Jeudi 28 Mars 2024
PATRICE
Vendredi, 12 Novembre 2021
cp12ph
 
Il y a 40 ans, 3 mois et 12 jours disparaissait Claude Popelin…
 
Préface de Jean Lacouture à « La Tauromachie »
 
« Notre ami Claude
 
L'aficionado « absolu » existe-t-il, comme l'oreille « absolue » du musicien, ou le poète absolu - Rimbaud ?
 
Si cet être étrange naquit un jour en France, des amours du Minotaure et de la Marquise de Sévigné qui, de Grignan, eût fait un détour par la Camargue, ce fut à coup sûr Claude Popelin.
 
Lequel, de tous les dévots du rituel sauvage et raffiné codifié au XVIII siècle par Pedro et Francisco Romero, de Ronda, pouvait se vanter d'avoir vu toréer entre 1910 et 1980, de Bombita Chico à Nimeño II, trois générations de toreros miracles, et arbitré les plus beaux duels de l'histoire de la tauromachie au XXe siècle - entre « Gallito » et Belmonte, entre Dominguín et Ordóñez ?
 
Quel autre pouvait se targuer d'avoir paru, en costume de lumières, dans la plaza de Pampelune en 1933, servi de sobresaliente à Madrid en 1948 ? 
 
Qui pouvait évoquer comme lui les tientas chez le Duc de Tovar et Eduardo Miura, chez les Guardiola et les Urquijo ? Les après-midis passés dans les arènes entre Ignacio Sánchez Mejías et Manolo Bienvenida, cape et palos en main ? 
 
Les longues séances de travail avec Ernest Hemingway écrivant « Mort dans l'après-midi » ? Les soirées entre Pablo Picasso et Jean Cocteau, entre Rafaël Alberti et Pepe Luis Vásquez ?
 
Incomparable traversée de l'océan tauromachique, qu'il contait comme le père Énée la chute de Troie, avec un indicible mélange de nostalgie et d'espérance se gardant avec une suprême élégance de nous accabler sous la grandeur de ses souvenirs, à la différence de tant de vieux sots qui ont voulu nous faire croire que Mazzantini toréait mieux que Paquirri, que Chicuelo ne tuait que des taureaux qui eussent épouvanté Diego Puerta...
 
Claude aimait assez la tauromachie, après plus d'un demi-siècle de merveilles, pour en goûter les péripéties mineures, les figures secondes, les problèmes posés par un taureau manso de moins de 500 kilos doté de quelque sentido, un beau sesgo por fuera, un bon quite du plus modeste péon.
 
Il ne se grandissait pas de son mépris pour plus simple ou plus modeste ou plus récent que lui. Il aimait faire partager ses admirations, mais n'avait pas le goût de ruiner celles des autres.
 
D'où lui venait cette aficion que l'on eût dit ancestrale ?
 
Parisien, fils de Parisiens (son aïeul Claudius Popelin était un émailleur fameux du Second Empire), il avait été initié par son père à l'Espagne et à la tauromachie dès avant la guerre de1914, au temps de Guerrita, de Reverte et de Machaquito. 
 
Il avait, de 1918 à 1921, suivi les épisodes inoubliables de la competencia entre le dernier des « grands » d'autrefois, Joselito, et le premier des « grands » modernes, Juan Belmonte. Il avait été l'ami de tous les toreros des années vingt et trente, Chicuelo, Armillita, Lalanda, Domingo Ortega. De concert avec Hemingway, il avait salué et encouragé l'éclosion du génie de cet Antonio Ordóñez qui allait rester son maestro de référence, avant Antonio Bienvenida et Paco Camino. 
 
Et il avait pris le risque d'ouvrir les portes de la renommée, au sud des Pyrénées, à Christian Montcouquiol.
 
La compagnie de Claude Popelin, lorsqu'on a eu la chance de croiser l'homme dans ses livres d'abord, puis dans la vie, comme ce fut notre cas, est de celles que l'on ne peut oublier. 
 
Comment, après cela, poser sur la corrida le même regard, ou faire comme si son regard à lui ne nous avait pas définitivement déniaisés ? Pour tout aficionado qui, l'ayant approché, se laisserait néanmoins déborder par la passion, il reste là à jamais, ange gardien et oiseau de proie aux aguets, l'œil allumé et le sourire en coin, attendant le moment de fondre sur le détail objectif qu'on n'a pas su relever, ou sur le commentaire approximatif auquel on s'est risqué.
 
Si courtois toujours, si soucieux de templar... Socrate philotaure - amant de la vérité taurine - Claude Popelin s'est fait un devoir d'arrêter - comme il savait arrêter en deux passes de cape les bêtes braves à leur sortie dans les arènes de tientas - les émotions désordonnées, les élans indicibles du néophyte, non pas, certes, pour les étouffer, mais au contraire pour les cadrer, leur assurer une vue plus claire des choses. 
 
En ce domaine mouvant, comme dans d'autres qui le captivaient également, par exemple l'éloquence et le débat politique, Popelin a pris résolument le parti de la pénétration contre le flou et la fascination. Fréquents étaient ses accès d'ironie, voire de réprobation, devant une lecture « poétique » ou intellectuelle de la corrida.
 
Ses amis se souviennent avec quelle gourmandise il rapportait une confidence de Belmonte : le maestro avait une méthode simple pour se délivrer, en l'endormant, de la curiosité intempestive des écrivains et des journalistes ; il acquiesçait, imperturbable, à leurs supputations les plus saugrenues... La grande leçon de l'auteur du Taureau et son combat et de La Tauromachie est qu'il faut ici, comme ailleurs, aller à l'essentiel et ne pas se perdre dans le décor.
 
Or l'essentiel est que le toreo est une architecture avant d'être un sentiment, une forme qui s'ordonne une fois que l'homme a saisi les données de base de cette matière antagonique que constitue le taureau par excellence, et une fois qu'il a transformé, par son tact clairvoyant, l'agressivité en complicité. On commence par résoudre les inconnues de l'animal, on réduit ses aspérités, et on finit par entraîner son adhésion au projet artistique. On comprend alors qu'il n'y ait pas un mouvement du taureau qui ne soit indice, pas un geste du torero qui ne doive être pensé.
 
Sur ce point, les articles de Claude Popelin ne laissent rien dans l'ombre, et l'on oserait presque affirmer que le présent ouvrage, mieux qu'une encyclopédie, est une cosmogonie taurine, en ce sens qu'il décrit et fait jaillir au grand jour les fondements de la fête. 
 
Mais on imagine le sourire interrogateur que ce terme commode eût provoqué chez Claude... Dans une conception aussi classique de la tauromachie, l'éthique et l'esthétique se confondent : le torero ne domine l'adversaire qu'à la condition de s'être d'abord dominé lui-même, et d'avoir vaincu son instinct de fuite et sa volonté d'exclusion. La grandeur ici naît de la convergence. Toréer, c'est mettre le taureau en lumière, et non pas l'éteindre. La sérénité et l'élégance des gestes naîtront de la détermination que donnent la connaissance et le courage.
 
Qu'il n'y ait pas d'équivoque : Pour Claude Popelin, c'est l'art qui a le dernier mot ; un art qui repose sur une technique si bien assimilée que parfois son pouvoir se cache derrière une apparente facilité. Ainsi admire-t-il sans réserve, pour tout ce qu'elles impliquent de savoir et d'encouragement, la majesté d'Antonio Ordóñez et la grâce naturelle n'est pas un parachutiste.
 
Le plus brave n'est pas celui qui saute. Braves en revanche sont les Sévillans qui considèrent avec cette impavidité une telle performance d'Antonio Bienvenida. Quand la maîtrise est le fruit d'une telle économie de l'expression, c'est que le toreo est parvenu à son degré suprême de raffinement en cultivant à son tour la litote. Au stade inférieur, mais toujours digne d'intérêt, se situe le travail consciencieux et efficace, dont on voit nettement les tenants et les aboutissants. Claude Popelin sourit avec scepticisme, mais sans malignité, devant les délires suscités par les toreros magiques, pathétiques ou hiératiques.
 
Cependant, sans une once de sectarisme, il relève volontiers chez les figuras qui ne sont pas du tout de sa chapelle les traits remarquables de leur personnalité, et leurs dons singuliers (qu'on lise à cet égard ce qu'il écrit de Manolete et même du Cordobés). 
 
La finesse des portraits de toreros que l'on trouvera ici, l'équilibre des notations font penser à un Saint-Simon qui aurait renoncé à toute volonté de nuire, et qui aurait à cœur de rendre hommage à quiconque a revêtu avec sincérité l'habit de lumières. Qu'il s'agisse d'ailleurs d'évoquer un de ces hommes, d'expliquer un terme technique ou de rappeler un point d'histoire, on est confronté aux mêmes qualités d'écriture : simplicité de la phrase, pertinence de l'expression, le tout conclu souvent par un paragraphe qui laisse posément s'épanouir l'émotion. Pédagogue hors pair (en d'autres circonstances, quelle recrue il eût été pour la Compagnie de Jésus !), Claude Popelin - tenu en aussi haute estime par l'aficion espagnole, représentée à ses côtés par sa vibrante épouse, notre amie Sat, a formé toute une génération d'aficionados français, aux temps où le rituel venu d'Andalousie acquérait ses lettres de noblesse dans notre pays.
 
Pour tous les amateurs, la réédition de ce livre publié en 1970, enrichi des apports de notre confrère Yves Harté, qui met à jour, plus de vingt ans après, cet annuaire de l'art taurin, y intégrant figures et tendances des derniers temps, permet que le magistère serein de Claude Popelin continue de s'exercer. »
 
Datos 
 
Claude Popelin (17/04/1899 – 31/07/1981).
 
Journaliste, avocat et torero.
 
Diplômé de l’Ecole des Sciences politiques, docteur en Droit, il a été avocat stagiaire à la Cour d’appel de Paris. Chargé des relations publiques de Ford.
 
Il fut aussi pendant 20 ans… secrétaire général du Conseil National du Patronat Français !!!
 
Définitivement inoculé du virus tauromachique, il part en Espagne à moins de 20 ans et y passera des mois, chaque année, à se perfectionner dans l’afición et à fréquenter les toreros célèbres.
 
C’est ainsi que, pendant 3 mois, il est reçu à Séville chez Ignacio Sánchez Mejías. Ce glorieux matador et Manolo, l’un des frères Bienvenida, lui donnent ses premières leçons pratiques de toreo.
 
Muni de cet enseignement, Claude Popelin commence à tienter dans les ganaderías des éleveurs de renom comme le Duc de Tovar, Tabernero, Miura…
 
Il s’exerce face à des vaches et des novillos (quelque 250 bêtes) qui lui apprennent, parfois à ses dépens, la triple science des suertes de cape, de banderilles et de muleta. Il en vient bientôt à l’estocade : le 12 octobre 1933, à Pampelune, au cours d’un festival, il figure dans le paseo avec des matadores de cartel et torée brillamment son adversaire.
 
Il ne songe guère à délaisser ce jeu de lumière, et le 1er juin 1947, à près de 50 ans, il parait dans la plaza de Madrid comme sobresaliente et banderillero.
 
Il a exercé un véritable magistère sur l’afición française et internationale, notamment par ses ouvrages “Le taureau et son combat” publié en français (1952) et en espagnol (1956), “La tauromachie” (1970) et "Arènes politiques" (1974), qui demeurent une référence d’analyse taurine.
 
Depuis 1982, le Prix Claude Popelin, couronne chaque année le torero - dans l’acception la plus large du terme - qui a triomphé en France au cours de la temporada écoulée.
 
Le Prix Claude Popelin pour la temporada 2019 a été attribué à Emilio de Justo et celui pour la temporada 2020 à Daniel Luque.
 
En ce qui concerne les toreros français : Nimeño II (pour la temporada 1989) ; JM. Bourret (pour la temporada 1997) ; Stéphane Fernandez Meca (pour la temporada 2000) et Sébastien Castella (pour la temporada 2009).
 
Patrice Quiot