Jeudi 28 Mars 2024
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Dura lex, sed lex...

Cadre juridique et territorial de la tauromachie en Espagne.

« En Espagne, l’ensemble des jeux taurins s’inscrit aujourd’hui dans un cadre législatif défini par une loi votée au Parlement le 10 avril 1991.

Cette loi taurine, dite « loi Corcuera » du nom du ministre de l’Intérieur de l’époque, est entérinée par un décret royal le 10 mars 1992.

Un « Règlement des spectacles taurins » permet l’application de cette loi. Cette loi taurine vient remplacer le règlement de 1962, adopté par décret, qui n’avait été complété qu’en 1982 pour légiférer et reconnaître officiellement l’existence des spectacles taurins populaires.

Dans le cadre d’un transfert de compétences prévu dans la Constitution de 1978 et des attributions administratives définies dans la loi taurine, ce sont désormais les Communautés autonomes qui légifèrent en matière de spectacles taurins. Quand aucun règlement régional n’existe, la norme étatique a valeur supplétive. Soulignons qu’avant 1982, les jeux taurins populaires n’avaient aucune existence légale et ont toujours fait l’objet de nombreuses interdictions. Pour ne mentionner ici que les périodes les plus récentes, rappelons que tout au long du XIXe siècle et du XXe siècle, les interdictions de courir les taureaux dans la rue se sont multipliées : en 1833, en 1908 par ordre royal, renouvelé en 1924, puis en 1928 à l’initiative de Primo de Rivera, en 1932 sous la République, ainsi que dans le règlement taurin de 1962 sous le franquisme.

Cette énumération montre, en retour, à quel point l’éviction de la tauromachie populaire fut, dans les faits, irréalisable. L’éloignement du pouvoir central résiste souvent assez mal aux diverses stratégies locales de contournement de la loi et de travestissement des jeux taurins qui ont continué, de fait, à se dérouler.

La plupart des Communautés autonomes, en s’appuyant sur tout ou partie du Règlement national de 1991, ont élaboré un règlement régional par l’adoption de mesures visant à légiférer spécifiquement tel ou tel aspect des spectacles taurins. Et ce sont les spectacles taurins populaires qui ont prioritairement fait l’objet des nouvelles réglementations régionales, étant donné le caractère trop général du texte de 1991 sur ce sujet.

Seules les régions du Pays Basque, de la Navarre et, en 2007, de l’Andalousie ont adopté un règlement taurin complet. Sans forcément contredire les normes du règlement national, ces règlements témoignent d’une forte volonté de réappropriation régionale de la culture taurine.

À l’inverse, seules Les Canaries, dès 1991, ont interdit dans leur territoire la pratique de la corrida et de tout type de spectacle taurin.

Contrairement à une idée fausse qui gagne du terrain, les corridas ne sont pas interdites en Catalogne, bien qu’elles y soient menacées par un projet de loi déposé au Parlement. On trouve à l’origine de ce projet de loi une déclaration de rejet de la corrida adoptée par le conseil municipal de Barcelone en avril 2004 par 21 voix contre 15». (*cf renvoi en fin de page).

De plus, la Catalogne a déjà pris des mesures restrictives interdisant la construction de nouvelles arènes et interdisant l’entrée aux corridas aux mineurs de moins de 14 ans. En ce qui concerne les jeux taurins populaires (les corre bous), la Catalogne a également restreint les autorisations par une ferme application de la loi régionale 3/1988 sur la protection des animaux, qui n’accorde de dérogation qu’aux municipalités ayant constitué un solide dossier pour faire valoir l’ancienneté de la tradition.

Aussi existe-t-il une réglementation homogène sur l’ensemble du territoire pour ce qui est des spectacles professionnels et des réglementations régionales différentes pour ce qui est des festejos taurinos populares.

Pour ces derniers, non seulement les réglementations diffèrent d’une région à l’autre, mais prévoient également des dispositions particulières pour un certain nombre de traditions et de fêtes taurines locales, répertoriées et validées par les autorités compétentes. Les différences régionales concernent principalement le traitement des bovins en piste et les modalités autorisées pour les affronter.

La réglementation nationale prévoit l’abattage systématique du bétail ayant participé à un spectacle taurin. Cet abattage a lieu hors de la présence du public et dans les conditions sanitaires prévues par les réglementations nationales et européennes. Cette loi, qui ne manque pas de paraître cruelle à certains, a pour objectif de réduire les risques d’accidents provoqués par des animaux qui parviendraient à acquérir une expérience du combat, mettant alors excessivement en danger les nombreux participants inexpérimentés des jeux taurins populaires.

Au cours de l’histoire, le danger que représente l’affrontement de bêtes déjà courues a entraîné de nombreuses interdictions, en particulier celles concernant les capeas de villages et autres lâchers de taureaux sur la voie publique. Certaines régions sont revenues sur ces principes pour entériner des pratiques locales reposant au contraire sur la sortie d’animaux aguerris au combat, permettant ainsi de programmer à moindre coût des spectacles par la réutilisation de bêtes louées.

C’est le cas dans les régions du Pays Basque, de la Navarre, de La Rioja, de l’Aragon, de Valence et de la Catalogne, plus précisément de la province de Tarragone lors des corre bous et des bous capllaçats (taureau encordé). En vue d’accroître le danger et l’émotion des jeux taurins populaires, certaines régions comme l’Estrémadure et surtout la Communauté valencienne autorisent, en dehors des encierros, le lâcher de taureaux de combat aux cornes intactes (toros cerriles), pratique interdite ailleurs. Les taureaux appartiennent souvent à des élevages réputés, destinés aux corridas, que les habitants s’enorgueillissent alors d’affronter.

Les réglementations régionales détaillent également toute une série de mesures visant à interdire les mauvais traitements envers les animaux et en particulier toute forme d’agression à leur encontre. Partout, il est formellement interdit d’utiliser ou de lancer des objets qui pourraient blesser les animaux.

Ces pratiques sont aujourd’hui punies par la loi en dehors des rares cas autorisés de blessures du taureau par les participants (toros de Coria) ou de mise à mort collective (toro de la Vega de Tordesillas). Tous les amateurs impliqués dans l’organisation des jeux taurins populaires se félicitent que soient interdites ces pratiques, même si elles ont encore cours par endroits en toute illégalité. Dans le détail, les réglementations sont différentes d’une région à l’autre, en fonction de ce qui est défini comme mauvais traitement envers les animaux.

Par exemple, la Communauté autonome de Madrid a interdit tous les toros embolados de fuego et tous les taureaux à la corde, n’autorisant que les encierros et les lâchers de bovins en place fermée, l’animal ne devant pas rester en piste plus de quinze minutes.

Autre exemple, la Navarre et le Pays Basque interdisent aux participants de se saisir des animaux, à l’opposé de ce qui se fait couramment dans nombre de lâchers populaires au Portugal afin de réaliser des pegas.

Enfin, tous les jeux taurins populaires font aujourd’hui l’objet d’une autorisation préalable qui est accordée par les services des spectacles publics des Communautés autonomes, vérifiant leur condition d’exécution. »

« Les jeux taurins de l’Europe à l’Amérique »   Jean-Baptiste Maudet.

Casa de Velázquez, 2010.   A suivre...

*Toros en Catalogne :

Le 28 juillet 2010, le Parlement catalan avait voté l'abrogation de l'article 6 de la loi de protection animale, qui tolérait les corridas. Celles-ci s'étaient donc complètement effacées du paysage catalan début 2012, au terme d'un moratoire technique destiné à la reconversion de la filière taurine. Cette décision faisait suite à une Initiative législative populaire (ILP) qui avait recueilli plus de 180 000 signatures, et avait permis de mettre la question à l'ordre du jour du Parlement. Elle avait fait grand bruit, d'autant que la Monumental, les arènes de Barcelone, avec 20.000 places, étaient les deuxièmes arènes d'Espagne après Las Ventas de Madrid, et que la Catalogne, avec 7,5 millions d'habitants, est la deuxième communauté autonome d'Espagne.

Un recours en inconstitutionnalité avait été d'emblée lancé par 50 sénateurs du Parti populaire (PP, droite). Et le 20 octobre 2016, le Tribunal constitutionnel (TC) a annulé la loi votée par le Parlement catalan. Son argumentation repose sur le fondement suivant : la tauromachie relève de la culture, et procède donc de la compétence de l'État et non des Communautés autonomes. Une Communauté peut réglementer, mais pas interdire une pratique relevant du patrimoine culturel.

Le TC se base notamment sur :

·        la loi de 2013 sur la réglementation de la tauromachie comme patrimoine culturel, générée par une Initiative législative populaire (ILP) lancée par la Fédération des entités taurines de Catalogne en réaction à l'interdiction catalane, et relayée par le Parti populaire (PP) ;

·        la loi de 2015 sur la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, initiée par le gouvernement de Mariano Rajoy (PP), dont une des dispositions inclut explicitement la tauromachie.