Mardi 16 Avril 2024
PATRICE
Lundi, 11 Octobre 2021
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Horchata de Chufa…
 
En septembre 1994 fut publié un règlement général des routes espagnoles qui ordonnait le retrait de tous les toros Osborne.
De nombreuses communautés autonomes, municipalités, associations culturelles ainsi que des artistes, des journalistes et des personnalités du monde politique se prononcèrent alors en faveur de leur maintien. L'Andalousie enregistra le toro Osborne comme « bien culturel » et la communauté de Navarre établit une loi forale pour le conserver sur son territoire.
 
En France, l’association « Horchata de Chufa » (Cynthia Colbourne, Bruno Doan, Jacques Durand…) « chargée de voler au secours des poncifs, des totems et des nostalgies pourvu qu’ils soient de l’autre côté de la Junquera » se mobilisa pour s’associer à la campagne en lançant un appel au maintien sous la forme de photos, textes, collages, poèmes, souvenirs, rassemblés dans un coffret.
Extraite du cajón, ma contribution de l’époque à cette vieille croisade…
 
Chaos
 
Alors, ils se décidèrent.
Et, un soir de pleine lune, de quatre-vingt-dix-neuf lieux d’Espagne.
Ils partirent.
Leur résolution, prise dans le secret de la poésie, était irrévocable.
 
Rien ne devait les arrêter.
 
Ils confluèrent au lieu même où le Genil commence à caresser le Guadalquivir.
De là, en procession, l’un derrière l’autre, noirs, énormes, métalliques, effrayants.
Ils se mirent à avancer.
 
Ils ne se connaissaient pas, mais tous étaient unis par le tragique d’un désespoir.
Ils avaient chacun une histoire, mais ensemble, ils devenaient un destin.
 
Comme les héros, ils marchaient la nuit.
Se cachant le jour dans des marais ou des forêts encore épargnées.
 
Ils traversaient des villages.
Derrière les portes fermées, les mères racontaient leur histoire à des enfants tristes.
Les pères se saoulaient et, le poing levé, ils les saluaient.
 
C’était aussi leur guerre.
 
A la frontière du Perthus, les phares allumés de tous les coches de cuadrilla du monde les éclairèrent.
Dans les arbres, les toreros priaient.
Un prêtre défroqué les bénit.
 
Ils passèrent Béziers où un solitaire les rejoignit.
Ils croisèrent Simon de Montfort qui leur jeta une tête de Cathare mort.
Ils n’en firent pas cas, mais, en Camargue, ils tuèrent quatre-vingt-dix sarcelles qu’ils encornèrent au vol, après les avoir nourries d’un brin de riz tendre.
 
Ils mangeaient les galets des ruisseaux.
Et laissaient derrière eux des déjections d’or fin.
Qui marquaient de façon admirable la géographie de leur errance.
 
Aux Champs Catalauniques, les Huns d’Attila les prirent pour des dieux en marche.
A Bibracte, Vercingétorix leur offrit l’hospitalité et une branche de gui.
 
Partout, les populations s’effrayaient.
Pour se protéger de la horde, des esclaves construisaient des murailles.
Dont les pierres étaient liées par des nœuds de fer.
 
Seul, Voltaire osa les défendre.
De Fernay, il vint en carrosse les honorer.
Il leur parla pendant quatre jours écrivant en même temps à la lueur d’une mauvaise chandelle.
Ce fut grâce à eux qu’on réhabilita Calas.
 
A Paris, un d’entre eux mourut du choc avec une Caravelle qui explosa en plein ciel.
Constellant la Grande Ourse de shrapnels incandescents.
 
Au Mont Cassel, la scansion régulière de leurs sabots émut une jeune fille.
Elle s’appelait Marguerite Cleenewerck de Crayencour ; elle devint Marguerite Yourcenar.
 
Plus tard, cette nuit où ils firent sauter la banque du casino de Knokke le Zoote.
Deux se noyèrent au creux des polders glacés de la Hollande.
Rembrandt fixa leur agonie dans une esquisse qu’il brûla avant sa mort.
 
Ils marchaient toujours.
Métalliques, énormes et noirs.
 
Au Danemark, ils s’assirent en rond pour écouter Hamlet.
En Laponie, ils eurent froid et s’enduisirent de graisse de phoque.
 
Ils ne regardaient jamais derrière eux.
Mais savaient que partout maintenant la peste ravageait les campagnes.
 
Quand ils atteignirent le Pôle Nord, ils surent que le voyage était terminé.
De leurs cornes, ils trouèrent la banquise, excavèrent le cadavre d’un aurochs roux.
Et partagèrent sa chair.
 
Foudroyés, ils moururent tous en un éclair.
 
Au même moment, en quatre-vingt-dix-neuf lieux d’Espagne et un de France.
Naquirent des enfants idiots.
 
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Datos :
 
En décembre 1997, le Tribunal suprême d'Espagne rendit un verdict en faveur du maintien des taureaux Osborne en raison de leur « intérêt esthétique et culturel ».
 
Actuellement, il existe quatre-vingt-un taureaux Osborne en Espagne, distribués de manière très irrégulière. Alors que certaines communautés autonomes n'en ont pas (Cantabrie, Catalogne, Ceuta et la région de Murcie) et d'autres seulement un (Iles Baléares, îles Canaries, Melilla, Navarre et Pays Basque), l'Andalousie en a vingt-trois !
 
Patrice Quiot