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Vendredi, 10 Décembre 2021
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Cagancho…
 
« Un surnom malodorant venant du verbe cagar (qui se passe de traduction) et de ancho qui signifie large ou épais. À ce point malodorant qu'un journaliste se refusait à l'écrire, le remplaçant par « Carancho ». On a trouvé une explication plus plaisante : En Andalousie, on donnerait le nom de cagancho à un oiseau chanteur ; or dans la famille du gitan torero se trouvaient plusieurs cantaores.
 
Ce gitan donc naquit à Sevilla, le 17 février 1903.
 
Chanteur de flamenco ou torero ?
 
Le jeune Joaquín Rodríguez choisit le toreo. 
 
Il sortit tard de son rincón et ce n'est que pendant l'été 1926 que Barcelona et Madrid font connaissance avec le nouveau prodige.
 
C'est foudroyant ! Une blessure à Madrid, le 10 septembre, stoppe la temporada prématurément mais, le 17 avril 1927, c'est déjà l'alternative, à Murcia, des mains d'«El Gallo» bien sûr, en présence de « Chicuelo » évidemment et face à des Murube.
 
C'est un désastre, un toro rentre vif au toril.
 
Le 1er mai à Caravaca, ce sont les deux adversaires qu'il ne peut tuer. 
 
Le 22 juin, il confirme à Madrid sans trop de mal face à des Montalvo, en compagnie de « Valencia II » et Lalanda.
 
Dès lors commence une carrière d'un quart de siècle faite de triomphes et de désastres alternés, d'oreilles d'apothéose ou de toros vivants au toril, de sorties sur les épaules ou protégé par la police qui lui évite d'être lynché. 
 
Pendant vingt-cinq ans, les publics souffrirent le pire dans l'espoir de voir le meilleur.
 
« Cagancho » vivait en outre de manière flamenca.
 
Beau garçon, prodigue… lorsqu'il avait de l'argent, aimant la belle vie et les femmes, il sacrifiait peu à l'entraînement physique. Ses frasques défrayaient la chronique. 
 
Ainsi le 7 août 1933, il faisait la fête à Cádiz en compagnie d'Antonio Márquez. Dans une taverne, une bouteille d'eau-de-vie fut brisée à leur table et son contenu se répandit sur la robe d'une demoiselle qui l'accompagnait. En allumant un cigare, le torero mit le feu à la robe et se retrouva en prison.
 
Au Mexique en 1929, une femme le poursuivait dans son hôtel, un revolver à la main. Joseph Peyré, l'écrivain-aficionado l'a pris pour modèle.
 
Il connut sa meilleure saison en 1930, participant à soixante-neuf corridas malgré une grave blessure à Madrid, le 12 juin. 
 
La mort de son cousin « Gitanillo de Triana », en 1931, ne fit que multiplier les « terreurs » de Joaquín. 
 
Pendant la guerre civile, privé de contrats dans la zone républicaine, il part pour l'Amérique du Sud, revient pour des temporadas étiques, rembarque en 1944 pour le Mexique où il se fixe un temps. En 1947, il participe en Espagne et en France à quelques courses où on l'associe au frère de « Gitanillo » et à « Albaicín » ; il laisse encore quelques traces inoubliables, donne l'alternative aux novilleros à la mode en 1950, Aparicio et « Litri », bricole jusqu'en 1953 puis se retire au Mexique où il se coupe la coleta, le 24 janvier 1954. 
 
Trente ans plus tard, le 1er janvier 1984, s'éteignit à Mexico celui qu'on avait surnommé le « Pharaon aux yeux verts »… et aux peurs bleues !
 
Un de ses fils, Joaquín, prit l'alternative en 1960, mais ne participa jamais qu'à des courses isolées dues à son seul apodo de « Cagancho hijo ».
 
Il est facile de dire que « Cagancho » a apporté dans l'arène toute la déraison envoûtante que son grand-père, cantaor, faisait surgir de sa gorge de feu ; ou bien que la cape de « Cagancho » était lourde de tous les mystères que la race gitane vient ajouter à ceux qui unissent l'homme et le toro ; ou encore de rire de ses peurs démesurées issues du plus loin des superstitions de son peuple. Mais comment traduire ce qu'a été l'art de ce torero dérisoire et génial lorsqu'on doit décrire ses gestes par des mots ?
 
« Cagancho » exprimait toute la beauté plastique, la majesté et l'inspiration de Rafael « El Gallo », et plus peut-être, mais il était dépourvu de la connaissance profonde des toros que possédait le frère aîné de « Joselito », et ses paniques, pour être aussi spectaculaires et fréquentes, demeuraient encore moins justifiées.
 
Le toreo de cape de « Cagancho » ne peut être comparé à celui d'aucun diestro de n'importe quelle époque. Quand il donnait un parón, sa cape, dénuée de la moindre ride, et sa nonchalance majestueuse fascinaient. 
 
Un seul lance donné avec un temple velouté comme, dit Luján, « si les veines de ses bras se prolongeaient pour tresser le capote » rachetait un désastre retentissant.
 
A part clouer les banderilles, il savait tout faire. Sa muleta pouvait se charger d'authenticité comme de grâce, mais il ne savait guère construire une faena et s'en souciait peu. Souvent, il se bornait à marcher devant le toro, donnant une demi passe ou offrant un adorno, puis se promenait encore avec une arrogante désinvolture et un luxe du geste qui étourdissaient le public.
 
Au bout d'un moment de récupération, les aficionados analysaient le spectacle où aucune suerte technique n'était apparue et parfois devenaient furieux. Et c'était ceux-là mêmes qui l'avaient applaudi qui l'insultaient férocement, avant de tomber à nouveau sous le charme.
 
Il faut relire « Juan Leal » qui rapporte une novillada, à une époque où le jeune « Cagancho », « au teint comme huileux à force d'être olivâtre et la tignasse fournie et luisante », avait la ligne idéale du torero de l'époque, cette maigreur des ascétiques qui allait tant contribuer à la fortune de « Manolete ». « Cagancho » fut comique et pitoyable à son premier adversaire, qui était facile à toréer. Son second lui arracha la cape des mains, des rires accompagnèrent les déboires de ce piètre débutant, et lorsqu'il prit la muleta un murmure gouailleur emplissait la plaza.
 
« Mais Cagancho s'était redressé de toute sa taille et alla au cornu avec une majestueuse assurance. » Cela suffit à faire régner soudain le silence. Après la première passe de la droite, puis la deuxième, « les gens se demandaient s'ils n'avaient pas mal vu ! ». Et on ne peut pas plus expliquer vraiment cet envoûtement que celui que créait la voix de son grand-père.
 
Le gitan aux yeux verts ne devenait orthodoxe et classique que lors de certaines estocades. Joseph Peyré rappelle que Joaquín Rodríguez était aussi le nom de « Costillares », l'inventeur du volapié que précisément « Cagancho » pouvait exécuter à la perfection. Ce n'était bien sûr pas le coup d'épée impressionnant porté par un vaillant. C'était une démonstration irréprochable de pureté technique présentée avec autant d'authenticité que de valeur plastique. La peur et la mort peuvent se rejoindre. Est-il besoin de dire que, privé de recours et étranger au dominio, « Cagancho » avait besoin, pour laisser entrevoir son mystère, d'un toro mieux pourvu en noblesse qu'en nerf, chargeant droit et sans violence.
 
A cette époque, plus qu'en Espagne il a trouvé des toros à sa mesure au Mexique, dont il a été l'idole et où de nombreux toreros se sont efforcés de l'imiter.
 
« Cagancho », qui dérange dans son nom même, a détenu un secret qui lui a permis de construire des images sublimes que, passé le sortilège, les aficionados s'irritent d'avoir trop admirées. »
 
Sources : torosencasteljaloux.
 
Datos
 
Joaquín Rodríguez Ortega dit « Cagancho », né à Séville le 17 février 1903, mort le 1er janvier 1984 à Mexico.
 
« Cagancho », gitan né à Séville dans le quartier de Triana, d'un père forgeron, fut l'un des matadors les plus populaires des années 1920 et 1930. 
 
« La beauté, l'élégance de ce gitan aux yeux verts séduisait le public. Avec son teint huileux à force d'être olivâtre, sa maigreur ascétique, il avait la ligne idéale du torero de l'époque. »
 
 Il subjugue les spectateurs dès son troisième taureau lors de sa première novillada à La Isla de San Fernando en 1923 devant du bétail de Fermín Bohórquez, après avoir été d'abord moqué lors de ses deux premiers toros.
 
À la suite d'un triomphe obtenu à Barcelone en 1926, son nom devient célèbre dans toute l'Espagne. Il prend l'alternative des mains de « El Gallo » devant Orejilla, toro de Carmen de Federico le 17 avril 1927 à Murcie.
 
Le 22 juin 1927, il confirme son alternative à Madrid avec pour parrain, « Valencia II » devant le toro « Naranja »  de María Montalvo.
 
Puis il se rend au Mexique. C'est là qu'il finira sa vie après plusieurs retours en Espagne, des triomphes, des ovations et des critiques.
 
Patrice Quiot