Jeudi 28 Mars 2024
PATRICE
Samedi, 27 Mars 2021

sat25ph

Satanas (3)...

… « Bitchi » était le sitio où devait se produire le torero.

Quand  l’ange Gabriel «Fuerza de Dios», qui avait arrangé la colocación du « Galileo » l’en avait informé, il lui précisa que le pueblo francés était un spot "famoso por su agua mineral con gas de puta madre muuu recomendada po’ la ‘ente que tenía problemillas de riñones”.

Ce qui n’était pas le cas de Jesús Cristo et encore moins du “Satanas” qui jouissait d’une santé de fer.

Presque aussi bonne que celle du « Rafi » ou de « Solalito ».

Le “Galileo” se dit que le séjour à Bitchi serait une occasion de faire avancer le Schmilblick de la Rédemption.

En effet, il estimait que, dans une logique vaccinale, voir la souffrance agglutinée et en dose concentrée pourrait guérir le “Satanas” de son appétence addictive à celle-ci.

Un peu comme si on demandait à un théâtreux de s’appuyer le festival d’Avignon en la rigolote compagnie de Madeleine Renaud et de Jean-Louis Barrault ou si on  imposait à un aficionado a Toñete la présence de ce dernier dans tous les carteles de la Feria de Pentecôte.

En outre, l’idée d’aller boire à la source des Célestins ne déplaisait pas au « Galileo » qui voyait dans cette symbolique une évocation de l’eau lustrale du baptême dont il était persuadé de faire partager les valeurs à son subordonné.

Ainsi réconforté, Jesús Cristo enfila ses ailes et s’envola vers Bitchi où il avait décidé de séjourner un peu plus longtemps que ce que veut la norme torera afin d’enseigner au « Satanas » les bonnes pratiques de l’humanité.

Le « Satanas » s’y rendit on ne sait comment après avoir assisté on ne sait où à un sabbat pour y mener la danse dans laquelle il entraina le « Nano » après l’avoir roué de coups.

Tous arrivèrent à Bitchi en plein milieu de la temporada 1942.

Les biographes de « Galileo » précisent que ce fut le 8 septembre, le même jour où, à Murcie, Miguel Rodríguez « Manolete » s’appuyait une corrida de Dª Concepción de la Concha y Sierra, « cobrando unos honorarios de 22 mil pesetas ».

Ils furent tous un peu surpris de voir partout des drapeaux et des uniformes qu’ils ne connaissaient pas, d’entendre une autre langue que celle à laquelle ils s’attendaient, de voir à tous les coins de rue le portrait d’un vieillard en képi et moustaches blanches et dont la voix n’avait pas la même tessiture que celle de Manolo Caracol.

Ayant émis l’idée que c’était peut-être dû aux effets de l’eau, le « Nano » prit une autre grosse branlée.

A la lecture de la PQR,  le « Galileo » comprit assez vite qu’en ce qui concerne la culture, la liberté et la tolérance, il avait fait chuffa.

Ce dont  l’illettré de « Nano » se foutait.

Mais ce qui ne déplaisait vraiment pas du tout au « Satanas » qui avait pris ses habitudes au casino et dans les bordels qu’il fréquentait d’une façon assidue.

Il rentrait empégué tous les soirs, s’était fait bon collègue avec ceux qui portaient le béret et arboraient la francisque et il dénonçait à tour de bras.

Certains de ses biographes prétendent qu’il prenait plaisir à descendre dans les caves où étaient enfermés des maquisards.

Enchainant fracaso thérapeutique sur fracaso social, le « Galileo » était à l’agonie.

« Eli, Eli, lema sabaqthani », « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » l’entendait-on gémir dans son plumard.

Il dut certainement recevoir une réponse.

Car, dès le lendemain, il s’arrima comme un chien dans sa pelea contre  l’immoralité qu’affichait le « Satanas ».

Terrible colère, terrible rabia que celle de Jesús Cristo.

Colère hugolienne.

Il but le vin des noces de Cana.

Il alla au casino et chassa avec une baïonnette de la division SS « Das Reich »  ceux qu’il appelait  los « Commercantes del Templo ».

Il descendit dans les caves et libéra les maquisards.

Il visita les boxons et tondit les putes.

Le « Nano » le retint de faire chanter « La quince brigada » au vieillard en képi et moustaches blanches dont la voix n’avait pas la même tessiture que celle de Manolo Caracol.

La colère de Jesús Cristo n’était pas une colère humaine, mais l’indignation parfaite de ce qu’est capable faire le Très Haut.

Le dimanche de la course, Jesús Cristo était encore remonté comme un ressort et lorsqu’il aperçut le « Satanas » en train de se soulager dans son esportón, il explosa :

« Vete, chalao !  Vete puta ! » hurla-t-il.

Le « Satanas » ricanait.

Alors Jesús Cristo proféra l’historique :

« Vade retro Satanas ».

Le ruedo s’ouvrit en son milieu et y enfouit le banderillero avant de se refermer dans un grondement de tenailles d’acier.

Le soir même, Jesús Cristo quitta Bitchi et « El Galileo » fit sa despedida du toreo.

Aucune trace du « Galileo » dans le Cossío, aucune trace dans « Mundotoro », aucune trace dans «La Gazette du Vidourle».

Pas de trace.

Nulle part.

Par contre, les historiens racontent que Jesús Cristo devint très célèbre, que sa vie a fait l’objet de milliers de livres et de dizaines de films et qu’aujourd’hui encore tout le monde connait son nom.

C’est fort possible.

Le temps passe...

Nous sommes à  Pozoblanco (Province de Cordoue /Espagne)

Latitude: 38.3774, Longitude: 38° 22′ 39″ Nord, 4° 50′ 54″ Ouest.

Nous sommes en 1984, le 26 du mois de septembre.

Dans l’arène, Francisco Rivera Pérez «Paquirri», de Zahara de los Atunes,  et « Avispado », de Sayalero y Bandrés.

«Paquirri » est tranquille.

Il a trente-six ans.

Il est figura du toreo.

Il est milliardaire.

Il donne des passes de cape.

Et regarde le public en souriant.

Au dernier rang du tendido, sentant mauvais, se grattant les couilles et un rictus aux lèvres, une longue barbe noire le lorgne.

Fixement.

Haineusement.

Pour le tuer...

Patrice Quiot