Jeudi 28 Mars 2024
ISTRES

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Avec Bernard Marsella, bilan de la Feria d’Istres 2021, pour le vingtième anniversaire du Palio...

« On n’a pas tous les jours vingt ans », dit la chanson, et c’était bien le cas cette année au Palio pour une feria pas comme les autres. En effet, malgré la pandémie et une formule forcément allégée en termes d’animations, il y a quand-même eu des toros à Istres pour souffler les vingt bougies. Avec des résultats globalement à la hauteur des espérances...

Avec Bernard Marsella, nous sommes revenus course par course sur ce qui a fait l’intérêt et le succès de cette édition...

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« On a annoncé les cartels très tôt car on savait très bien que l’on ne pourrait pas faire notre soirée de gala. C’est donc sous forme de conférence de presse un peu plus intime, dès le mois de décembre, qu’on a dévoilé les cartels en nous projetant déjà pour le mois de juin ! Dans l’espoir évidemment que la situation sanitaire s’arrangerait un peu et que l’on puisse faire notre feria, ce qui serait bien mieux qu’en 2020 où nous avions été finalement obligés de l’annuler.

On a donc pu la faire dans des conditions très particulières à la date prévue avec trois journées importantes, en s’adaptant  à la situation dictée par le gouvernement sur le filtrage sanitaire au travers du pass. C’est vrai que ça a fait partie des aléas de l’organisation pour mettre en place ce système. Ce n’était pas si simple que ça, avec le souci de la perte de public. Des aficionados ne sont pas venus car c’était quand-même contraignant, mais la grande satisfaction aujourd’hui, c’est de constater que non seulement la feria ait pu se dérouler, mais aussi qu’il y a eu du monde. On a atteint la jauge de 65% le dimanche, soit 1800 personnes sur une contenance d’environ 3000, et on n’en a pas été très loin les jours précédents, avec un total autour de 5000 personnes sur les trois jours.

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Istres est une petite arène, il y a un côté intime qui aide aussi les artistes de par la proximité avec les gens et qui donne un parfum un peu spécial au Palio. Aujourd’hui, nous sommes très satisfaits car outre la fréquentation et la bonne météo, on a eu un bon résultat artistique. C’était un gros challenge, et cette feria, on la dédie bien évidemment à Jean Teisseire qui nous a quittés il y a très peu et qui aurait été tellement heureux de voir ces triomphes...

Il ne faut pas non plus oublier que le détonateur de cette histoire, c’est bien entendu le maire François Bernardini. Je crois que la tauromachie peut être reconnaissante envers cet homme qui est aussi actuellement président de l’UVTF, car sans son investissement à 200%, et sa volonté d’organiser cette feria, rien n’aurait été possible. Bien sûr, il est vrai que ça ne s’est pas fait dans les conditions habituelles, mais c’est beaucoup mieux qu’en 2020, puisque l’an dernier... elle n’a pas eu lieu !

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Nous avons été très soucieux de l’accueil des aficionados car nous tenions à ce qu’ils se sentent bien malgré les contraintes, comme la fermeture de la buvette. C’est pour ça que nous avons décidé, et nous avons été les seuls, d’offrir à l’entrée une bouteille d’eau fraiche à tous les spectateurs, quelque chose qui a été très appréciée.

Nous ayons étayé la programmation avec une corrida au mois d’août et une autre en octobre car nous avons tenu à marquer comme il se devait ce vingtième anniversaire. Nous avons passé par toutes les étapes de la tauromachie, de la novillada non piquée à la corrida de toros, des corridas avec des vedettes à d’autres avec des émergents, la variété  résumant bien  la force de cette feria. Je suis heureux car c’est quand même un an de travail et arriver à tous ces témoignages positifs que je reçois me fait penser que cette feria a un peu plus gagné en crédibilité. Elle s’est consolidée et elle est encore plus reconnue sur la planète des toros. Ce qui me touche le plus, c’est que j’ai ressenti que les gens ont pris encore plus de plaisir. Il n’y a pas eu un moment où il ne s’est rien passé. Dans toutes les corridas, il s’est passé quelque chose de fort. C’est tellement compliqué de tout réunir, tellement aléatoire, que lorsque le résultat est là, on ne peut que s’en féliciter ! Même si tout n’a pas été parfait, on a tout de même connu un taux de réussite assez époustouflant...

Corrida symphonique du vendredi 18

Déjà, Antonio Ferrera était heureux de toréer à Istres. Je le connais un petit peu et c’est extraordinaire par les temps qui courent, quand on dit qu’il y a une monotonie dans la corrida, de le voir évoluer avec son talent, ce sens de l’improvisation, son entrega, c’est un vrai bonheur. C’est une bête de scène, Antonio Ferrera, c’est Johnny Hallyday en concert !!!

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Je peux te dire une chose, c’est qu’il est entré dans le cœur des Istréens ! Il n’a pas eu de réussite à l’épée car il aurait pu couper trois ou quatre oreilles, il ne banderille plus, mais à Istres, il l’a fait ! Il y a toujours quelque chose qui surprend, qui chavire le public, et ça, c’est formidable ! On le sentait heureux d’être là, il  est resté toute la feria, il m’a remercié mille fois et quand on pense à la difficulté de monter des cartels, c’est un pur bonheur d’avoir affaire à des toreros comme lui. Antonio Ferrera est devenu incontournable à Istres !

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Morante de la Puebla a touché le plus mauvais lot, mais à son premier, il y a eu un moment de grâce dans la deuxième partie de sa faena. Je suis persuadé que si la présidence avait envoyé la musique, et avec le coup d’épée qu’il a mis à ce toro, il aurait pu couper une oreille ! A son second, qui a beaucoup gratté, il a brillé au capote et à la muleta, il a essayé mais c’était compliqué. En tout cas, je suis ravi qu’il ait pu revenir à Istres car c’est un torero qui a compté dans l’histoire des vingt ans du Palio.

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Quant à Juan Leal, il a perdu à l’épée un triomphe qui lui tendait les bras. Il a montré le courage qu’on lui connait, en étant capable d’aller dans les terrains très compliqués, et avec son tremendisme, on a eu une autre facette du toreo.

Quant aux Zalduendo, ils ont été un peu décevants, d’autant plus que c’est notre feria en deuxième catégorie et notre désir, c’était de relever le niveau des toros, ce qui a été le cas dans l’ensemble. Avec les Zalduendo, c’est un gabarit plus petit, et on a un peu de mal. Néanmoins, les trois cinqueños se sont mieux tenus. On voit donc que l’on a encore des choses à améliorer pour prendre cette place d’arène de seconde avec le toro qui lui correspond.

Novillada non piquée du samedi matin

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La novillada non piquée s’adresse à des débutants, ils sont tous passé par là et il faut en tenir compte. J’ai beaucoup aimé le premier et le dernier eral de Durand et si les jeunes avaient eu plus de réussite à l’épée, il se serait coupé davantage d’oreilles, ce qui est d’ailleurs vrai pour l’ensemble de la feria. Là, on voit toute la naïveté, l’aficion des gamins, la pression qu’ils commencent à ressentir... Il y a eu deux terribles volteretas, la course a été crédible et il faut continuer à aider les écoles taurines et faire des sans picadors.

Corrida « de los tres caminos »

La décision du jury me parait logique, d’autant plus qu’on leur avait bien dit que les oreilles ne seraient pas forcément le principal critère. Tout ça part de très loin, de la réussite du solo de Juan Leal qui nous a fait dire qu’il fallait mettre encore six toros avec six toreros français, comme ça j’aurais été sûr qu’un français irait confirmer à Mexico ! Mais les complications du milieu taurin ont fait que ça n’a pas été totalement possible et ce cartel est devenu international, et comme on a d’excellentes relations avec Mexico et que l’on va continuer, on a fait rentrer Valadez. Après, on a eu le souci par rapport à l’alternative de Maxime Solera et c’est le Vénézuélien Colombo qui a alors intégré le cartel. Il faut savoir que cette corrida s’est effectuée sans sorteo, on a accordé les toros en fonction du profil de chacun, avec l’accord de tous. Quand il y a cette relation entre tous, c’est extraordinaire !

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J’ai voulu  aussi partager une histoire intime pour cette corrida et j’ai été très ému de revoir le Maestro El Jerezano, qui en outre venait d’assister aux obsèques de son épouse deux jours avant ! Il a 81 ans et a fait un effort pour être là et quand on lit son CV, ayant notamment coupé deux oreilles à un toro de Victorino à Madrid, on ne peut qu’avoir un grand respect ! Pareil pour Juan José Padilla qui a pu mesurer en quelle estime les gens le tenaient.

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Les toreros se sont investis à fond, le public a répondu et c’est formidable. Comme quoi on peut encore trouver des axes, des histoires...

Thomas Dufau a mis la barre haute d’entrée, et progressivement s’est imposé par la suite. On a ressuscité Thomas Joubert, et cette année, on a ressuscité Andy ! En un toro, son destin a changé. Il ira confirmer à Mexico pour la Temporada Grande, vers janvier, et ce qui est sûr, c’est que j’aimerais bien refaire cette corrida, d’une façon ou d’une autre.

Leo Valadez a impressionné Padilla, une référence, non ? Il s’est bien battu face à un toro de Fernay qui avait beaucoup de tête et qui était passablement exigeant, finissant la faena les deux genoux dans le sable. Franchement, je n’ai pas compris pourquoi les gens n’ont pas demandé l’oreille, peut-être pour le pinchazo... Celui-là, il va former un lío en août !

Adrien Salenc a été très bien, il est plus posé, sérieux, et ça a été dommage qu’il ne l’ait pas rematé avec l’épée. Mais il a laissé une bonne impression et on le reverra donc en août aux côtés de Dufau et Valadez...

Tibo n’a pas toréé depuis longtemps, je me suis inquiété au début sur le toro de Durand, mais à la muleta, il a embisté des deux côtés. Il torée bien, mais il lui faut davantage travailler sur la connexion...

Enfin, Colombo m’a enchanté. J’en parlais avec Victor Mendes, pour lui dire qu’en voyant banderiller Colombo, on parlait de lui ! Une référence, non ?

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Bref, ça a représenté une course entretenue, les gens ne se sont jamais ennuyés, et déjà après le triomphe de Ferrera la veille et cette corrida, la feria commençait à prendre une belle tournure. En toute confidence, compte tenu de ce qui s’est passé, j’ai déjà fait les cartels de l’année prochaine ! J’exagère, mais disons qu’à chaud, j’ai fait un premier jet en tenant compte des enseignements de cette année...

Novillada piquée du dimanche  matin

Je suis rentré aux arènes en étant bien rasé et de la peur, je suis sorti avec une barbe comme ça !!! Beaucoup d’émotion, avec un bétail qui d’après moi aurait dû être davantage piqué. Pour  ces jeunes, ça a constitué une véritable épreuve et les trois ont été héroïques !

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Samira a exécuté des muletazos très méritoires, mais il a échoué au descabello. Pour autant, le public a été très compréhensif et respectueux et n’a pas manifesté. Il a beaucoup de qualités dans son toreo, mais il ne faut pas oublier que ce sont des débutants en piquée.

J’ai été impressionné par la prestation de Parejo et Perera, ils ont aussi tous les deux subi de fortes volteretas, mais ont été très dignes. Une fois Adam et Christian partis à, l’infirmerie pour des soins, puis à l’hôpital, je ne savais pas comment apprendre à Padilla que son poulain devrait s’envoyer un troisième novillo ! Finalement, il était épuisé mais, il a donné le change, et j’étais très heureux qu’il soit alors tombé sur le meilleur novillo de l’envoi auquel il a coupé les deux oreilles !

Aux dernières nouvelles, Adam est sorti de l’hôpital, on sait que Parejo va se faire opérer et Perera ne pouvait plus bouger le lendemain, avec une cheville enflée, une épaule douloureuse et des ecchymoses partout ! Avec Padilla, on s’est dit la même phrase en même temps : « J’ai rarement eu aussi peur de ma vie ! »

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Mais Manuel avait coupé quatre oreilles au Palio, et outre la peur et la douleur, ça représentait pour lui un triomphe important qui classe le bonhomme ! En tauromachie, il y a toutes sortes d’émotions, artistiques mais aussi par rapport au danger, et là, il n’y a pas un spectateur qui dit si je descends, je le fais ! Donc, grand respect, c’est une novillada qui n’a pas fini de faire parler !

Corrida charra pour la clôture

Pour cette corrida, j’ai dû pourvoir au remplacement d’Enrique Ponce et en définitive, pas mal de personnes m’ont dit être satisfaites de son remplacement par Ferrera ! Mais va trouver la veille au soir un costume mexicain à sa taille ! C’est comme les costumes goyesques, on les achète. Et là, ils étaient à Granada avec la cuadrilla de Ponce ! Adame avait deux costumes, il en a prêté un à Ferrera, bon ce n’était pas la même taille mais ça l’a dépanné, et les banderilleros se sont débrouillés pour avoir une tenue charra au moment su paseo...

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Cette corrida est dorénavant inscrite dans l’identité du Palio et je pense que l’on a réussi à l’ancrer comme est devenue la Goyesque à Arles ! A Istres, la corrida charra clôturera la feria d’une manière festive. Là aussi, on casse une certaine monotonie, on rend hommage à Mexico, il y a les cavaliers, la musique, les costumes, le décorum, et cette atmosphère en équilibre entre sérieux et légèreté. Et cette année, personne ne s’attendait à ce que cette corrida sorte aussi sérieuse que celle de Victoriano del Río ! Elle pouvait aller dans n’importe quelle arène de seconde et je remercierai le ganadero qui a vraiment joué le jeu avec nous.

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Avec de nouveau Ferrera l’explosion, qui sans le problème des aciers serait reparti avec quatre oreilles de plus, mais le grand moment de la feria, on l’a eu avec la faena de deux oreilles de Paco Ureña ! Cette faena, on la prend et on la met à Madrid, il ouvre la puerta grande, à Séville celle du Prince ! Un vrai bijou, et c’est même dommage qu’il y ait eu un peu de vent... La pureté de ses muletazos, c’est du gabarit de José Tomás ! Sans enlever les mérites à quiconque, c’était incontestablement la faena de la feria !

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Reste Luis David, il a emmené la grâce mexicaine, de l’alegría. Au paseo, il m’a piqué un cigare qu’il a fumé en défilant, me révélant que c’était pour rendre hommage à El Pana !!! Il y a eu aussi le partage des banderilles avec un Valadez en civil, un peu comme dans une ambiance de festival ! Istres est une arène où l’on peut se permettre des choses et du vendredi au dimanche, on peut dire que sur un plan général, on a vécu une feria de bon niveau avec des moments forts à chaque course...

La suite de la temporada

On communiquera la date de la confirmation d’alternative d’Andy, et sur le mois d’août, on a le défi ganadero Concha y Sierra/Margé avec Thomas Dufau, Adrien Salenc et Leo Valadez. Le 1er août, soit le matin de cette corrida, on annoncera le cartel du 17 octobre, à savoir la novillada piquée matinale avec quatre novillos de Jalabert, ainsi que celui de la corrida avec les Virgen María...

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Pour conclure, je dirais que ce qui caractérise Istres, c’est avant tout l’importance des relations humaines. Les toreros se sentent bien chez nous. D’ailleurs, il suffit de voir le nombre des professionnels qui nous contactent pour participer à notre feria pour s’en rendre compte. Tout le monde veut toréer à Istres, notre feria a pris beaucoup de catégorie et cette édition vient incontestablement d’y participer ! Tant que l’on aura le soutien de François Bernardini, il n’y a pas de raison qu’Istres ne continue pas de fonctionner et de raconter de belles histoires ! J’ai eu des pics d’émotion dans cette feria, des larmes aux yeux comme des moments de frayeur, et quand tu travailles toute l’année pour ça et que tu obtiens un tel résultat, tu te dis que tu ne l’as pas fait pour rien !!! »

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