Jeudi 18 Avril 2024
PATRICE
Lundi, 15 Novembre 2021
chin14ph
 
Extrait du cajón, ce texte du début des eighties de l’ami Jacques : La cape de Bonne Espérance…
 
Diffusé sur « Radio France » dans le cadre des « Ateliers de la création », rubrique quotidienne sous l’appellation « La cape de Bonne Espérance » :
 
« Les prochinois.
 
Avec Mado, Freddy Guiot fabriquait des jeans du coté de Lodève.
 
Serge Navel militait à l’extrême gauche.
 
René Rabilloud vivait d’expédients, arborait un look post Gardarem lo Larzac, mais possédait une carte officielle de valet d’épées et faisait le chauffeur.
 
Les deux très bien.
 
Tant que le rejoneador Moreno Vidal voulait l’embaucher.
 
La munificence de Jean-Pierre Goldberg légitimait amplement son surnom : « Le Pharaon ».
 
Patrice Quiot était baron, ou plutôt baronnet. Il était l’ainé. Donc Patrice, Georges, Charles, Antoine Quiot du Passage, par son grand-père paternel, de Cargouet de Ranléon, par sa grand-mère maternelle née Cargouet d’Espalungue, remuait le ciel et la terre : Manolo Chopera à Madrid et Pierre Molas à Dax.
 
Le cocker Pacha remuait, lui, la queue. Ou sa queue bouléguait le cocker pacha. On n’a jamais su.
 
Le groupe Téléphone jouait la Bombe Humaine, les années 70 basculaient sur les eighties et Mao Tsé Toung, Mao Zédong pour les pointus qui faisaient semblant de lire Tel Quel, venait de mourir.
 
Il s’était mis sur la fin de ses jours à ressembler à une grosse fève du gâteau des rois !
 
Mado, Freddy, le Pharaon Serge, René, Patrice, Penny et le cocker Pacha étaient prochinois.
 
Ils soutenaient Lucien Orlewski, « Chinito », «  le Chinois » et «  le Pharaon » avait imaginé de lever chaque mois un impôt révolutionnaire pour le torero.
 
Coté finance, ils organisaient des tientas payantes, des festivals pour que le « Chino » se fasse la main, des loteries, des voyages à Séville et Madrid.
 
Pour le faire engager par Simon Casas, chez lui, à Nîmes, ils avaient recouvert les micocouliers et les murs de la ville de 500 tracts de 40x20 cm avec un message aussi subliminal qu’elliptique : « Simon !!! Chinito ??? ».
 
Cette litote, auprès de quoi le fameux cri de guerre « Ho, Ho, Ho Chi Minh, Che, Che Guevara » prenait des allures d’insupportable logorrhée, avait dû fortement intriguer les touristes déjà perturbés en découvrant que la Maison Carrée était rectangulaire.
 
S’ils étaient attachés à la personne de Lucien, les prochinois étaient surtout attirés par sa tauromachie : classique, de bon goût, épurée, sans esbroufe, authentique, plastique. Un peu dans la ligne de Curro Vázquez, d’Antoñete, de José Luis Parada.
 
C’est que l’histoire taurine de « Chinito » scintillait de ces éclats prestigieux qui, aux yeux des aficionados, l’éclairaient d’une précieuse aura. Il avait coupé une oreille à Las Ventas, le fameux et redoutable critique Alfonso Navalón avait écrit du bien de lui, Antonio Ordóñez lui avait donné un coup de main, il avait pris l’alternative des mains de Curro Romero et avec Curro Vázquez pour témoin.
 
Aujourd’hui où les choses sont ouvertes pour les français et les publics plus sensibilisés à la nécessaire maturation des toreros, Chinito, moins dans le quitte ou double des corridas sans lendemain, aurait pu faire une carrière vraiment consistante et accoucher du précieux torero qu’il portait en lui.
 
Serge avait croisé le petit Lucien rue Doré, dans la maison de madame Orlewski où, dans la chambre de Martine, sœur du « Chino » et avec d’autres membres du clandestin PCMLF, Parti Communiste Marxiste Léniniste de France, il militait contre les dérives spontanéistes, le social impérialisme soviétique, l’abus du pico pour préparer les lendemains qui chanteraient que « la raison bout dans son cratère » et, pourquoi pas, aussi, « Valenciaaa… ».
 
Il avait aperçu les affiches de corridas sur les murs de la chambre de Lucien et il le voyait traverser l’appartement, en route pour le Mont Margarot, une muleta sous le bras.
 
Avec Freddy, Patrice pratiquait le terrorisme idéologique auprès des pouvoirs taurins plus ou moins « monopolistiques » en place : Charly Forgues à Bayonne, Manolo Chopera à Mont de Marsan, Pierre Molas à Dax pour qu’ils intègrent le « Chino » dans le circuit de leur feria et qu’il s’y trouve comme le fameux poisson maoïste dans l’eau de la Révolution.
 
Ils exploitaient à fond le vecteur des radios libres naissantes.
 
Patrice, à Madrid, au restaurant de la plaza Santa Ana le « Viña P », était même tombé sur le paletot de Georges Dubos, pape de la critique taurine dans le Sud-Ouest français, en lui reprochant son opposition farouche aux toreros français en général, à Chinito en particulier.
 
Patrice avait réussi un bon coup. En s’appuyant sur Fernando Jardón qui fournissait les plateaux de Dax, en faisant le siège de Pierre Molas, empresa dacquoise, une corrida « française » avait été organisée à Dax en juin 81.
 
Six toros de Salvador Domecq pour Chinito, Richard Milian, Patrick Varin. Lucien avait coupé une « grosse » oreille et touché 35.000 francs. Mais malgré ce succès et les promesses de Pierre Molas, Lucien n’avait pas été programmé pour la feria dacquoise d’août, ni à Mont de Marsan, ni à Bayonne.
 
Même agit-prop envers Manolo Chopera pour faire toréer et confirmer l’alternative du « Chino » à Las Ventas.
 
Harcèlement, coups de téléphone, voyages à Madrid. Manolo les avait finalement reçus en août 81.
 
Patrice, Freddy et le torero étaient allés le voir à son bureau. Il leur avait montré les arènes vides. Patrice lui avait dit qu’elles étaient belles. Réponse du grand Manolo : « Oui, mais elles le sont davantage pleines ».
 
Il avait payé le repas, blagué de tout et de rien, de politique, d’opéra, de foie gras, de Sud-Est et de Sud-Ouest entre les chuletas et le tocino de cielo, mais pas de contrat pour Lucien.
 
Et puis, de retour à son bureau il avait lâché d’un coup : « Chino, tu vas toréer à Madrid ».
 
Quand ? Comment ? Avec qui ?
 
Personne n’avait osé demander ces détails au grand timonier de la tauromachie.
 
Ce sera finalement le 8 août 82. Toros d’Arauz de Robles. Toreros : Juan José, Raúl Sánchez et Lucien Orlewski « Chinito de Francia » comme c’était marqué sur les affiches.
 
Les toros étaient gris, celui de confirmation d’alternative s’appelait Lobato. Il portait le numéro 51 et la cellule prochinoise avait fait le déplacement.
 
Patrice se souvient très bien qu’il n’avait rien pu manger à midi et que « El Maño », honorable correspondant des toreros français, chargé de régler les problèmes d’intendance sur place et qui pour cause de cancer fumait par la gorge, leur avait pris 1000 francs.
 
Il se souvient aussi que, le lendemain à Paris, l’attentat de la rue des Rosiers, chez Goldenberg, avait fait six morts et vingt-deux blessés.
 
A cette époque, le groupe Tears for Fears interprétait «  Mad World »  et, sur les écrans, E.T. voulait retourner à sa maison. »
 
Patrice Quiot