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PATRICE
Samedi, 05 Juin 2021

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Molina et le chat rose de mon frère...

Julio Molina Geniz est né en 1936 à La Algaba (Séville).

Après une carrière de novillero qu’il résuma très bien en un simple « Presentación  y despedida  en Madrid el mismo día », Molina a exercé pendant le reste de sa vie l’excellent métier de banderillero sous le sobriquet assez convenu, pas vraiment original mais tout à fait légitime, de «El Algabeño».

J’ai rencontré cet excellent  homme en 1974 à Bayonne lors d’une novillada de La Guadamilla que toréait l’excellent Lucien Orlewski « Chinito » en compagnie de Sebastián Cortés et Pedro Somolinos.

Depuis, lui, le « Rubio », mon frère et moi sommes devenus amigos de toda la vida.

Plus taurino andalou que Molina est impossible. De Tarifa à Jaén et de Santiponce à Hinojos, il connait tout ce qui, bouge, respire, vit ou essaye de vivre dans le mundillo.

Se promener avec lui est un enchantement :

« Quiot, te presento a mi amigo Antonio, asesor de la plaza de toros de Dos Hermanas y maricón de toda la vida » ; « Quiot, te presento a El Perdigón, nieto de Rafa Torres, casi hermano de Manolito Cortés, arbitro de fútbol a veces, cantaor flamenco a la  «Venta Málaga» en la antigua carretera de Córdoba y muuuu buena persona » ; « Rubio, parate que llega este hijo puta de Paco, jefe de taquilla de la plaza de toros de Trebujena ; fijate Rubio, hace dos años, el día cuando Emilio armó un taco gordo en el pueblo, este cabrón me negó una entra’ y me dejó sentao »; « Quiot Chico, no molesta el cura pero pregunta lumbre a la chuleta » (il appelait ainsi un unijambiste portant béquille sur la jambe contraire et dont la silhouette sur le soleil couchant ressemblait  ainsi étrangement à la chose nommée).

Essayer de fixer des choses précises avec Julio relève du prodige : par exemple, le Molina t’appelle à 3 h du matin : «Quiot, toreo domingo en Gradera (Le Grau du Roi in french ;¿ Nos vemos , no ? » ; « Si, claro que si, Julio, ¿ Donde ? » « Tranquilo, Quiot, no paso na’ ; yo te localisare » et il  te localise impeccable.

Le seul qui puisse peut-être le concurrencer dans ce domaine est son grand ami Simon Mijares «El Duende», matador venezolano et autre joyau rare parmi les perles rares.

Par exemple, quand il te demande de lui enseigner l’anglais, Molina note les mots à apprendre sur des post-it qu’il colle sur le tableau de bord de sa bagnole et te les répète en conduisant avec la musique à fond la caisse. Plus tard, lorsqu’il s’essaye à la langue de celui de Stratford upon Avon  avec une autochtone qui, bien sûr, ne comprend rien, il lui dit : «¿ No me entiendes ? Entonces no es inglesa».

Il est de luxe, le Molina.

Si tu veux connaitre Séville, pas la peine de monter dans la calèche ou de prendre un guide qui parle quatorze langues ; le Moli, il te montre tout : Les bistrots de travelos, les bistrots de putes, le « Pollo Dorado », sitio où tu manges le poulet le plus infâme du monde, la casa de son oncle, la pension dans laquelle il a enfilé son costume de lumières avant d’y enfiler une grosse allemande, le claque où l’archevêque avait ses habitudes, son piso de La Algaba où sur un paper-board encadré sur le mur du salon, il a dessiné les symboles de sa vie.

Ainsi apparaissent à côté de la Maestranza et de lui-même clavant une paire de palos, un poste de radio, un joint d’herbe, une bouteille de skaï, le Rubio, mon frère et moi, la Pepi de Cádiz, le Guadalquivir, un poisson… et, comme il se doit, en te commentant le tableau, il te sert d’immenses whiskies Dyc avec du « Trinaranjus » et un montón de glaçons dans des vasos tubo d’un autre monde.

Le soir des jours où il toréait à Séville, Molina nous emmenait sur le barco, au milieu du Guadalquivir, lieu hyper VIP de tertulias hyper VIP.

Assis entre Álvaro Domecq et JA. Campuzano, une actrice derrière et la cheffe du rayon poissonnerie du Mercado Lonja de Barranco devant, on écoutait Joaquín Vidal et Carlos Rojas commenter la course de l’après-midi en invitant sur la « silla eléctrica », sise entre eux, les personnalités qu’ils choisissaient et qu’ils mettaient à la géhenne.

Deux fois en notre présence, Julio subit la torture et parla.

Comme il ne  sait pas bien lire et pas trop bien écrire, il est bien évident que la littérature lui casse les couilles ; quant à la politique, son opinion se résume dans le peu de considération qu’il porte aux Catalans en général et le encore moins de considération qu’il porte à Roberto Espinosa ou à  Enrique Patón.  

De luxe, je te dis.

Quand Molina te montre la garde-robe dans laquelle il range ses vestidos de torear, tu tombes d’abord de cul tellement il y en a et encore plus de cul quand tu détailles la qualité des trajes : Pelayo, Fermín, la Nati déclinent tout ce qui se fait de mieux dans le  genre. Quand tu le lui fais remarquer, il te dit simplement que chaque fois qu’il a toréé à la Maestranza, il a étrenné un costume neuf que, bien entendu, il portait avec en guise de corbatín, un foulard à pois.

De luxe, de chez luxe.

Après la course et la douche et avant de s’habiller de calle, il s’enduit le corps, le visage, les pieds et les mains de multiples crèmes ou onguents dont le choix repose sur l’unique qualité que « cada uno huele diferente ».

Dans «Torero d’Or», François Coupry fait allusion à ce rite purificateur.  

Enfin vous avez compris : Le Julio Molina Geniz «Algabeño», c’est un monstre !

Parlez-en à Marcou Romero, au « Chino » ou à Patrick Varin, et vous verrez ce qu’ils vous en diront.

Mais revenons à Molina et au chat rose.

Nous sommes à la fin de 1982 et  toute la cuadrilla nuestra passait les fêtes de Noël chez mon  frère qui habitait Golfe-Juan. Molina nous y avait rejoints.

Emmerdé par le fait qu’à part une bouteille de perfume «Embrujo de Sevilla» - celui que portait sa grand-mère nous précisa-t-il ,- il n’était pas tombé dans le rituel des cadeaux imbéciles dont nous nous étions fendus, mais il tint à se racheter de ce qu’il considérait comme une impolitesse manifeste de sa part.

C’est ainsi qu’il me demanda de l’emmener dans la plus luxueuse pâtisserie de Cannes où il acheta une bûche glacée qui devait mesurer un mètre de long et peser trois kilos.

La caissière blonde, mais attentionnée, nous précisa que la chose devait impérativement stationner dans le frigidaire pour éviter tout dégoulinement qui eut affecté l’architecture pâtissière.

Mais, ce soir-là, le frigo étant plus plein qu’un pébron un soir de Feria de Nîmes, Molina et moi  disposâmes délicatement le carton contenant la merveille sur le rebord de la fenêtre de la cuisine.

La soirée commença sous les meilleurs augures d’un apéritif très long et naturellement copieux ; après les incontournables huitres, mon petit frère adoré qui était allé chercher le foie gras qu’il avait bien évidemment sorti de l’appareil qui fait du froid, poussa un juron excessivement grossier. Au vu de l’éducation reçue, cette intempérance de langage nous surprit jusqu’au moment où tous nous rendîmes compte que le «pâté», comme le nomment les espagnols, avait été à moitié croqué par le chat que mon frère avait pourtant très gentiment accueilli dans son foyer.

Ce pauvre félin, qui fut chassé d’un grand coup de pied, avait la particularité d’être aussi rose que le recto d’un capote de brega. Ce fait relativement rare dans la race était dû au fait que, plus jeune, ce con de chat était tombé dans un pot de peinture et qu’il en avait conservé les stigmates.

Le félin chassé et sa couleur commentée, le dîner se passa muy bien jusqu’au moment où il convint de sortir la bûche secrètement mise au frais par Molina y yo.

C’est alors que le drame survint. Après avoir été chassé, furtif tel le chacal de la Marisma, le chat rose était revenu à la casa et, ne pouvant y entrer, s’était naturellement installé sur le carton d’emballage de l’auguste pâtisserie qu’avait vendue à Molina la caissière  blonde et attentionnée.

Molina constata le désastre qui, en fin de compte, n’était pas aussi désastreux que ce qu’on aurait pu imaginer dans la mesure où le cartonnage, estampillé NFQ12008 double cannelure, avait très efficacement protégé  le pastel helado dont nous consommâmes les trois kilos aussi facilement que Zocato consmme un demi-magret !

Mais, connaissant le Moli, je m’attendais à une réaction de sa part. La réaction vint à l’heure de la fine ; « Quiot, me dit l’andalou, demande à ton frère s’il veut que je lui tue le chat rose ! »

Etonné de la réponse négative à sa question, il se mit en peine de nous expliquer que, tout jeune et en période de disette post guerre civile, il avait naturellement consommé du chat et que cette diète alimentaire lui faisait considérer ce type d’animal avec autant d’intérêt que Pascal de «Chez Nicolas», rue Poise à Nîmes, considérerait un sushi ou celui avec lequel Paul Laurent «Le Pape» aurait considéré un chèque bulgare.

Molina nous précisa d’ailleurs qu’à Séville, la consommation de chats - quoique interdite - était relativement usuelle !

Ça, c’était en décembre.

En avril de l’année suivante, nous nous retrouvâmes à Séville et un soir Molina dit à mon frère ou au « Rubio » : «Ce soir, je vous amènerai à un endroit donde se come gato»...

Et ce fut le cas !

Dans un rade du quartier de la Alameda, sur la devanture d’un troquet était peint en lettres blanches : « Hoy hay gato » et Molina  crut bon de me préciser : «Quiot, te lo digo yo ; ahi es un sitio de postín, el mejor de Sevilla pa’ come’ hato : Fijate Patricio : Ahí hay hato con tomate, hato con ajillo, hato con patatas, ahi  hay hato de todo la’o y de puta madre. Pega un quite, mierma » !!!

Je ne le fis pas.

Peut-être aurais-je dû...

Patrice Quiot

NDLR : De gauche à droite sur la photo : Joël Quiot, Serge Navel, El Algabeño et Patrice Quiot...