Vendredi 29 Mars 2024
PATRICE
Jeudi, 14 Octobre 2021
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Bis repetita placent :  La poêle de 32… (2)
 
Ce vieux souvenir tauromachico-culinaire de Serge Navel, ami de toda la vida et de Joël, mon petit frère.
 
… Il évoqua ses cornadas de miedo :
 
La hernie inguinale de 81 et le grillage qui depuis soutient ses abdominaux, la paille de fer dans l’œil en 1984 qui l’empêcha pendant dix ans de mettre une boule à moins de cinq mètres du têti et en octobre de la même année, la terrible coupure au pouce en maniant sans prudence une tronçonneuse de mala muerte, l’empéguade de 85 au « Cigalou » qui avait mis sa santé mentale en danger pendant huit jours, la cornada morale du 13 à 1 à la pétanque infligée par Dada aux cabanes un terrible après-midi d’avril 88, sans compter les larmes causées par l’oignon, les brûlures à l’huile d’olive ou les glissades sur les épluchures de pommes de terre inhérentes à l’activité.
 
Mais bon, tout ça c’était du passé et, concentré sur la tarde à venir, « El Rubio » n’y pensait plus…
 
Le 26 au matin, accompagné de « El Hermano », il avait fait le sorteo au marché de Metz pour la partie légumes, puis avec la cuadrilla complète, il avait choisi chez Kamin, rue des Américains à St Avold, le boudin de sang « sin cebolla » d’origine vasqueño et la côte de bœuf de deux kilos et 320 grammes de procedencia Santa Coloma-Charolais par le croisement Tamarón.
 
Après la sieste vespérale, « El Rubio » partit au campo pour se faire la main et tienter quelques produits de ganaderías locales.
 
A Tenteling, termino de Sarreguemines, après le cruce de Farébersviller, à la finca « Schnabo » de Andrés Bascove y Esposa, en fin d’après-midi, il donna quelques passes à une très grande eau de vie de kirsch (le ganadero nous confia qu’elle avait 12 ans et que la rama était aujourd’hui éteinte), donna un pecho d’anthologie à une vieille poire qui me confia-t-il « no le gustaba mucho porque claro que tenía reccorido bueno, pero, de salida, tenia un olor de bonbon inglés » et se défit sans difficulté aucune de quelques trozos de jamón mosellano humado de robles.
 
Pendant tout l’après-midi « El Rubio » parla.
 
Il parlait, il parlait, il parlait, mais il était ailleurs.
 
En fait, il ne pensait qu’à la côte de bœuf.
 
Alors, enfin, a las siete y cuarto de la tarde, « El Rubio » fit le paseo foulant en chaussons le piso carrelé de la cuisine.
 
Pas de superfétatoire, c'est-à-dire pas de grignotages d’apéro -fioritures futiles qui te quittent la force - à peine bons pour les cocineros débutants, becerristas en quête de reconnaissance.
 
Tout de suite, le Rubio entra dans le dur.
 
Il expédia vite fait le premier tiers.
 
La cuadrilla tournait comme une montre suisse pour lui passer les différents éléments qu’il assemblait sans un geste de trop, avec temple et efficacité.
 
Un poco complica’ au début à cause de sa texture fine, la morcilla rompit en se rendant à la main droite du maestro qui l’aligna sur un millefeuilles de rondelles de pommes de terre poêlées au beurre, « El Rubio » laissant la disposition du pissenlit au « Cojo ».
 
« Ole ! Ole ! Que oficio tiene el tío ! » commentait Molés sur Digital + qui diffusait la chose en direct.
 
La pétition fut unanime et il coupa la première oreille qu’il mit dans son tablier après avoir embrassé le pavé.
 
De retour au burladero, il but un canon.
 
Alors sortit « Chuletón ».
 
Il était 20h34 à la pendule.
 
Colorao en negro, grande, persillée en blanco, muy bien conformada, con trapío, fenotipo clásico de la casa Charolais pero con mucho volumen, «  Chuletón » pouvait être une côte de bœuf de bandera, une comme on mange chez Lhardy à Madrid un jour de San Isidro.
 
« Este, de cortijo » glissa « El Rubio » à l’oreille de « El Hermano ».
 
Il s’avança, torchon blanc dans la main gauche.
 
Molés se taisait, Antoñete fumait et Emilio rêvait de Triana.
 
Alors, au milieu du plan de travail, Serge Navel « El Rubio », fils unique de Guy et Jacotte, père de Fabien et Léa, compagnon de Nathalie, figura máxima de la cocinería, trente-sept années d’alternative, quatorze sorties à hombros du Bar Nacional de Lunel, triomphateur six années en seguida du concours de « La fougassette et l’anchoïade » de St Laurent d’Aigouze, Teniente Général de Picpoul de Pinet et Hermano Mayor de la Hermandad de Marsillargues, tendit la main et dit d’une voix douce au «  Cojo », son ami de quarante ans : 
 
« Cojo, acercame une poêle de 32 ».
 
« El Cojo » n’en avait pas.
 
Le regard du Rubio devint glauque : 
« Une poêle de 32, vite, je te dis, putain, c’est la seule qui puisse servir pour arreglar bien la faena. »
 
« Lo siento mucho maestro pero no tengo el tamaňo de 32, tengo solo el de 28.5 y otro mas pequeňo de 17. »
 
Molés comprit la hauteur du drame, Chenel alluma une autre clope et Emilio songea à son père.
 
Il fallait aller vite au risque que « Chuletón » se réserve, que se arrajo.
 
Alors « El Rubio » improvisa.
 
Personne ne comprit comment il utilisa deux poêles, le couvercle d’un wok, des ustensiles divers et variés mais, ce qui est sûr, c’est que liant les gestes les uns aux autres, cabeza fría en un corazón caliente, il arma le gros taco.
 
« Fuera, fuera cuadrilla, dejame solo, dejame solo » hurlait-t-il ; « Hermano, envoie le service » ; « Cojo, assure-toi de la disponibilité des assiettes. »
 
Il toréa « Chuletón » à la perfection et ce fut un embrujo que, par voie satellitaire, Molés, Antoňete et Emilio, firent connaitre au monde entier.
 
Les deux oreilles tombèrent, les cloches de St Laurent d’Aigouze sonnèrent à toute volée, Jacques Tessier dit une oraison et nous, la bouche pleine, on oublia la suite du repas pour laisser libre cours à la glose et au pinard. 
 
« El Rubio » fut porté au lit sur les épaules des commensaux.
 
Le lendemain, « Le Républicain Lorrain » titra : « El Rubio, une cuisine de mirabelle et de saucisses blanches ».
 
C’est vous dire.
 
Le 27 avril 2008 à las siete de la mañana, le coche de cuadrilla ramena « El Rubio » chez lui, là-bas entre le Pont du Lièvre et du Petit Cogul.
 
Le même jour, a las cinco de la tarde, il jouait aux boules aux cabanes de Marsillargues.
 
Un pedazo de torero este Rubio…
 
Patrice Quiot