer la naissance du «Satanas» et alors que le vin manquait, Jesás changea en souriant de l’eau minérale « Lanjarón » en Rioja «Marqués de Murrieta.Castillo-Ygay Gran Reserva Especial ».

Un jour de soleil, Curro lui apparut sur le chemin de Camas.

Depuis, à l’école de tauromachie où il s’était inscrit, Jesás Cristo faisait poliment la leçon aux professeurs, traduisait pour eux le Cossío en langue bantoue, leur montrait avec une infime délicatesse les inepties des reseñas de José Antonio del Moral et commentait  avec une délicate  pertinence la vacuité des faenas de Toñete.

Jesús grandit.

Il demeura tout aussi  gentil et devint torero sous l’apodo de «El Galileo».

Un torero très gentil.

Il s’habillait d’une toge blanche, portait les cheveux aux épaules et avait remplacé la montera par une auréole.

Il demandait à ses picadors de piquer exclusivement al regatón, à ses banderilleros de mettre des bouchons aux rehilletes, ne connaissait pas les passes de châtiment et se refusait à tuer.

Tous ses toros rentraient vivants au corrales.

A ce titre, Jesús Cristo «El Galileo» occupait honorablement la cent vingt-deuxième et dernière place de l’escalafón novilleríl.

Pour résumer et faire simple: Iscariote Malagente «Satanas», banderillero de son état, était horriblement méchant et Jesús Cristo «El Galileo», torero por la gracia de Dios, terriblement gentil.

Au vu de leurs différences comportementales, la logique eut voulu qu’Iscariote et Jesús s’ignorent...

A jamais.

Et qu’ils ne partagent surtout pas les cahots du même coche de cuadrilla.

Or, ce n’était pas le cas.

Car Pepe le charpentier, le papa du « Galileo », sur son lit d’agonie à la suite d’un coup de varlope malheureux, avait fait promettre à son  adorable fils de prendre soin de l’ignoble rejeton du voisin.

Aux fins de le rendre bon.

Comme le fit «El Pipo» avec Manuel Benítez Pérez en 1962 et comme ne le fit pas Gallimard avec l’édition de « Gros Câlin » d’Emile Ajar, dit Romain Gary, en 1974.

Attaché à la parole donnée au Père et fidèle comme l’ombre que chantait Sheila, Jesús Cristo «El Galileo» s’en fut sur le champ à la casa d’à côté et effectua at once le fichaje thérapeutique d’Iscariote Malagente «Satanas».

Veillant au grain, la Marie en bleu fit ajouter au contrat le codicille «Ad vitam aeternam».

A suivre…

Patrice Quiot