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Mardi, 20 Avril 2021

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Alain... (2)

La semaine dernière a été livré le numéro 83 de «Terres Taurines».

Il est en très grande partie consacré aux débuts nîmois du mouvement des toreros français.

Vus de l’intérieur, par ceux qui y ont participé.

Dont Alain Montcouquiol, dont on reprendra ci-dessous quelques éléments de la discussion tenue avec Christian Chalvet le vendredi de Pâques 2021 et de notre entretien téléphonique du 17/04/2021...  

« Quand Alain rencontre Bernard, il est « nîmois » de quelques années.  

Il n’est pas encore « El Nimeño ».

Mais au-delà de leurs noms, cette rencontre va bouleverser leurs vies.

C’est Alain qui décide de partir le premier en Espagne pour se former.

On est en hiver 1964.

Simon Casas lui emboîte le pas. Ils vivent leur passion, mais galèrent dans les rues de Madrid. Ils dorment sur des bancs publics. Dessinent sur les trottoirs. Lisent, dévorent des livres, parce qu’ils n’ont pas trop eu le temps de le faire à l’école.

Et Alain de préciser :

« Avant de débuter avec picadors à Zaragoza, j’avais, en tout et pour tout, toréé cinquante « emboulés » et seulement neuf « sans-picador » sous des noms d’emprunt. C’était frustrant de lire le lendemain dans la presse « Domingo Fulano » a coupé une oreille et fait une vuelta.

Si l’on m’a mis au cartel de Zaragoza, c’est parce que j’avais été bien avec une vache difficile. Comme ce jour-là, pour cette folle présentation, j’ai plutôt été bien, ils m’ont répété le dimanche suivant. Et là, comme j’ai été mal, ils ne m’ont plus remis.

C’est ainsi que tu toréais. Au mérite.

Et ce qui était vrai en Espagne l’était avec Aymé et Pouly. »

Après cette « première improvisée », Alain se présentera en France.

Chez lui. Là où il est né torero. Pas à Ambert. À Nîmes. Le 9 juillet 67. Il triomphe ensuite à Céret.

C’est là qu’il rencontre D.A Vargas.

Alain reprend :

« Avec Simon, nous étions allés voir Ferdinand Aymé pour qu’il nous mette au cartel, mano a mano, de la course de  clôture de la saison 1968. Il était réticent parce qu’on était mineurs et pas très aguerris. Je le comprenais, car je rencontrais les mêmes doutes en faisant toréer Christian et Lucien. Mais il fallait aussi que l’on avance.

Simon me proposa que l’on fasse un gros coup. Que l’on saute, tous les deux, d’espontaneos, mano a mano, pour la corrida des Vendanges.   Le matin de cette corrida, j’organisais, à Caissargues ou dans une arène du coin, un spectacle avec mon frère et Chinito.   Sur le coup de midi, Simon arriva alors que les jeunes toréaient et vint me dire : « Cet après-midi, on ne saute plus, tout est arrangé avec Aymé. ».

J’étais à mon affaire de l’instant. Il s’en alla aussi vite qu’il était venu. L’essentiel pour nous était de pouvoir toréer ce mano a mano, pas de faire un esclandre. Je ne suis même pas allé l’après-midi aux arènes voir la corrida.

Mais à sa sortie, descendant faire un tour en ville, je fus assailli par des copines et des copains, tous enthousiastes, qui me dirent : « Tu as vu Simon ? C’est génial ce qu’il a fait ! Il a estoqué le toro d’Ordóñez ». Sur le coup, mon sang n’a fait qu’un tour : « l’enfoiré » il l’a fait seul ! Je voulais l’étrangler. Mais en fait, non.

Lui, il était allé à la course en aficionado. Les mains dans les poches. Et c’est uniquement le contexte, ce toro faible, refusé par la présidence, Ordóñez qui se retire aux planches, ce toro qui va donc rentrer vif au toril pour être puntillé, qui va se perdre, qui lui a donné cette force instinctive et plus du tout préméditée, de sauter seul. Il n’avait pas trahi notre accord. Il n’a sauté que sur l’opportunité du moment.

Peut-être aurai-je fait pareil ? Peut-être ne se serait-il rien passé si on y était allé ensemble, parce qu’un accord avec Aymé avait été trouvé ? ».

Au final, le mano a mano, pré-annoncé dans « Toros », ne se donna pas. Et la saison se clôtura avec deux toros pour José Luis Barrero. On n’en connaît pas la cause.

Mais Alain toréa la Cape d’Or 1969 et Simon se présenta chez lui avec le succès que l’on sait, trois oreilles, pour la « populaire » de 1971.

Alain poursuit :   « Je menais ma propre carrière et je m’occupais beaucoup des débuts de Christian et Lucien. Ils ont notamment beaucoup toréé en région parisienne avec « Chato de Movera ». On avait une vague portative, il y avait un speaker type « foire d’exposition » qui commentait ce qui se passait en piste.

Un jour, un de ces camargues se planta au milieu de la piste. Au milieu d’une flaque d’eau. Impossible de l’en faire bouger. Les toreritos demandèrent au « Chato » de l’en sortir. Il s’exécuta et avançait pas à pas quand  le commentateur dit au microphone: « Vous voyez, là, le taureau est en train de viser là fémorale du toréador, le moment est périlleux ! ». Tout en continuant sa progression, le « Chato » tourna sa tête vers lui et lui lança un aussi cinglant que vengeur : « en..lé! ». Pour le « u », il prononça « ou ».

C’était une époque formidable que l’on vécut en « toreros ».

Deux femmes m’ont marqué.

Madame Vargas et Mme Simone Cazes, la tante de Simon. Mme Cazes était exceptionnelle. Elle nous laissait vivre cette aventure, tout en se faisant un sang d’encre. Sûrement parce qu’elle avait vécu l’enfer pendant la guerre en vivant littéralement face aux bourreaux de sa religion.

J’ai eu de longues discussions avec elles.

Et quand je rentrais chez moi, la première chose que je faisais c’était d’écrire ce dont nous avions parlé… »

Fuente : Christian Chalvet.

Patrice Quiot